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COMMUNISME

2o Les hérésiologues. — À partir du ive siècle, les sectes communistes obligent les théologiens et l’Église à se prononcer directement sur le problème que les primitifs résolvaient sans le poser, en termes implicites. C’est une situation nouvelle.

Une secte d’origine orientale, ennemie du travail manuel, érige le communisme de tous les biens en maxime du salut : la secte des apostoliques. Voir t. i, col. 1631. Saint Épiphane oppose la tradition à ces faux ascètes, en la développant : « L’Église possède la chasteté et ne blâme pas la vie conjugale ; l’Église possède la pauvreté et ne s’élève pas contre ceux qui détiennent justement des richesses et qui ont hérité de leurs parents, aux fins de subvenir à soi-même et aux pauvres. » Hær., lxi, P. G., t. xli, col. 1041. Par un raisonnement théologique, d’esprit traditionnel encore, Épiphane rappelle la récompense que le Christ promet aux hôtes de ses disciples, et son précepte de l’aumône : l’un et l’autre supposent que le Sauveur admet le droit de propriété et son exercice même, comme compatibles avec la vie d’un juste, col. 1044.

Une secte d’origine dualiste est clairement visée dans ce passage d’une catéchèse de saint Cyrille de Jérusalem, si décisif : « Les richesses ne sont pas l’œuvre du démon, comme le pensent quelques-uns. Usez de l’argent avec honnêteté, et il ne sera pas mauvais… Je dis cela pour les hérétiques qui condamnent toute possession et toute richesse, comme ils condamnent le corps. Je ne veux pas que vous soyez esclaves des richesses ; mais que vous ne voyiez point en elles un ennemi, lorsque vous les tenez de Dieu pour votre bien. » Cat., viii, n. 6, P. G., t. xxxiii, col. 632.

Suint Augustin signale aussi le communisme des apostoliques à titre d’hérésie : « Superbement, ils s’intitulent apostoliques, parce qu’ils ne reçoivent dans leur société ni gens mariés ni propriétaires : en cela ils se rapprocheraient de moines et de clercs nombreux dans l’Église catholique ; mais ils deviennent hérétiques lorsqu’ils refusent tout espoir de salut à ceux qui retiennent les biens dont eux-mêmes se privent. » Hær., xl., P. L., t. xlii, col. 32. À propos de la même hérésie, saint Augustin explique la légitimité de la richesse privée dans le sens traditionnel, s’autorisant : 1o de l’histoire du jeune homme riche ; 2o des recommandations de saint Paul à Timothée ; 3o de la description biblique des richesses d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, toutes bénies de Dieu. Epist., clvii, ad Hilarium, n. 23, 25, 26, P. L., t. xxxiii, col. 686, 687.

À propos des confiscations de terres et de villas exercées en Afrique contre les donalistes, saint Augustin reconnait encore le droit de propriété privée ; mais comme un « droit humain » , déterminé par les princes et les luis, tandis que de « droit divin » , selon les Écritures, tout est à Dieu : « La terre est au Seigneur avec tout ce qu’elle contient : Dieu fit riches et pauvres d’un même limon, et une même glèbe les supporte. C’est selon le droit humain qu’un homme dit : « Cette villa, cette maison, ce serviteur est à moi. » Ceci est de droit humain et de droit impérial ; et pourquoi ? Parce que Dieu distribua les droits humains au genre humain par les empereurs et les rois. » In Joa., tr. VI, n. 25, P. L., t. xxxv, col. 1436-1437. Cf. Epist., xciii, c. xii, n. 50, P. L., t. xxxiii, col. 345.

Ainsi, par voie d’autorité légale, l’institution de la propriété privée remonte à Dieu même, selon saint Augustin.

Ainsi, en tant qu’il se réclame de l’Évangile et se pose comme une loi de salut et de justice, le communisme est classé comme une hérésie parmi les Pères.

3o Avec les homélistes, la doctrine traditionnelle se maintient quant au droit de propriété ; seulement, au lieu des hérésies communistes, les Pères combattant des abus de la richesse ; cette visée nouvelle entraîne le développement d’aspects nouveaux dans la doctrine reçue.

Saint Ambroise dirige l’exposition de son livre sur Naboth contre les accapareurs de biens-fonds. De Nabuthe Jezraëlita, P. L., t. xiv, col. 731-756. Cf. I (III) Reg., xxi. « Parmi les opulentissimes, lequel ne s’efforce pas de bousculer le pauvre en dehors de son petit champ, et d’éliminer les sans-richesse des confins de sa terre ?… De quel riche une propriété voisine n’enflamme-t-elle pas la cupidité ? » i, l, col. 731. Ces allusions n’ont rien que de très fondé : les historiens décrivent cet accaparement territorial qui se perpétuait au ive siècle, dans l’aristocratie chrétienne, comme le péché héréditaire, la tare originelle du patriciat romain. Voir Ammien Marcellin, sur les Anicii, sur Sextus Petronius Probus, xxiii, 2-xxvii, 3, 11. Paul Allard, Julien l’Apostat, i, L’aristocratie chrétienne, p. 167, 171.

Aux patriciens accapareurs, Ambroise rappelle une vérité que les anciens Pères ne signalaient pas, mais qui est bien encore d’esprit évangélique, d’essence chrétienne : la création de la terre pour la vie et le bien de tous, par un Dieu Père de tous. Seulement, il accentue cette revendication des fins universelles de la terre et de ses biens, jusqu’à paraître nier le droit particulier du riche : « C’est en commun et pour tous, riches et pauvres, que la terre fut créée : pourquoi donc, ô riches, vous arrogez-vous le monopole territorial ? La nature ne connaît point de riches ; elle n’engendre que des pauvres : nous ne naissons pas avec des vêtements, nous ne sommes point enfantés avec de l’or et de l’argent. » i, 2, col. 731. L’aumône devient en conséquence une restitution :

« Ce n’est pas de ton bien que tu accordes à

l’indigent, mais du sien que tu lui rends ; car c’est un bien commun, donné à l’usage de tous, que tu usurpes tout seul. La terre est à tous, non aux riches. » xii, 53, col. 747. L’aumône est de la simple justice : « Il est injuste que ton semblable ne soit point aidé par son compagnon, surtout quand le Seigneur Dieu voulut que cette terre fût la commune possession de tous les hommes et leur offrit à tous ses produits ; mais l’avarice a réparti les droits de possession : avaritia possessionum jura distribuit. » In ps. cxviii, serm. viii, n. 22, P. L., t. xv, col. 1303.

Cependant, la donation providentielle de la terre à l’humanité n’empêche pas, toujours selon saint Ambroise, la légitimité de la possession individuelle, ni même de la richesse. « Ce ne sont pas ceux qui ont des richesses, mais ceux qui ne savent pas en user, que frappe la sentence divine : Malheur à vous, riches. » Expositio Evang. sec. Luc., l. V, n. 69, P. L., t. xiv, col. 1654. L’état de riche et de propriétaire n’est pas mauvais en soi : « Ce ne sont pas les riches qui sont damnables, mais les richesses des pécheurs. » In Ps. xxxvi, 14, P. L., t. xiv, col. 972.

Cette formelle réserve du droit de propriété nous oblige donc à faire la part de l’hyperbole oratoire et de la réaction extrême, dans le prédicateur et le moraliste militant qu’est saint Ambroise : son expérience de patricien et de magistrat l’a sans doute documenté d’observations assez attristantes pour motiver cette allure outrancière ; mais le bon sens naturel et la modération chrétienne n’y perdent pas leurs droits. Le livre sur Naboth représente la richesse comme un présent divin :

« De Dieu vous avez reçu ce que vous devez aux

pauvres ; à Dieu appartiennent vos dons, » c. xvi, n. 66, col. 753 : l’état de riche n’est pas en soi mauvais.

L’attitude de saint Basile est toute pareille en face des accapareurs de blé, de vin et d’huile qui spéculent sur la disette en Cappadoce. Homil. dicta tempore famis et siccitatis, n. 2, P. G., t. xxxi, col. 309. De même que saint Ambroise, il établit la destination providentielle des biens terrestres pour l’avantage de tous. Deux de ses comparaisons sont devenues célèbres chez les socia-