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BALMES


de trigonométrie. Ce qui révéla son merveilleux talent à toute l’Espagne fut l’excellente brochure qu’il composa, en pleine révolution, au sujet du pillage des biens de l'Église : Observaciones sociales, politicas y economicas, sobre los bienos del clero, Barcelone, 1840 ; 2e édit., 1854. Ce premier succès lui inspira la pensée de se produire sur un plus grand théâtre pour y travailler plus efficacement au relèvement et à la prospérité de son pays. Il vint à Barcelone, dans le courant de l’année 1841, et débuta par une seconde brochure dirigée contre Espartero : Consideraciones sobre la situation de Espana. Il fallait du courage pour braver en face une dictature toute-puissante. Vers le même temps, Balmés lia connaissance avec deux vaillants défenseurs de la foi, M. Boca y Cornet, publiciste de renom, et M. Ferrer y Sobirana, jeune avocat, son compatriote et son ancien riv ; il de classe à Vich. Les trois amis fondèrent une nouvelle revue, La civilizacion, qui obtint, au delà des Pyrénées, une vogue et une influence assez analogue à celle qu’eut chez nous le journal L’avenir. C’est à cette période, la plus féconde de sa trop courte carrière, que Bal mes entreprit ses deux ouvrages les plus importants : 1° Filosofia fundamental, 4 in-8°, Barcelone, 1 8 46, traduite en français par Edouard Manec, Paris, 1852 ; 2° El protestantisme) comparado con et catolicismo en sus relaciones con la civilizacion europea, 3 in-8°, Barcelone, 1842, 1844 ; Madrid, 1848 ; traduction française par A. de Blanche-Baffîn, Paris, 1852. L’idée qui les a dictés résume la tactique de l’auteur : s’opposer aux envahissements du protestantisme et de la philosophie moderne en Espagne. A la faveur des troubles de la guerre civile, l’Angleterre cherchait à naturaliser son inlluence dans la péninsule en y propageant les doctrines de la Réforme. « La crainte de voir ma patrie envahie par le schisme religieux, le spectacle des efforts tentés pour nous inoculer les erreurs protestantes, certains écrits (celui de M. Guizot en particulier) où l’on établit que la fausse réforme a été favorable au progrès des nations, voilà ce qui m’a inspiré l’idée de m’appliquer à cet ouvrage. » Telle est la déclaration explicite de l’auteur au dernier chapitre de son œuvre. Voici maintenant la méthode qu’il a employée : « J’ai eu en vue, dit-il, de démontrer que ni l’individu, ni la société ne doivent rien au protestantisme, pas plus sous l’aspect social, politique ou littéraire, que sous l’aspect religieux. J’ai examiné ce que nous dit l’histoire sur ce point, ce que nous enseigne la philosophie. » Le protestantisme comparé au catholicisme, trad. franc., t. iii, p. 381. Le résultat de son enquête fut de tous points conforme à ses prévisions. « Avant le protestantisme, la civilisation européenne avait reçu tout le développement alors possible ; le protestantisme faussa le cours de la civilisation et apporta des maux immenses aux sociétés modernes ; les progrès réalisés depuis le protestantisme n’ont point été obtenus par lui, mais en dépit de lui. » Op. cit., p. 383. Parvenue à cette hauteur, la thèse n'était plus seulement une question nationale et de pure occasion ; elle s’adressait à toutes les nations chrétiennes du passé et de l’avenir ; elle prenait sa place à côté des travaux de Bossuet et de Môhler. L’Histoire des variations avait confronté les enseignements successifs du protestantisme avec l’immutabilité des dogmes catholiques, immutabilité qui est le signe infaillible de la vérité. La Sym bolique de Mijhler avait sondé la Réforme dans un autre sens, celui de la pureté de doctrine et l’avait convaincue de s’en être éloignée sur les points les plus essentiels. Bestail le côté social à examiner : c'était aussi le plus intéressant à une heure où les résultats pratiques priment les théories. D’ailleurs il fallait une réponse à l’histoire de la Civilisation en Europe. Balmès reprit par la base l'édifice élevé par M. Guizot, étudia la société européenne sous toutes ses faces, dans tous ses éléments essentiels, dans le développement de toutes

les forces qui la constituent, et vint aboutir à cette conclusion : c’est l’Eglise qui, tantôt par des moyens directs, tantôt par des influences visibles, a détruit l’esclavage, rectifié dans l’homme le sentiment de la dignité, ennobli la femme, fondé la bienfaisance publique, donné naissance à la liberté civile et politique. Le protestantisme n’a rien ajouté à ces grandes lignes qui forment les assises de la vraie civilisation. Au contraire il les a altérées et il menace de les effacer. Le salut des sociétés, comme leur progrès, reste donc exclusivement l'œuvre de la religion catholique. L’Espagne fit écho à la voix de son fils : elle ferma ses portes à l’hérésie. Ce n'était pas encore assez. Il fallait prémunir la foi contre les infiltrations de la philosophie moderne. Balmès aborda cette autre partie de son programme dans la Filosofia fundamental. Le livre n’est pas une philosophie au sens ordinaire du mot. « Je ne me flatte pas, dit l’auteur dans la préface, de créer en philosophie ; j’ai voulu seulement examiner les questions fondamentales de la philosophie ; trop heureux si je contribue, même pour une faible part, à élargir le cercle des saines études, à prévenir un péril grave, l’introduction dans nos écoles d’une science chargée d’erreurs et les conséquences désastreuses de ces erreurs. » Nous n’avons pas à critiquer ici le tond des théories qui lui sont personnelles. Voir Mor Mercier, Critériologie générale, Paris, 1899, p. 97. Mais la théologie doit au philosophe Balmès le retour des écoles catholiques à la doctrine de saint Thomas. La Philosophie fondamentale, bien qu’elle s’en écarte, sur certains points, a beaucoup contribué à la remettre en honneur. Vallet, Histoire de la philosophie, Paris, 1881, p. 620. Ce qui frappe le plus dans le beau talent du philosophe espagnol, c’est avant tout un sens pratique merveilleux qui ne perd jamais de vue les côtés utiles des vérités et qui se maintient sans cesse dans un juste équilibre. Avec cela, beaucoup de clarté dans l’exposition, de finesse dans les analyses, de clairvoyance dans la portée et l’avenir des systèmes, de celui de Kant par exemple, enfin une profondeur et une originalité qui laisse loin derrière elle la banalité routinière et impersonnelle de tant d'œuvres du même genre. Le génie catholique, au xixe siècle, a produit peu de travaux aussi neufs et aussi solides. Si Balmès eût vécu davantage, il eût sans doute retouché et élargi ses premières études. L’excellence de sa méthode, si bien décrite dans son El criterio, l’Art d’arriver au vrai, trad. franc., Paris, 1852, lui eût fait tirer un parti extraordinaire des richesses de la science moderne. Mais une mort, hâtée par les excès d’activité d’une nature généreuse, devait ruiner ce brillant avenir. Après avoir collaboré quelque temps à La civilizacion, il se sépara, on ne sait trop pour quel motif, de ses anciens amis et fonda seul une autre revue, La sociedad, où il réfuta les objections les plus répandues contre la religion. On a recueilli plusieurs de ces articles dans Cartas a un esceptico ou Lettres à un sceptique. A mentionner aussi des instructions religieuses adaptées aux enfants : La religion demonslrada al alcance de los ninos. A la chute d’Espartero, Balmès fut appelé à Madrid où, pour servir les intérêts de son patriotisme et de sa foi, il créa un nouvel organe, El pensamiento de la nation, et joua un rôle spécial dans le projet il mariage de la jeune reine Isabelle avec le fils aine de don Carlos, projet qui devait mettre fin aux maux de la guerre civile. Malheureusement ce plan échoua et le grand patriote se retirant de la politique retourna à Barcelone, puis à Vich sa terre natale, où il espérait prendre un peu de repos. Mais il y rapportait le germe de la mort et une phtisie cruelle l’arrachait à la vie et aux honneurs que lui préparait l’Académie royale de Madrid, 9 juillet 1848. L’Espagne tout entinv porta le deuil du jeune prêtre catalan qui, à l'âge de 38 ans, lui laissait une gloire si pure, si lumineuse