b. Ces divergences accidentelles dans l’exposition des dogmes proviennent aussi des milieux bien différents où les auteurs ont vécu. Ainsi dans la période patristique, l’on observe une différence caractéristique entre l’esprit romain ou africain d’un Ambroise ou d’un Cyprien porté surtout vers les questions pratiques et le génie grec d’un Origéne ou d’un Grégoire de Nysse s’arrêtant de préférence aux questions spéculatives. L’excellent ouvrage du P. de Régnon, Études de théologie positive sur la sainte Trinité, Paris, 1892, peut donner une juste idée des spéculations du génie grec dans la plus belle période de sa métaphysique théologique.
c. Ces divergences accidentelles dans l’exposition des dogmes résultent encore de l’inlluence de systèmes philosophiques, auxquels on emprunte des expressions ou des formules, pour exprimer des idées chrétiennes plutôt que pour représenter les concepts particuliers d’une école. C’est ce que l’on peut observer spécialement chez Clément d’Alexandrie et chez Origéne qui, en réalité, ne se rattachent à aucune école philosophique déterminée. Quant aux opinions platoniciennes de quelques Pères, notamment de saint Augustin, elles ne peuvent être considérées comme ayant eu une inlluence appréciable sur leurs idées théologiques. Ainsi saint Augustin, franchement néoplatonicien tantque sa philosophie concorde avec ses doctrines religieuses, n’hésite point, dans le cas contraire, à subordonner sa philosophie à sa foi. Quand il adapte quelques théories néoplatoniciennes à ses explications dogmatiques, en réalité il n’emprunte à cette philosophie que l’expression représentant avant tout, pour lui, la pensée chrétienne. D’ailleurs, ces doctrines empruntées à la philosophie néoplatonicienne, appartiennent en grand nombre à la véritable et saine philosophie de tous les temps. Voir t. i, col. 2325 sq. Les mêmes remarques doivent être proportionnellement appliquées à l’usage que les scolastiques ont fait de l’arislotélisme dans l’explication des dogmes. Voir Aristotélishe de la SCOLASTIQUE, t. i, col. 1875 sq.
d. Quelque notables que puissent paraître ces divergences accidentelles dans l’exposition ou l’explication des dogmes, on doit, au point de vue strictement dogmatique, y attacher très peu d’importance. Ce que l’on doit surtout rechercher et observer, c’est la pensée dont ces expressions ne sont que le vêtement extérieur, c’est le concept dogmatique qui est pour tous ces auteurs la première préoccupation. Et si l’on constate, comme cela se rencontre de fait le plus souvent, que, malgré tant de causes apparentes de doctrines divergentes, il y a vraiment identité substantielle, on devra conclure qu’un tel accord doctrinal, indépendamment de toute autre considération, crée par luimême une forte présomption en faveur des vérités sur lesquelles il se maintient avec une telle constance.
2. L’histoire atteste en même temps que le principal fadeur constitutif de ce progrès dogmatique fut toujours l’action du magistère infaillible de l'Église ; facteur constitutif non en ce sens qu’il crée le dogme, puisque celui-ci ne peut provenir que de la révélation divine explicite ou au inoins implicite ; mais en ce sens que l’Eglise détermine, avec une souveraine autorité, ce qui, dans le travail antérieur des Pères ou des théologiens, occasionné par quelque controverse avec les hérétiques ou entre théologiens catholiques, présente vraiment, dans toute sa pureté et dans toute son intégrité, le dogme révélé. Ce que le magistère ecclésiastique ne propose point comme tel, n’a point droit à être rangé parmi les dogmes catholiques, bien qu’il puisse appartenir indirectement au dépôt de la foi, quand l'Église aflirme son intime connexion avec l’enseignement divin. Il est vrai que ce que l'Église ne définit d’aucune manière, peut parfois apparaître au
jugement privé des théologiens comme certainement révélé ; et que, dans cette hypothèse, d’ailleurs difficilement réalisable, ces théologiens doivent y donner l’adhésion de la foi, mais cette vérité n’est point un dogme, parce que la proposition de l’Eglise fait défaut. En fait, ce qui n’est aucunement défini par l'Église ou qui n’est point ratifié par un consentement unanime des théologiens supposant une approbation tacite de l’autorité ecclésiastique, rentre habituellement dans le cadre des opinions librement discutées, du moins jusqu'à ce que sa connexion avec une vérité révélée ou même son appartenance implicite à la révélation divine, soit devenue manifeste au jugement des théologiens et surtout au jugement de l'Église.
A l’appui de ces conclusions historiques, il nous suffira de rappeler quelques-uns des faits précédemment cités : la définition de la consubstantialité du Verbe au premier concile de Nicée, sans que l’on eût' nécessairement approuvé toutes les positions prises par saint Atlianase et par les autres défenseurs de la foi catholique au cours de la discussion avec Arius ; la définition de la maternité divine de Marie et de l’unité de personne dans la dualité des natures en Jésus-Christ, aux conciles de Chalcédoine et d’Ephèse, sans que l’on eût, même implicite ment, approuvé ton tes les expressions ou affirmations de saint Cyrille d’Alexandrie, le principal champion de l’orthodoxie catholique ; les définitions ecclésiastiques portées contre Pelage et ses disciples et contre les semipélagiens aux ive et ve siècles, sans que l’on eût, par le fait même, approuvé toutes les assertions ou opinions de saint Augustin, le grand docteur de la grâce.
Nous sommes donc autorisés à conclure que le magistère infaillible de l'Église, statuant avec une souveraine autorité sur le travail préparatoire des théologiens, est le principal facteur constitutif du progrès dogmatique.
3. Enfin l’histoire témoigne que les définitions du magistère ecclésiastique ont, à leur tour, souvent occasionné un nouveau développement dogmatique, en fournissant aux recherches et aux discussions théologiques une base plus solide, en limitant le champ des controverses et en resserrant l’union des catholiques. Vacant, Études théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, t. ii, p. 30b' sq. Ce développement dogmatique, d’abord effectué dans les écrits des théologiens, a parfois conduit, avec l’approbation de l'Église, à un progrès dans les définitions explicites du magistère ecclésiastique. Ainsi les déclarations du concile de Florence dans le décret Ad Armenos sur les sacrements fortifièrent le consentement des théologiens et préparèrent les définitions positives du concile de Trente. Nous rappellerons aussi particulièrement l’heureuse inlluence de beaucoup de décisions dogmatiques des conciles de Trente et du Vatican, écartant des opinions reconnues peu conformes à l’enseignement ecclésiastique, et réalisant même parfois, parmi les théologiens, un accord doctrinal bien apte à préparer des définitions subséquentes. Ainsi l’affirmation du concile de Trente déclarant qu’il n’avait aucune intention de comprendre, dans le décret sur le péché originel, la bienheureuse Vierge immaculée, mère de Dieu, et insistant sur la fidèle observance des constitutions apostoliques de Sixte IV sur cette matière, écarta les dernières oppositions et conduisit au consentement unanime qui prépara la définition portée par Pie IX. De même l’enseignement du concile de Trente sur l’inspiration des Ecritures, à propos de leur canon intégral défini dans la IVe session, statuant simplement que Dieu est l’auteur des écrits justement considérés comme saints et canoniques, fixa le consentement des théologiens du moins sur la substance de la notion de l’inspiration ; ce qui prépara la définition plus complète donnée par le concile du Vatican.