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BOSSUET


tait à saint Augustin son plus pénétrant langage. L’Explication de l’Apocalypse et l’Avertissement qui l’accompagne (1689), le De excidio Babylonis, qu’il laissa en portefeuille et qui ne fut imprimé qu’en 1772, étaient dirigés contre les fanatiques exégètes qui prétendaient voir le pape dans l’Antéchrist, et la Rome pontilicale dans la Babylone de l’Apocalypse.

Controverse quiétiste.

Cette controverse et les

débats sur le jansénisme ont occupé une place considérable dans la dernière période de la vie de Bossuet.

Ce nom de quiétisme rappelle trois noms bien différents, Molinos, M me Guyon, Fénelon ; trois systèmes qu’il serait inique de confondre, ou même de mettre sur le même rang.

Un prêtre aragonais, Michel de Molinos, avait répandu dans le royaume de Naples des doctrines qui, retranchant de l’âme tout effort, tout acte, toute résistance aux convoitises de sa partie inférieure, toute espérance de la béatitude promise, toute réflexion sur elle-même, sur l’humanité sainte du Sauveur, sur les attributs de Dieu, sur le mystère de la Trinité, la plongeaient tout entière dans la contemplation de l’essence divine, où elle était censée trouver une pleine quiétude. Soixante-huit propositions de Molinos furent condamnées par la constitution Cselestis paslor d’Innocent XI (20 novembre 1687) ; mais si les pires conséquences de ce qu’on appelait le quiétisme furent rejetées ou n’osèrent plus s’avouer, le quiétisme lui-même, un quiétisme adouci sans doute et épuré, allait s’introduire en France dans les ouvrages et par l’influence d’une femme.

Jeanne-Marie Bouvier de la Motte, veuve à vingt-huit ans de Guyon, auquel on doit la belle entreprise du canal de Briare, unissait au goût et à la pratique des œuvres de charité un attrait pour la dévotion tendre, lequel malheureusement ne fut pas dirigé. Liée avec le barnabile Lacombe, homme d’une imagination exaltée, elle écrivit des ouvrages hardis par la doctrine, étranges par le style, par les prophéties qu’ils contiennent, par les éloges que l’auteur se décerne : Les torrents ; Le moyen cour tde faire oraison ; L’explication du Cantique des cantiques. Lacombe fut arrêté par l’ordre de l’archevêque de Paris, Harlay ; M mo Guyon, suspecte elle aussi, fut enfermée dans un couvent du faubourg Saint-Antoine, et soumise à des interrogatoires d’où elle sortit libre et justifiée. « Elle s’introduit dans la maison de Saint-Cr que venait de fonder M ii, e de Maintenons M rne de Maintenon elle-même a toujours dans sa poche Le moyen court. M mes de Chevreuse, de Beauvilliers, de Bélhune, la révéraient comme une sainte. Alors apparut Fénelon. » F. Strovvski, Bossuet, 1. II, c. m. Fénelon subit à son tour le charme subtil d’une doctrine qui répondait à certaines tendances de son esprit et de son cœur. Au lieu d’un guide, M me Guyon eut en lui presque un disciple, ce que ni l’évêque de Meaux, ni la postérité n’ont pu comprendre. « Je me relirai étonné, a dit plus tard Bossuet, de voir un si bel esprit dans l’admiration d’une femme dont les lumières étaient si courtes, le mérite si léger, les illusions si palpables, et qui faisait la prophétesse. » Relation st<r le quiétisme, sect. il.

La doctrine de M me Guyon, c’était que, même en cette vie, la perfection de l’homme consiste en un acte continuel de contemplation et d’amour de Dieu, lequel, une fois produit, sul>sist<> toujours, à moins qu’on ne le révoque expressément. Il suivait de ce principe qu’une âme arrivée à la perfection n’est plus obligée aux actes explicites, distincts de la charité’. Dans ce même état de perfection, l’âme doit être indifférente à toutes choses, aux biens spirituels et au salut aufant qu’aux biens temporels. Dans cet état, l’âme doit rejeter toute idée distincte, même la pensée des attributs de Dieu et des mystères de Jésus-Christ. Ce qui n’était pas moins dangereux que la doctrine, c’était l’esprit qui animait M™ Guyon : l’esprit propre, opposé a l’esprit de tradi tion et d’autorité, à l’esprit catholique. Convaincue que Dieu se communique aux simples et non aux docteurs, elle ressent pour la discipline, pour la hiérarchie, un mépris doux, inconscient, je le veux bien, mais invincible. Elle pourra se rétracter, voire plusieurs fois, elle ne changera point. Elle dira de Bossuet : « Toutes les difficultés qu’il me faisait, ne venaient, comme je crois, que du peu d’expérience qu’il avait des voies intérieures. » On l’a écrit : « C’est ici l’accent qui ne trompe pas. Visiblement elle a pitié de l’ignorance de Bossuet… De là ce terrible redoublement de confiance en elle-même, en ses visions, en ses expériences, en sa mission… Mais de là aussi l’étonnement, l’indignation, je puis dire l’effroi de Bossuet. Cet orgueil du sens individuel, c’est la ruine de la tradition. Il a raison de dire qu’il y va de toute l’Église. » F. Brunetière, Le quiétisme au XVIIe siècle.

Les idées qui prévalaient à Saint-Cyr effrayèrent l’évêque de Chartres, Godet des Marais, qui à son tour donna l’alarme à M me de Maintenon. Tronson, supérieur du séminaire de Saint-Sulpice, Bourdaloue, furent consultés ; et Fénelon, comptant sur un jugement favorable de l’homme qu’il regardait alors comme son maître, engagea M me Guyon à s’en rapporter à l’examen de Bossuet.

M me Guyon remit à l’évêque de Meaux sa Vie écrite par elle-même, qu’elle n’avait jamais communiquée à Fénelon. Bossuet en cite des fragments dans sa Relation sur le quiétisme, avec cette ironie grave où il excelle, mais aussi et surtout avec discrétion et réserve. Il crut avoir désabusé M 1° » Guyon, et il s’efforça de désabuser aussi Fénelon qui, trop porté à confondre la doctrine du pur amour avec des erreurs qui la compromeltraient s’il était possible, prétendait excuser les inexactitudes de langage d’une femme, et disait, rappelant le mot de l’apôtre, qu’il fallait éprouver les esprits. M me Guyofi demanda des juges et les obtint : c’étaient Bossuet, Noailles, encore évêque de Châlons, et Tronson. Du mois de juillet 1694 au 10 mars 1695, ils tinrent, dans la maison de campagne du séminaire de Saint-Sulpice, les célèbres conférences d’Issy, lesquelles avaient pour but de marquer les limites de la vraie et de la fausse mysticité. Fénelon, qui, s’engageant peut-être un peu plus qu’il ne convenait, avait écrit à Bossuet : « Ma conscience est dans la vôtre… Je suis prêt à me taire, à me rétracter, à m’accuser…, » Relation sur le quiétisme, sect. iii, avait été nommé, en 1695, à l’archevêché de Cambrai, et dès lors associé aux conférences. Trente articles lurent rédigés par Bossuet ; Fénelon refuse de donner la signature qu’il avait promise. « Qu’avons-nous à dire ? demande non sans hauteur, et avec une injuste sévérité, l’évêque de Meaux. Qu’il dissimulait ? ou bien qu’étant tout ce qu’il pouvait être, il est entré dans d’autres desseins, et l’a pris d’un autre ton ?… A quoi servent les raisonnements quand les faits parlent ? Ces faits montrent une règle et une raison plus simple et plus naturellepourjugerdeschangementsde conduite ; c’est, en un mot, d’être archevêque ou ne l’être pas ; d’avoir des mesures à garder avant que de relie, et de n’en garder plus quand l’affaire est consommée. > ; Jbid., sect. v, § 21-22. De fait, la situation de Fénelon était changée ; l’archevêque de Cambrai était un autre personnage que l’abbé de Fénelon. Aux trente articles, quatre autres lurent ajoutés ; et Fénelon, après avoir demandé quelques corrections et additions, consentit à souscrire.

Ni Bossuet ni Noailles n’avaient nommé M™ Guyon dans la condamnation qu’ils portaient contre les erreurs quiétistes ; Bossuet, rassuré par l’apparente soumission de cette femme qui s’était retirée dans son diocèse, lui avait même accordé un certificat dont elle abusa. Nous ne la suivrons point dans les péripéties de sa vie, répandant ses erreurs et les rétractant, emprisonnée à Vin cennes, à la Bastille, reléguée a Dlois ou elle s’éteignit