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BULGARIE

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défense du patriarche grec ; quelques jours après, sur la demande du Phanar, ils étaient exilés à Ismidt et la Porte interdisait la célébration des offices dans l’église bulgare de Constantinople, pendant que le patriarche excommuniait nommément les coupables. Le triomphe des Grecs ne dura guère qu’une semaine. Les émeutes soulevées par les Bulgares forcèrent les Turcs à ramener les exilés à Constantinople sur un vaisseau de guerre, presque en triomphe, et la Porte sommait ensuite le patriarcat d’exécuter le lirman impérial du Il mars 1870 dans les vingt-quatre heures. L’assemblée grecque avant répondu par des propositions inacceptables, le grandvizir riposta : « Attendu que le patriarcat fait tout ce qu’il peut pour amener une séparation entre le peuple grec et le peuple bulgare, le firman impérial est mis à exécution et l’exarchat bulgare est établi. Toute la responsabilité retombe sur le patriarcat, qui a poussé les choses à ce point. »

Munie de l’autorisation requise pour élire l’exarque, l’Assemblée nationale bulgare porta, dès le premier tour de scrutin, ses voix sur Hilarion, le premier champion de l’indépendance religieuse, 23 février 1872 ; mais, comme celui-ci était personnellement excommunié, pour ne pas pousser les choses à bout, il donna sa démission le 28 février et on élut à sa place Anthime, évêque de Viddin. A la suite de ce choix, le patriarche Anthime VI informait le grand-vizir qu’il ne pouvait pas reconnaître l’élection de l’exarque, que tout acte de sa part serait considéré par lui comme anti-canonique et illégal, et qu’il se réservait l’usage des mesures ecclésiastiques employées en semblable occurrence. La Porte se contenta de promulguer un iradé qui sanctionnait l’élection de l’exarque Anthime. Celui-ci ne tarda pas, d’ailleurs, à se rendre à Constantinople, où il fut reçu comme un triomphateur. Admis en audience par le sultan, il essaya à trois reprises d’avoir une entrevue avec Anthime VI, mais en vain ; il lui demanda alors l’autorisation de célébrer le jour de Pâques et n’en obtint aucune réponse, 16 avril 1872. Il s’abstint néanmoins de toute cérémonie ecclésiastique jusqu’au 23 mai 1872, fête des saints Cyrille et Méthode, les apôtres des Slaves, où il officia pontificalementet donna, à la fin de la cérémonie, lecture d’un acte qui proclamait l’autonomie religieuse des Bulgares.

Cette fois-ci, la séparation hiérarchique était bien consommée. A ce défi, le Phanar répondit par l’injonction d’avoir à se soumettre dans le délai de trente jours et la convocation d’un concile. Celui-ci fut tenu à Constantinople, « dans l’église patriarcale du glorieux martyr saint Georges le Victorieux… pendant les mois d’août et de septembre (v. s.) de l’an de grâce 1872. » En somme, ce prétendu concile des Églises orthodoxes ne peut à aucun titre jouir de l’œcuménicité. En effet, il ne comptait que le patriarche de Constantinople, Anthime VI, trois de ses prédécesseurs, Sophrone, patriarche d’Alexandrie, Hiérothée, patriarche d’Anlioche, Sophrone, archevêque de Chypre, enfin 25 métropolites ou évêques du patriarcat œcuménique. Le patriarche de Jérusalem, Cyrille, qui se trouvait à Constantinople, refusa de comparaître et s’embarqua précipitamment pour la Palestine, afin de ne pas tremper dans ce forfait. De plus, on n’avait adressé aucune invitation régulièreaux Églises serbe, roumaine et monténégrine, qui faisaient encore partie de l’empire ottoman, pas plus qu’aux Églises autocéphales de Saint-Pétersbourg, d’Athènes, de Carlovitz, de Sibiou et de Tchernovitz. Le concile eut beau, durant les trois séances plénières officielles des 10, 24 et 28 septembre 1872, prononcer l’excommunication contre les Bulgares et déclarer foncièrement schismatiques les adeptes du pltylélisme, c’est-à-dire du nationalisme, ses décisions ne furent aucunement reconnues et approuvées par les autres Églises autocéphales. A part l’Église du royaume hellénique, trop intéressée à suivre ses compatriotes, les autres se retranchèrent derrière le silence ou opposèrent un refus formel. Les évêques et les métropolites du patriarcat d’Antioche, réunis à Beyrouth, désavouèrent publiquement leur patriarche et manifestèrent que leur Église se séparait sur ce point de son pasteur. Le patriarche de Jérusalem fit la sourde oreille à toutes les ouvertures du Phanar, l’Église roumaine n’adhéra pas à la sentence, l’Église russe exprima un blâme public au concile, et le métropolite serbe, Michel, déclara qu’il ne pouvait rompre les liens communs de la foi, de la race et de la langue, qui unissaient sa nation à celle des Bulgares. Le patriarcat œcuménique, une fois encore, se trouvait donc isolé ; sa précipitation avait causé sa perte, son entêtement causera sa ruine. Depuis plus de trente ans les Bulgares sont déclarés schismatiques, sans que cette condamnation leur ait apporté le moindre préjudice. Tout au contraire, ce fossé creusé entre eux et les Grecs leur a permis de reconnaître plus facilement leurs compatriotes et de se livrer à cette propagande active, qui, en trente ans, a décuplé leurs forces. Du reste, la raison alléguée pour cette condamnation, sous le nom spécieux de phylétisme, ne cache qu’un motif d’intérêt national. Sur quelles preuves théologiques les Grecs peuvent-ils baser leur sentence d’excommunication contre les Bulgares ? Sur aucune. Le patriarcat bulgare d’Ochrida, celui de Tirnovo, s’étaient constitués d’une manière canonique par l’approbation du pape et du patriarche grec de Constantinople ; leur suppression n’était due qu’à l’intrigue et à la rapacité des Grecs, toujours portés à confondre l’orthodoxie avec l’hellénisme. Ce que les Grecs avaient détruit en 1393 et en 1767, à Tirnovo et à Ochrida, avec l’appui avéré des Turcs, les Bulgares, en 1870, avec l’aide de ces mêmes Turcs, étaient parfaitement en droit de le reconstruire.

XI. La période contemporaine, 1872-1903. —

Le 10e article du firman du Il mars 1870 soumettait à l’exarchat bulgare les quatorze métropoles suivantes : Boustchouk, Silistrie, Choumla, Tirnovo, Sofia, Vratza, Loftcha, Viddin, Nisch, Nyssava ou Pirot, Kustendil, Samakof, Vélès et Varna, sauf les localités dont la population n’était point bulgare. Pour les détails, voir les Échos d’Orient, 1899, t. ii, p. 278. En plus de ces régions données en bloc et sans retard, l’acte du sultan Abd-ul-Aziz promettait à l’exarchat tous les districts et toutes les localités, dont les deux tiers au moins de la population orthodoxe demanderaient à se détacher du patriarcat. Il y avait là pour l’avenir une superbe occasion d’agrandissement. Fécondée par le travail de la propagande, la promesse d’Abd-ul-Aziz devait permettre un jour de mettre la main sur la majeure partie de la Boumélie turque. C’est vraiment à partir du 23 mai 1872 qu’Anlhime de Viddin inaugura ses fonctions d’exarque. Peu après, il sacrait Dosithée métropolite de Samokof, nommait Hilarion de Macariopolis métropolite de Tirnovo ; ce fut ensuite le tour de Victor pour Nyssava, Syméon pour Prestav, Grégoire pour Silistrie. Les bérats furent accordés par la Porte à ces prélats, bien qu’il y eut encore des évêques grecs dans leurs diocèses. La proclamation solennelle du schisme prononcée par le Phanar obligeait ensuite Anthime à adresser une encyclique à tous les fidèles bulgares, pour les engager à ne pas s’effrayer de cette peine canonique, absolument sans portée sur eux, du moment qu’ils restaient dans l’Église orthodoxe. A la même occasion, l’exarque adressait une note conçue dans le même sens à toutes les Églises autocéphales, pour leur faire connaître la décision du peuple bulgare de rester orthodoxe, envers et contre tous.

Cependant, le patriarcat œcuménique aurait voulu que le sultan introduisit le mot de schismatique dans le firman d’investiture accordé à l’exarque et dans les bérats concédés aux métropolites bulgares ; de môme, il mit tout en œuvre pour qu’on obligeât les popes bul-