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COMMODIEN

turément enlevés par la mort, ses sentiments sont les mêmes que ceux de saint Cyprien. Pas de haine, recommande-t-il, le martyre lui-même ne servirait de rien sans la charité. Pour être de vrais soldats du Christ, il suffit de fuir les plaisirs et les spectacles et de combattre ses propres passions. Que les femmes évitent le luxe et s’appliquent à ne porter que des vêtements simples. Que les riches ne se laissent point paralyser par l’avarice, mais pratiquent généreusement les œuvres de miséricorde. Que surtout les membres du clergé, lecteurs, diacres, prêtres et évêques, remplissent bien leur ministère et donnent l’exemple. Voir Monceaux, loc. cit., p. 477-478.

Sa théologie manque de précision sur la doctrine de la trinité. Quelques vers de ses poèmes. Carm. apol., v, vs. 91 sq., 277 sq., 363 sq., 617 sq., ont une couleur modaliste et patripassienne assez prononcée. Il semble ne voir dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et surtout dans les deux premiers, que des noms différents donnés à la même personne. Dieu s’est dit Fils, lorsqu’il s’est manifesté, et afin de n’être pas reconnu. Par suite, au sujet de l’incarnation, Commodien parle d’une façon trop générale des souffrances et de la mort de Dieu. Ibid., vs. 327 sq., 357, 414, 775 sq. En revanche, Commodien a accueilli quelques-unes des fausses opinions qui couraient de son temps, telles que la chute des anges provoquée par un commerce charnel, Instr., iii, P. L., t. v, col. 203, et le millénarisme de Papias. Instr., xliii, ibid., col. 234. De même, il s’est fait l’écho de quelques fables, telle que celle du lion baptisé des Acta Pauli et Theclæ. Carm. apol., xxix, vs. 621, Spicilegium, t. i, p. 38. Enfin, il a inséré dans son tableau de la fin du monde plusieurs traits, empruntés soit à l’ancienne traduction de saint Irénée, qui lui a fourni le nom de l’Antéchrist, Latinus, Instr., xli, vs. 13, P. L., t. v, col. 231, soit surtout aux livres sibyllins. Instr., xli-xlv, ibid., col. 231-236 ; Carm. apol., xxvii-xlvi, vs 798-1012, Spicilegium, t. i, p. 43-48. Sous sa plume, la fin du monde devient un drame. Néron doit sortir de l’enfer. Élie viendra marquer les élus. Au bout de sept ans, Latinus accourra de Babylone à Jérusalem, tuera Néron, se proclamera le Christ, sera reconnu et adoré par les juifs. Alors surgira le vrai Christ avec les juifs perdus au delà de l’Euphrate ; il taillera en pièces l’armée de l’Antéchrist et s’emparera de Jérusalem. Ce sera le début du règne de mille ans, après quoi le monde s’écroulera et le jugement dernier aura lieu. Certains traits de ce tableau se retrouvent, plus ou moins déformés, dans Victorinus, Lactance, Tichonius, etc. Cf. Pitra, loc. cit., p. xxiii ; Monceaux, loc. cit., p. 478-480.

Poète, Commodien accuse une époque de décadence ; il connaît peu la prosodie classique ; il a recours au rythme, emploie l’accent tonique, qui tient lieu de mesure et de quantité, et rappelle ainsi les poêles primitifs de Rome. C’est de la poésie populaire, telle que la comprenait et la goûtait la race mêlée des environs de Carthage ou des provinces. Selon Bède, rythmus est verborum modulata compositio, non ratione metrica sed numero syllabarum, ad judicium aurium examinata, ut sunt carmina vulgarium poetarum. De metrica, 24, P. L., t. xc, col. 173. C’est le quasi versu, dont parle Gennade. « Pour donner à ceux qui lisent ces vers de hasard l’illusion des vers classiques, il conserve la césure après le second pied et forme le cinquième d’une syllabe accentuée suivie de deux qui ne le sont pas. » Bardenhewer, Patrologie, édit. franç., Paris, 1898, t. i, p. 356. Sa versification offre, en effet, un sujet difficile. « Il avait l’intention de faire des vers métriques : il recourt à son oreille qui lui suggère une mesure tonique. Ainsi s’explique le mélange bizarre de prosodie et de rythme tonique qui est le fond de sa versification. Quand le vers paraît rythmique, il l’est malgré la volonté de l’auteur. » Lejay, loc. cit., p. 386-387. Commodien n’est pourtant pas un ignorant ; car il loue, en passant, Térence, Virgile, Cicéron. Cf. Dombart, De fontibus Commodiani, præf., p. iii-vii. Sa forme poétique est celle dont l’Église usera dans les inscriptions funéraires et ses chants liturgiques. Dom Pitra écrit avec raison : Malim Commodiani mei versum, horridiore asperum cultu quam calamistris inustum. Placet namque mihi martyris aut martyrum præconis testimonium nudum, nihil fuco temperatum, nihil quod rhetorum artem aut sophismata philosophorum, nihil quod nugas sapiat Alexandrinorum. Spicilegium, t. i, p. xxv. Au demeurant, comme l’a fort bien dit Cave, son œuvre poétique est un remarquable monument de la piété antique, où éclate partout l’esprit de la vertu chrétienne et de la discipline, un zèle immense et incomparable, un amour sans bornes pour le Christ, une prédilection marquée pour les pauvres et un cœur vaillant prêt au martyre. M. Monceaux, loc. cit., p. 481-489, a étudié avec une compétence spéciale la langue et la versification de Commodien. Le poète écrit dans la langue populaire, et sa versification est restée une énigme. M. Monceaux n’admet chez Commodien ni la versification rythmique, ni des règles fixes. Le poète ne respecte pas plus les lois du rythme tonique que celles de la prosodie. Ses vers ressemblent vaguement aux hexamètres classiques ; ils sont presque tous faux, bien que Commodien ait voulu les faire corrects. Imitation approximative de l’hexamètre classique, césure régulière, hémistiches symétriques, rythme à peu près normal des deux derniers pieds : tels sont les procédés instinctifs de sa versification élémentaire. Joignez-y l’emploi de l’acrostiche, du distique, le goût du parallélisme et l’usage, tantôt systématique, tantôt capricieux, de la rime. Commodien n’était pas un lettré, mais plutôt un demi-lettré, qui sème des barbarismes et fabrique de mauvais vers, parce qu’il ne sait pas mieux faire.

Commodien n’a pas connu que les auteurs profanes, poètes ou prosateurs ; il a aussi utilisé certains apocryphes, tels que le livre d’Hénoch, les Acta Pauli et Theclæ, les Actes de Pierre perdus ; il a puisé dans Papias, les livres sibyllins, Hermas. Harnack, Theologische Literaturzeitung, 1876, p. 51 sq. Zahn a relevé des rapprochements avec les œuvres de saint Théophile. Geschichte des neutestamentlichen Kanons, Erlangen, 1881-1884, t. ii, p. 301 sq. ; t. iii, p. 259. Dombart en a relevé d’autres avec Minucius Félix. Commodiani opera, Vienne, 1887, p. iii, note 5. Il paraît se souvenir de Lactance et a peut-être mis à contribution saint Irénée et saint Théophile d’Antioche. Mais c’est surtout avec Tertullien et saint Cyprien qu’il a de nombreux points de contact. Comme eux, il se servait de la même version de l’Écriture et connaissait les livres protocanoniques et deutérocanoniques de l’Ancien Testament ; mais il ne possède ni la force ni l’originalité du premier, ni la douceur ni l’élégance du second ; il reste un écrivain intéressant, mais d’un ordre inférieur.

I. Éditions. — Les Instructiones ont été éditées par Rigault, Toul, 1649 ; 2e édit., 1650 ; rééditées par Galland, Bibliotheca veterum Patrum, t. iii ; Migne, P. L., t. v, col. 189-262. Œhler en a fait une édition nouvelle, Leipzig, 1847. Le Carmen apologeticum a été découvert et publié par Pitra, Spicilegium Solesmense, Paris, 1852-1854, t. i, p. xvi-xxv, 20-49, 587-543 ; t. iv, p. 222-224. H. Rönsch en a donné une nouvelle édition dans Zeitschrift für die historische Theologie, 1872, t. xlii. p. 163-302. Les deux poèmes ont été édités ensemble par Ludwig, Commodiani opera, Leipzig, 1877-1878 ; Dombart, Commodiani opera, dans le Corpus script., de Vienne, 1887, t. xv.

II. Travaux. — Outre les études de Rigault, Dodwel, Cave, Pitra, déjà signalées dans l’article, Freppel, Commodien, Arnobe, Lactance, Paris, 1893 ; Ebert, Commodians carmen apologeticum, dans Abhandl. der sächs. Geschichte der Wissenchaft, Leipzig, 1870, t. v, p. 387-420 ; Leimbach, Carmen apologeticum, program, Smalcalde, 1871 Kælberlah, Curarum