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BAIUS


effet, cette conséquence dans la proposition 18e ; ces bonnes œuvres des catéchumènes seraient comme ces opéra mortificata dont parlent les théologiens, mérites acquis dont la récompense est comme tenue en suspens par suite d’un empêchement. Cette doctrine suppose plusieurs erreurs que nous rencontrerons bientôt, en traitant de la charité et de la justice. Il suffit de remarquer ici que, s’appuyant sur l’opinion erronée que Baius avait du fondement du mérite, la proposition 18e est elle-même, de ce chef, erronée. Là encore, ce docteur s’est égaré par une interprétation étroite de saint Augustin. Si les bonnes œuvres faites par les catéchumènes n’étaient pas méritoires de la vie éternelle, il y aurait des œuvres moralement bonnes et pourtant stériles ; or, c’est là une conséquence opposée à la doctrine augustinienne. Sans entrer maintenant dans cette question délicate des œuvres moralement bonnes et en même temps stériles, il suffit de remarquer que la condamnation de la proposition présente n’entraîne pas de soi la conséquence sur laquelle Baius s’appuie pour l’attaquer. De ce que les bonnes œuvres faites sans la grâce sanctifiante n’ont pas un mérite de condigno, il ne s’ensuit pas qu’elles soient privées d’un mérite de congruo, ayant pour objet des grâces ultérieures et la justification. De telles œuvres ne peuvent pas s’appeler stériles.

Bien plus, cette affirmation générale, que toute bonne œuvre est proprement méritoire de la vie éternelle, a reçu deux coups dans la condamnation des propositions Gle et 62 e. Baius remarque, dans son apologie, qu’il n’a point parlé dans ses écrits de la double distinction qui s’y trouve attaquée. Le fait est matériellement exact ; ce docteur n’en délend pas moins ces deux propositions, conséquences rigoureuses de la doctrine qu’il développe dans le IIe livre De meritis operuni, en particulier dans les chapitres i et VI. Un théologien catholique n’a donc pas le droit de rejeter comme chimériques ou de proclamer insoutenables la double distinction rappelée dans les propositions 61e et 62 e. Corps de doctrine, loc. cit. ; S. Thomas, Sum. Iheol., Ia-IIæ, q. Cix, a. 4 ; Actæt décréta concilii Vaticcni, op. cit., col. 552.

/II. PROPOSITIONS RELATIVES AU LIBRE ARBITRE ET A SES FORCES DANS L’ÉTAT DE NAITRE TOMBÉE.

41. Is libertatis modusqui est Ce genre de liberté qui ex a necessitate sub libertatis noclut la nécessité ne se trouve

mine non reperitur in Scriptupoint dans les saintes Écritures

ris, sed solum nomen libertatis sous le nom de liberté ; on y

a peccato. De libero arbitrio, trouve seulement le nom de

c vu. liberté opposée à la servitude du péché.

39. Quod voluntarie fit, Ce qui se fait volontairement,

etiamsi necessario fiât, libère se fit-il d’ailleurs nécessaire tamen fit. Ibid., c. vi-vn, ment, se fait néanmoins libre quant au sens ; Aunot., 2, 8, ment.

in censuram Sur bon.

66. Sola violentia répugnât La violence seule répugne à

libertati hominis naturali. la liberté naturelle de l’homme. Ibid. ; Baiana, p. 101, 116.

Dans la proposition 41e, Baius ne prétend pas nier la liberté d’indifférence ni affirmer que la chose elle-même soit étrangère à l’enseignement biblique ; il s’occupe directement de la question de terminologie. L’usage scripturaire qu’il invoque est-il aussi exclusif qu’il le prétend ? Beaucoup ne le pensent pas et citent divers textes où le sens des mots liberté ou libre dépasse certainement celui de liberté opposée à la servitude du péché, et semble même une fois ou l’autre s’appliquer à la liberté d’indifférence. Ps. xciii, 1 ; Tob., I, 14 ; Gal., 11, 4 ; I Cor., ix, 19 ; x. 29. Corps de doctrine, c. vi ; Bipalda, op. cit., disp. XIV, sect. I. Toutefois cette question de terminologie est secondaire ; la proposition 41 e est avant tout suspecte. Pourquoi Baius affirme-t-il avec tant d’insistance que la liberté d’indifférence ne se trouve point dans les saintes Écritures sous le nom de

liberté ? Assurément pour justifier ce qu’il soutient dans le traité De libero hominis arbitrio, c. v, que la liberté opposée à la servitude du péché est la vraie liberté et que, sans elle, on n’est libre qu’improprement et par analogie. Assertion très équivoque en elle-même, mais grave surtout par les applications qu’en fait l’auteur dans les propositions qui vont suivre, et tout d’abord dans les propositions 39e et 66 e.

Il est vrai que, dans ses apologies, Baius ne reconnaît pas ces deux propositions, et qu’il les déclare même absurdes. Mais pourquoi et sous quel rapport ? Ceux qui avaient fait les extraits envoyés au Saint-Siège, n’ignoraient pas que parmi les articles censurés par la Sorbonne, le 2e et le 3e étaient ainsi formulés : « La liberté et la nécessité conviennent au même sujet sous le même rapport, et la seule violence répugne à la liberté naturelle. Le libre arbitre veut librement tout ce qu’il veut de son gré et par sa volonté, quid<]uid sponle aut voluntate vult, en sorte que ce qu’il veut librement, il puisse aussi le vouloir nécessairement. » Ils n’ignoraient pas que, dans ses annotations sur la censure qui déclarait ces assertions fausses ou hérétiques, Baius avait répondu en distinguant la liberté prise au sens philosophique, libertas a necessitate, et la liberté prise au sens scripturaire, libertas a servitute ; s’il avait déclaré les propositions absurdes dans la première acception du mot liberté, il les avait.défendues dans la seconde. Plus tard, il avait repris et développé toute cette théorie dans son opuscule surle libre arbitre. Comme il y faisait consister la servitude de l’àme dans une nécessité involontaire, ou dans une inclination mauvaise dont on ne peut se débarrasser, une question se posait nécessairement : l’homme soumis à une nécessité de ce genre est-il responsable et péche-t-il ? En d’autres termes, avec la liberté qui exclut la contrainte et sans la liberté d’indifférence, peut-il y avoir mérite ou démérite ? Or, non seulement Baius n’affirme jamais la nécessité de la liberté d’indifférence pour qu’on puisse mériter ou démériter, mais il suppose le contraire dans des propositions que nous rencontrerons bientôt ; il affirme le péché’là où il n’y a pas cette liberté. En cela, il imitait Lutheret Calvin, comme le remarque Bipalda, op. cit., disp. XIV, sect. iii, n. 17-18 ; il préludait en même temps à cette proposition de Jansénius : « Pour mériter et démériter dans l’état de la nature déchue, l’homme n’a pas besoin de la liberté qui exclut la nécessité, mais il suffit qu’il ait celle qui exclut la contrainte. » Denzinger, Euchiridion, n. 968.

Les propositions 30e et 66e expriment donc la doctrine réellement contenue dans les écrits de Baius, elles la mettent en relief, parce qu’il s’agissait de démasquer une erreur capitale. En principe, comme dans l’application, quand il accumule les textes de saint Augustin pour soutenir ses vues, le chancelier ne se garde pas suffisamment contre une triple confusion : la première consiste à identifier plus ou moins ce qui est simplement volontaire avec ce qui est proprement libre ; la seconde à ne pas distinguer nettement la perlection du libre arbitre tel qu’il est en Dieu et dans les bienheureux, de la condition inférieure, mais normale, où il se trouve dans l’homme ici-bas ; la troisième, à prendre pour la simple liberté d’indifférence cette perfection spéciale du libre arbitre que possédait le premier homme avant la chute et qui lui permettait d’accomplir la justice dans toute sa plénitude, suivant la doctrine de saint Augustin : Libertas quidem periit per peccatum, sed illa, ejuæ in paradiso fuit, habendi plenam cum immorlalilatejustitiam. Contra duas epist. pelag., 1. I, c. ii, n. 5, P. L., t. xliv, col. 552. Que la liberté d’indifférence par rapport au bien et au mal ne soit pas essentielle au libre arbitre, même à celui de l’homme, rien de plus vrai ; mais il ne s’ensuit pas que la liberté d’indifférence ne soit point nécessaire ici-bas pour mériter et