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COMMERCE


prendre. Si nous acceptons la définition d’après laquelle la production est le résultat d’un travail de l’homme appliqué à la matière, qui lui donne de l’utilité ou augmente celle qu’elle a, l’industrie commerciale est productrice comme les autres. Le transport d’un produit d’un lieu dans un autre a pour résultat d’en élever la valeur. Une balle de coton a acquis un usage de plus et vaut davantage à Manchester que dans la plantation d’Amérique où elle a été récoltée. Ceci ne s’applique pas seulement à cette fonction de l’industrie commerciale qui a pour objet le transport, mais à celle qui s’occupe spécialement de la distribution des produits. Lorsque les caisses de thé arrivent de l’Inde ou de la Chine dans les magasins du négociant, elles ne sont pas encore à la portée du consommateur ; il faut les fractionner, les tenir à sa disposition pour le moment où il les désirera, les préserver contre toutes les causes nombreuses de destruction ou d’avarie. Telle est la fonction des marchands, tel est leur travail, qui dans son genre est productif d’utilité sociale.

L’avantage direct du commerce est pour les nations, comme pour les industries, de leur procurer des choses qu’ils n’auraient pas pu produire du tout ou qu’ils n’auraient pu produire qu’au prix d’un travail plus considérable que celui par lequel ils ont obtenu les marchandises échangées contre ces choses ; avec la même dépense de capital et de travail on pourvoit mieux à ses besoins.

Le commerce est avant tout un moyen de rendre les produits moins coûteux et d’accroître beaucoup la somme des satisfactions que l’homme peut tirer de son travail. En s’a tta chant uniquement à la formation du capital qui résulte d’un excédent des ventes sur les achats ou de la production sur la consommation, on néglige le principal pour l’accessoire.

Les avantages directs du commerce sont grands, moins pourtant que les avantages indirects. Le plus important de ceux-ci est de pousser au progrés dans les procédés de production, à la fois par la concurrence qui stimule le producteur et par l’appât du lucre croissant avec l’extension du marché. L’ouverture de nouveaux débouchés facilite les moyens d’acquérir les objets et en fait connaître de nouveaux.

Les avantages moraux du commerce ne sont pas moins considérables. Il met des hommes en contact avec d’autres hommes ayant des habitudes de pensée et d’action différentes ; le commerce est la cause de la plupart des relations des peuples civilisés entre eux et avec les peuples moins avancés qu’ils font profiter de leur culture. Ces communications ont été la source de plus grands progrès, chaque peuple a profité des découvertes accomplies ailleurs et le patrimoine intellectuel de la race humaine, sa puissance sur la matière ont été considérablement accrues. L’échange des procédés industriels, des théories scientifiques, même des idées morales et politiques est la conséquence des relations commerciales.

II. Le COMMERCE f.t la morale. — La théologie du haut moyen âge n’était pas favorable à la spéculation, au commerce exercé dans le but unique de lucre de bénéfice illimité. Dans la Somme théologique, II a ll x, q. lxxvii, a. 4, saint Thomas s’exprime en ces termes : « Le propre du commerce est de s’appliquer aux échanges. Or, le Philosophe, au livre l" r de sa Politique, c. I, V, VI, distingue deux sortes d’échange. L’une est connue naturelle et nécessaire. C’est l’échange, soit en nature, soit en argent, commandé par les nécessités de la vie. Mais un tel échange n’est pas proprement le fait des commerçants, il l’est plutôt des chefs privés on publics qui ont à pourvoir leur maison ou leur cité des choses indispensables à la vie. L’échange de la seconde espèce est celui d’une monnaie pour une autre ou d’objets quelconques pour de la monnaie ; opéré non à cause

des nécessités de la vie, mais en vue du lucre. Ce dernier échange est celui qui est regardé comme constituant proprement le commerce, selon le Philosophe, op. cit., c. vi. Le premier échange est louable, puisqu’il satisfait à une nécessité naturelle, le second, au contraire, est justement blâmé quste vituperalur), parce que de lui-même il satisfait à la convoitise du lucre, qui, loin de connaître quelque borne, s’étend à l’infini. C’est pourquoi le commerce, considéré en lui-même, a un certain caractère honteux (quamdam turpitudinem habet) comme n’impliquant pas en soi une fin honnête ou nécessaire. Toutefois, si le lucre, qui est le but du commerce, n’implique pas intrinsèquement quelque chose d’honnête ou de nécessaire, il n’implique non plus en soi rien de vicieux ou de contraire à la vertu. Dès lors, rien n’empêche que le lucre soit rattaché à quelque fin nécessaire ou même simplement honnête et ainsi le commerce sera rendu licite. Par exemple, un homme recherche dans le commerce un lucre modéré, mais il rattache celui-ci à l’entretien de sa maison ou même à l’assistance des indigents ; ou bien, on se livre au commerce en vue de l’utilité publique, on veut que les choses nécessaires à l’existence ne manquent pas dans le pays, et le lucre, au lieu d’être visé comme liii, est seulement réclamé comme rémunération du travail (quasi slipendium laboris). »

Nous avons tenu à citer intégralement ce passage qui montre bien la pensée, toute la pensée de saint Thomas. Le lucre peut donc être honnête, le docteur angélique le reconnaît expressément, mais en soi il entraîne peu de considération. Le lucre sans limite était peu estime, aussi a-t-il besoin d’un motif, et saint Thomas admet qu’il n’est pas illicite, quand on a pour but de subvenir à sa famille, aux indigents, ou de procurer des provisions nécessaires au public.

La plupart des auteurs anciens sont très sévères pour les commerçants. Ce qui caractérise pour eux la spéculation, c’est de vendre une chose plus chère qu’on ne l’a achetée, sans lui avoir fait subir la moindre modification. Quelques auteurs sont très rigoureux dans leurs appréciations. Jean Gerson s’exprime ainsi : Vendere rem ectrius quant empta est, si notabilis sit excessus in lucro, omnibus miser lis, periculis et induslriis h’nic inde compensatis, est regulariter de se malum, et pejus si propler indigentiam proximi hoc fiai. D’autres, au XVIIe siècle déjà, cherchent à étendre la légitimité du commerce. D’après saint Thomas, les commerçants, rendant des services, peuvent percevoir un profit légitime ; ils peuvent avoir la rémunération de leur travail et aussi un profit qui est un quasi slipendium. Les docteurs du moyen âge considéraient surtout le rôle social du commerce et redoutaient avec raison l’amour immodéré du lucre. D’ailleurs, l’existence des foires, des marchés, l’essor du commerce maritime prouvent bien qu’on ne méconnaissait pas entièrement son utilité.

Les dangers du commerce, ce sont les fraudes si fréquentes en ces matières, la violation du juste prix, la poursuite du lucre, non pour une fin licite, mais dans le seul but de s’enrichir in immensum. A la fin du XIVe siècle, saint Anlonin de Florence dislingue un négoce modéré, licite, juste, et la negocialio mundana proprement dite, pleine de vices et souvent de fraudes. Sumnia I /ici il., part, i, lit. i, c. xvi. Ne peut-on pas admet Ire d’ailleurs qu’il demeure vrai qu’un négoce de pure spéculation, ayant pour but unique le lucre, ait besoin d’un titre ou d’une autre fin qui le justifie ? On pourra discuter sur les qualités du motif, mais en soi cette idée n’est-elle pas éminemment favorable à la morale publique ?


Si l’opinion des anciens théologiens à l’égard du commerce (’lait plutôt empreinte de sévérité, les jugements

que le publie de noire siècle porte sur les transactions

commerciales tombent dans l’excès contraire. On aw-