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d’un dialogue de Schérer, « qu’un homme qui n’avait rien lu, qui ne savait rien, » M, A. Rébelliau a établi « qu’amené par les circonstances à étudier l’histoire du protestantisme, Bossuet a fait un récit d’une exactitude presque irréprochable, d’une clairvoyance toujours judicieuse, parfois d’une originalité encore aujourd’hui méritoire » . Bossuet historien du’protestantisme, préface.

Le succès fut éclatant, mais provoqua des critiques et des réponses. Jurieu, entre autres, entreprit de réfuter Bossuet. Tout d’abord, il avait pris le parti de déclarer que la variation n’est nullement ignominieuse à l’Église, et que le christianisme, même en ses premiers jours et dans sa période la plus pure, n’en avait pas été exempt. C’était faire aux sociniens et aux sceptiques des concessions dont Jurieu sentit bientôt le péril ; néanmoins, ces concessions, .(urieu les avait faites ; nonobstant sa distinction des articles fondamentaux et de ceux qui ne le sont pas, il avait frayé la voie.au tolérantisme doctrinal et au socinianisme ; et Bossuet le combat sur ce terrain, dans ses Avertissements. Sans doute, les six Avertissements ne sont pas tous dirigés contre ces tendances lalitudinaires du fougueux controversiste. Le troisième Avertissement, à propos de la scandaleuse permission accordée par les chefs de la’Réforme au landgrave Philippe de liesse d’avoir deux femmes en même temps, délend contre Jurieu la vraie doctrine du mariage chrétien ; le cinquième Avertissement, si célèbre, réfute la théorie de Jurieu sur la souveraineté. Jurieu nous apparaît comme le précurseur de Rousseau ; Bossuet, si éloquent et qui frappe d’une main sûre tant de coups vigoureux, ne se souvient pas assez de la doctrine des grands scolastiques qui contient dans de justes bornes la souveraineté politique, et en prévient ou en réprime les excès. Ce reproche, nous l’adresserons aussi à la Politique tirée des propres parol.es de l’Ecriture sainte, où tout n’est pas exclusivement biblique. Mais le premier, le second, le troisième, le sixième Avertissements prouvent à Jurieu qu’il est contraint par la logique même du protestantisme d’admettre dans son Église jusqu’aux négateurs de la divinité de Jésus-Christ. Cette démonstration, Bossuet la fait avec une pressante et prophétique éloquence, surtout dans le sixième Avertissement, de tous le plus long et le plus considérable. « Par l’étude rigoureuse et serrée du passé de l’Église protestante, il visait à en faire sortir le fruit de librepensée rationaliste qu’à son avis elle portait en elle… Mais il aurait voulu qu’en présence de cette démonstration solide et de cette conclusion évidente, le protestantisme effrayé… revint s’abriter docilement dans cette Église où seulement le surnaturel chrétien pouvait se conserver intact… C’est le contraire qui est arrivé. Au lieu d’aborder aux rives romaines, le protestantisme s’est rejeté au large de la libre-pensée. » A. Bébelliau, Bossuet historien du protestantisme, 1. III, c. v.

Cela est vrai pour la doctrine, qui a continué d’aller où l’entraînait sa nature même ; cela est vrai aussi pour un grand nombre de protestants, qui sont devenus les déistes anglais du xviiie siècle, et, au xix c siècle, les disciples de Schleiermacher.de Reuss, d’Albert Réville, de Sabatier. Mais n’était-ce rien que de mettre à nu ainsi, devant les esprits attentifs et sincères, le fond rationaliste d’une doctrine qui avait prétendu restaurer dans la chrétienté’l’intelligence du véritable Evangile, et ramener au Christ Sauveur un monde (’garé, disait-on, par des docteurs suspects de pélagianisme et de légalisme juif ? Et après tout, que d’àmes éveillées, averties par la forte parole de Bossuet, ont voulu mettre leur christianisme à l’abri des altérations et des changements dans l’inexpugnable forteresse de l’orthodoxie catholique !

Notons, dans la première partie du sixième Avertissement, une exagération qui, de nos jours surtout, a été relevée. Nul n’a fait ressortir mieux que Bossuet le

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caractère immuable de la vérité venue de Dieu ; mais Bossuet a-t-il eu du développement de la doctrine une idée assez nette et assez précise ? Avec une indéniable sincérité, il s’est attaché à justifier de toute incertitude, de toute erreur, le langage et la doctrine de ces écrivains anténicéens qui lui étaient objectés par Jurieu. Sur ce point, Petau qui s’explique dans sa fameuse préface, mais qui, quoi qu’en ait dit Bossuet, ne se rétracte pas, Petau déclare que les erreurs reprochées à quelques Pères et à quelques écrivains antérieurs au concile de Nicée, n’atteignent pas la substance du dogme de la Trinité (à savoir, la distinction et la consubstantialité des personnes), mais certaines conséquences, et aussi certains essais d’explication des processions divines. Theol. dogm., De Trinitate, præfat., c. VI, § 1. D’ailleurs, comme l’a fait remarquer l’abbé (aujourd’hui Mo r) Duchesne, se défendant lui-même, parmi ces écrivains anténicéens dont le langage ou même la doctrine sont répréhensibles, « plus de la moitié… sont des personnes condamnées ou reprises par les autorités ecclésiastiques légitimes. » Les témoins anténicéens du dogme de la Trinité, Amiens, 1883, p. 32.

En 1691, entre le cinquième A vertissement et le sixième, Bossuet publia, en réponse aux critiques de Basnage, la Défense de l’Histoire des variations. « La Défense des variations n’est… pas une répétition pure et simple, sur un autre ton, de l’Histoire des variations : elle en est la continuation sur des matériaux plus nombreux, d A. Rébelliau, Bossuet historien du protestantisme, I. III, c. IV.

On était alors dans les années qui suivirent la révocation de l’édit de Nantes. Les Mémoires de Legendre, secrétaire de l’archevêque Harlay, les lettres de dom Michel Germain et du cardinal d’Estrées nous apprennent avec quelle froideur Innocent XI accueillit la nouvelle de cet acte politique, dont il redoutait le contre-coup en Angleterre. Bossuet, nous l’avons dit, le célébra, mais grâce à lui, il n’y eut point de dragonnades à Meaux. S’adressant aux nouveaux convertis de son diocèse, l’évêque pouvait leur dire, sans crainte d’un démenti : « Loin d’avoir souffert des tourments, vous n’en avez pas seulement entendu parler ; aucun de vous n’a souffert de violence ni dans ses biens ni dans sa personne. » Instruction pastorale du 10 mai 1686. Certaines exigences lui paraissaient inopportunes et périlleuses. A l’intendant de Languedoc, Basville, qui était d’avis de faire assister de force à la messe les nouveaux convertis (et souvent, quesignifiaituntel mot) ? Bossuetécrivait(ll juillet 1700) : « Toute ma difficulté est d’y recevoir ceux qui font profession publique de n’y pas croire, et qui, sur ce fondement, refusent opiniâtrement de communier. Tant qu’ils sont en cet état, je les crois incapables de proliter de la messe… De les y admettre, bien loin de les y contraindre de quelque manière que ce soit, c’est leur donner une faible idée de la sainteté du mystère, et leur inspirer de l’indifférence pour les bonnes dispositions qu’il faudrait avoir, et même pour y aller ou n’y aller pas… » Si l’on doit priver de la sépulture eccléi siastique les réformés qui avaient refusé les sacrements, i du moins faut-il « laisser aux parents et amis enterrer - leurs corps où ils voudront » , et épargner leur dépouille mortelle. « La coutume de traîner sur une claie cause plus d’horreur contre les catholiques qu’elle ne fait de bons effets pour les réunis. » J. Lemoine, Les évêques de France et les protestants. Afin d’éclaircir les difficultés persistantes dans l’âme de ces réunis, de les fortifier, do répondre aux objections des protestants et de leurs plus habiles ministres, Bossuet écrivait son Explication des prières de la messe (1691) : sa Lettre sur l’adoration de la croix, qu’il ne fit pas lui-même imprimer (1692) ; sa Lettre pastorale sur la communion pascale (1686) ; ses deux Instructions pastorales sur les promesses de l’Église | (1700, 1701), où, pour ramener les dissidents, il emprun II. - 31