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CABALE

la matière et explique autrement l’existence du monde. Les Sephiroth offrent encore des traits de ressemblance avec les puissances, δυνάμεις, de Philon et des néoplatoniciens ; leur développement, avec l’émanation du νοῦς, de la ψυχή et de la φύσις de l’absolu ; et leurs triades, avec le rapport de la thèse, de l’antithèse et de la synthèse.

2o Le monde. — Le monde existe : D’où vient-il ? Qu’est-il ? Ici encore la pensée manque de netteté, le système n’est pas rigoureusement lié ; mais l’explication qui se dégage du fouillis et de l’enchevêtrement des images, est celle d’un grossier panthéisme. Les Sephiroth torment ce que le Zohar appelle l’homme idéal, l’homme supérieur, la figure ou forme de Dieu, le char ou Mercaba qui sert à l’En Soph pour produire le monde. En d’autres termes, elles sont les idées, les types des êtres qui vont être réalisés au dehors, et en même temps les forces qui vont les réaliser. Parmi elles un premier groupe se détache, transcendant, celui de la Sagesse et de l’Intelligence, unies à l’En Soph, que certains commentateurs ont eu raison d’appeler « l’univers intelligible » , car la chose, sinon le mol, se trouve dans le Zohar. C’est à ce groupe que, par fidélité à l’enseignement biblique, la cabale rattache l’idée de création. Pour créer, Dieu s’est servi de la parole ou du signe, des vingt-deux lettres de l’alphabet, en particulier de celles qui composent le tétragramme, et des dix premiers nombres. Il a émis des sons et tracé des signes et produit aussi le monde de la création, c’est-à-dire le monde des substances spirituelles, où règne Métatron. Ici, le Zohar dépasse de beaucoup le Sepher Iezirah ; il laisse loin derrière lui les jeux capricieux de la guématrie, du ziruf et du notaricon et se livre à une vraie débauche de combinaisons.

Au-dessous de ce premier groupe, se trouvent les sept autres Sephiroth, appelées les Sephiroth de la construction, parce qu’elles sont destinées à organiser le monde de la construction, celui qu’habitent les anges. Or, elles concentrent leur vigueur et leur énergie et déposent leur germe vivant dans le Fondement, c’est-à-dire dans le principe générateur et fécondant, dans ce que le Zohar appelle encore la matrice du monde, ni, p. 296 a. Après quoi la Royauté fait passer en acte toutes les Sephiroth et les réalise dans l’univers sensible.

La loi sexuelle sert ainsi à expliquer l’origine du monde ; elle est la forme primordiale de la création, ni, p. 44 b, 155 b, 290 a ; elle préside au développement de l’être, d’un bout à l’autre de l’existence, depuis Dieu jusqu’à la plus infime des créatures. Petite assemblée, p. 288. En Dieu, en effet, l’union parfaite de l’En Soph avec les Sephiroth n’est autre qu’une syzygie, qu’un accouplement, i, p. 50 a, qui assure l’épanchement vital sur l’univers. D’où il suit logiquement que cet univers n’est pas seulement l’œuvre de Dieu, mais quelque chose de Dieu lui-même ; ce qui revient à dire que la matière elle-même est quelque chose de Dieu ; car la matière, ou univers sensible, au-dessous du monde de la création et du monde de la construction, est conçue comme le dernier terme du développement ou plutôt comme la limitation de l’Infini dans le fini. L’être indéterminé qu’est l’En Soph va, en effet, en se déterminant, en se limitant de plus en plus. Chaque étape de son processus est une dégradation nouvelle et plus accentuée, où la condensation ou matérialisation de l’être divin est en raison directe de la distance qui la sépare du centre d’évolution, du point d’origine. Chaque ordre d’êtres sert d’enveloppe ou d’écorce de plus en plus sensible à l’ordre supérieur, tout en représentant quelque chose de spirituel ou de moins grossier par rapport à l’ordre inférieur. Mais, au dernier cercle, à la limite extrême, à la périphérie, il ne reste plus rien de spirituel, on ne trouve que la matière ou l’étendue, dégradation de la pensée, il, p. 74 a, et aboutissement ultime de l’être divin.

Or l’unité règne dans le monde, iii, p. 239 b, 290 a. L’En Soph, les Sephiroth, le monde de la création, de la construction et de la matière ne forment finalement qu’un seul tout, qu’un seul être : Dieu. Et, dans ce tout, l’univers sert d’enveloppe à l’En Soph, comme les pelures d’un oignon à la pulpe, comme l’écorce et la coquille à la noix du dedans, i, p. 19 b, 20 a ; il est le vêtement de Dieu. Dieu joue ainsi dans l’univers le rôle de l’âme dans le corps. De là cette conception monstrueuse qui fait de Dieu et de l’univers, pris dans leur ensemble, un grand androgyne, où le « court visage » , d’abord détaché du « long visage » , est ensuite fécondé par lui, et où le Roi et la Reine symbolisent par leur union le grand mariage du monde idéal avec le monde sensible, et constituent le grand couple, dont l’union est indispensable à la subsistance du monde. Petite assemblée, p. 218. Nous sommes loin, comme on le voit, de la création biblique, de la création ex nihilo. La gnose elle-même est dépassée ; car elle distingue clairement la matière de Dieu, en fait un principe mauvais et le siège du mal, avec lequel Dieu ne peut d’aucune manière entrer en contact. Ici, au contraire, la matière n’est pas considérée proprement comme un mal, mais comme une simple limite. Le Zohar, loin de l’opposer à Dieu, l’unit à lui, puisqu’il en fait le dernier terme du processus divin et quelque chose de Dieu, ce qui est. du plus pur panthéisme. Ce panthéisme, dégagé des éléments hétérogènes qui le traversent, peut se formuler ainsi : « De l’infini, ou du pur abstrait, ou du non-être, se développe l’être par la médiation de dix ou neuf modes idéaux, appelés Sephiroth. Ces modes sont des phases nécessaires, parce que le pur abstrait ne peut aboutir que médiatement à la réalité concrète. L’Infini, les modes médiateurs, et la réalité sensible sont un seul et même être aux différents points de son développement. » Karppe, op. cit., p. 409.

3o Anges et démons. — Franck se demande, op. cit., p. 166, pourquoi les auteurs de la cabale ne se seraient pas servis de la croyance aux anges et aux démons pour voiler leurs idées sur les rapports de Dieu avec le monde, comme ils se sont servis du dogme de la création pour enseigner tout le contraire, comme ils se servaient des textes de l’Écriture pour se mettre au-dessus de l’Écriture et de l’autorité religieuse ; et il regarde comme probable que tel a été leur but. Cela se peut ; mais il ne faut pas oublier que les anges avaient une place dans l’enseignement traditionnel juif, au moins depuis la captivité, et que leur rôle, laissant un libre jeu à l’imagination, n’était pas pour arrêter la spéculation des cabalistes, au contraire. Cependant la question de savoir comment ils ont été créés n’a pas été traitée d’une manière spéciale. Mais, à tenir compte de la loi générale de l’évolution de l’En Soph, dans le système cabalistique, il n’est pas invraisemblable de supposer qu’ils marquent une étape dans le processus divin et qu’ils sont, eux aussi, une concentration, une manifestation, « un vêtement » de Dieu. En tout cas, par leur nature, ils sont rangés parmi les êtres immatériels et lumineux ; mais ils ne constituent pas, comme au temps des Gaonim, de petites divinités et des catégories à part, s’échelonnant de l’homme jusqu’à Dieu et formant la cour céleste. D’après le Zohar, ils ne sont plus les compagnons de l’En Soph, ils ne composent pas sa garde d’honneur, ils sont relégués au-dessous des Sephiroth ; ils ont un chef, Métatron, qui habite le monde de la création. De là, Métatron dirige l’armée des esprits célestes, de ceux qui chantent et louent Dieu de s’être révélé par les Sephiroth, par l’Adam Kadmon, par la Loi, etc., ii, p. 128 b, 150 b, 245 a, 269 a ; iii, p. 167, 225 ; de là, il gouverne l’ensemble des mondes inférieurs, en y maintenant l’unité, l’harmonie et le mouvement. Sous sa direction des myriades d’anges habitent, au-dessous, le monde de la construction. Partagés en dix chœurs,