Ces propositions forment la partie négative ou exclusive de la doctrine baianiste sur le fondement du mérite ; elles rejettent le sentiment de ceux qui exigeaient de la part du sujet une dignité ou excellence supérieure, résultant de l’adoption divine ou de lin habitation du Saint-Esprit, en d’autres termes la grâce sanctifiante. Il y a cette différence entre les quatre propositions, que les deux dernières sont modales, tandis que les deux premières sont absolues. Mais comme la doctrine est la même dans toutes, il faut nécessairement conclure que les propositions 12e et 17e sont condamnées à un double titre : d’abord pour l’erreur doctrinale qu’elles soutiennent, puis pour cette téméraire et offensante assimilation du sentiment contraire avec les vues de Pelage. Baius essaya de se justifier dans son apologie, en disant qu’il n’avait rien voulu trancher, mais qu’il avait simplement exposé ce qui pouvait être matière de controverse libre et inollensive pour la foi. Excuse insuffisante ; car en réalité, il avait opposé catégoriquement son opinion à la doctrine commune des théologiens, et surtout, comme théologien catholique, il n’avait pas le droit de proclamer libre une question où l’Église s’était prononcée contre les protestants. Le concile de Trente n’avait-il pas nettement affirmé que, pour produire des actes vraiment méritoires, l’homme devait être juste, agréable à Dieu, uni à Jésus-Christ comme un membre vivant ? Sess. VI, c. XVI et can. 32. Denziger, Enchiridion, n. 692, 724. Seule la grâce sanctifiante nous justifie et nous rend enfants de Dieu, qualité nécessaire pour avoir droit à l’héritage paternel : Si filii, et hæredes. Rom., viii, 17. Là, comme ailleurs, Baius s’est trompé étrangement dans l’interprétation d’un passage de saint Augustin, De natura et gratia, c. il, P. L., t. xliv, col. 248 sq. Ce docteur, parlant contre les pélagiens, dit que si l’homme pouvait de lui-même observer la loi et accomplir la justice, il devrait se tenir pour assuré de la récompense qui est la vie éternelle, car Dieu serait injuste s’il n’accordait pas aux justes la récompense de la justice. Proposition conditionnelle très vraie, remarque le cardinal Bellarmin ; et très vraie surtout dans l’hypothèse de Pelage ; mais s’ensuit-il qu’en fait, dans notre ordre de providence, la grâce d’adoption n’est pas nécessaire au mérite ? Évidemment non ; car le même Père enseigne par ailleurs que pour bien vivre, il faut devenir enfant de Dieu : quum ilatue non vivant bene filii tiominum, nisi effecli filii Dei. Contra duasepislolas pelagianorum, 1. I, c. ii, P. L., t. xliv, col. 502. Bellarmin, Refulalio Bail, fol. 160 sq. ; De justi/icat., 1. V, c. xii-xiii ; Vasquez, op. cit., disp. CCXVI, c. I. Cf. Acta et décréta concilii Valicani, op. cit., t. vil, col. 564.
14. Opéra bona justorum non Les bonnes œuvres des jus accipiunt in die judicii extremi tes ne recevront pas au jour
mercedem ampliorem, qudm du jugement dernier uniplus
justo Dei judicio mereantur grande récompense qu’elles
accipere. De meritis operum, n’en méritent d’elles-mêmes
1. II, c. IX. suivant le juste jugement de Dieu.
19. Opéra justifias et tempeLes œuvres de justice et de
rantiæ qua ; Christus fecit, ex tempérance, que Jésus-Christ
dignitate personæ operantis a faites, ne tiraient pas une
Bon traxenint majorera valoplus grande valeur de la di rem. Ibid., c. vu ; Baiana, gnité de la personne qui agis p. 144. sait.
18. Opéra catechumenorum, Les bonnes œuvres des ca ut fides et pœnitentia, ante retéchumènes qui procèdent la
missionern peccatorum facta, rémission de leurs péchés,
sunt vite œternæ mérita : quam comme la foi et la pénitence,
vitam ipsi non c quentiir, mérilent la vie éternelle ; mais
nisi priua preecedentium delipour qu’ils l’obtiennent, il faut
ctorum impedimenta tollantur. auparavant lever les obstacles
Ibid., c. vi ; liaiana, p. 19, formés par leurs péchés pas 90 sq. ses.
61. Illa doctorum distinctio, La distinction que font les
divins legis mandata bifariam docteurs d’une double manière
Impleri, altero modo, quantum d’accomplir la loi divine, l’une
ad præceptorum operum subbo bornant à la substance du
stantiam tantum, altero, quanprécepte, l’autre ajoutant un
tum ad certum quemdam mocertain mode, ou caractère mé dum.videlicet, secunduin quem ritoire, qui rend les œuvres
valeant operantem perducere dignes de conduire le sujet au
ad regnum aetemum (hoc est royaume des cieux, est une
ad modum meritorium), comdistinction chimérique qu’il faut
mentitia est et explodenda. rejeter. Baiana, p. 114.
62. Illa quoque distinctio, H faut aussi rejeter la dis qua opus dicitur bifariam botinction d’après laquelle une
num, vel quia ex objecto et action se dit bonne de deux
omnibus circumstantiis rectum façons, ou parce qu’elle est
est et bonum (quod moraliter bonne moralement, c’est-à-dire
bonum appellare consueveeu égard à l’objet et à toutes
runt), vel quia est meritorium les circonstances, ou parce
regni œterni, eo quod sit a qu’elle est méritoire du
vivo Christi membro per spiriroyaume éternel, comme faite
tum charitatis, rejicienda est. dans l’esprit de charité par un
Baiana, p. 115. membre vivant de Jésus-Christ.
Ce sont là des applications faites par Baius, ou des conséquences tirées de ses principes sur le fondement du mérite. La proposition 14e porte sur un point spécial et secondaire : Dieu récompense-t-il les bonnes œuvres au delà de leur mérite ? Question à laquelle on ne saurait sans témérité donner catégoriquement une réponse négative. Baius prétend n’avoir fait qu’user du droit de légitime discussion dans un problème libre. Quelques théologiens, Vasquez par exemple, doutent même que la proposition 14e ait été proscrite pour la simple négation qu’elle renferme ; mais ils ajoutent qu’il faut tenir compte de sa liaison avec d’autres, comme la 13e et surtout la 11e, où Baius établit, comme règle du juste jugement de Dieu, le rapport entre les bonnes œuvres, considérées comme acte d’obéissance à la loi, et la vie éternelle, comme récompense. On comprend alors cette raison apportée par le docteur lovaniste contre le sentiment qu’il rejette : la vie éternel le ne peut pas être grâce pour les anges ou pour l’homme innocent. Principe faux dans le sens exclusif que lui donne l’auteur. Bellarmin, De justificati/me, 1. V, c. xix ; Vasquez, op. cit., disp. CCXV, c. iv ; Kurth, Tlieologia sopltistica, Bamberg, 17’16, p. 151.
La proposition 19 » porte aussi sur un point spécial, les actions méritoires de Jésus-Christ. Baius convient qu’elle est fausse, mais il ne la reconnaît pas pour sienne, et proteste qu’il a toujours enseigné que les œuvres de l’Homme-Dieu tiraient de la dignité de sa personne une valeur infinie. Son texte, cependant, explique suffisamment l’accusation portée contre lui. A propos de son opinion sur le fondement du mérite, indépendant de la dignité de celui qui agit, il se pose cette objection : mais l’humble obéissance du Christ ne fut-elle pas d’autant plus méritoire, que celui qui obéissait et s’humiliait ainsi était plus grand ? Il répond : « La dignité de la personne n’augmente le mérite, qui est une propriété de la bonne œuvre, que dans la proportion où elle augmente la raison de vertu et de bonne œuvre, comme la chose a lieu dans l’obéissance et l’humilité… Mais dans les actes des autres vertus, justice, tempérance et autres, l’excellence de la personne n’ajoute pas plus au mérite qu’elle n’ajoute à la raison de vertu. » Qui ne comprendrait, en lisant ces lignes, que les œuvres de justice et de tempérance ne tiraient pas en Jésus-Christ une plus grande valeur de l’excellence de sa personne ? De là cette proposition 19 » , justement proscrite par saint Pie V ; car la dignité de la personne divine rejaillissait sur toutes les actions du Christ, pour leur communiquer un mérite supérieur, infini en son genre. Corps de doctrine, c. xiii, Baiana, p. 178.
Si le fondement du mérite consiste uniquement dans l’accomplissement de la loi, pourquoi les bonnes œuvres des catéchumènes qui précèdent la rémission de leurs péchés, comme la foi et la pénitence, ne seraient-elles pas méritoires de la vie éternelle ? Baius accepta, en