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DOGME
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remarquable que ce concept du progrès dogmatique, si explicite chez, cet écrivain du Ve siècle, ait eu si peu d’influence sur les auteurs des siècles suivants, jusqu’au xixe siècle où l’attention universelle fut attirée sur le grave problème de la conciliation entre la nécessaire immutabilité des dogmes et les incontestables développements manifestés surtout par les travaux récents de la critique historique. Mais quelles qu’aient rie les causes de ce manque d’inlluence, saint Vincent de Lérins n’en eut pas moins un très grand mérite d’avoir si nettement formulé, à une époque aussi reculée, un enseignement que le concile du Vatican devait, dans des termes assez analogues, définir quatorze siècles plus tard.
B. Un exemple non moins remarquable, niais qui eut une inlluence plus heureuse presque dès les débuts, fut celui de saint Anselme arrivant, par le labeur personnel d’une étude très approfondie, à donner le premier, au XIe siècle, une formule très explicite et assurément très neuve du dogme de la rédemption satisfactoire accomplie par Jésus-Christ..1. Rivière, Le dogme de la rédemption, l’aris, 1905, p. 498 sq. A l’ancienne exposition dogmatique, insistant d’une manière générale sur la délivrance intégrale accomplie par l’incarnation et par la mort du Fils de Dieu, le grand initiateur de la scolastique au xi° siècle substitua une proposition très nette de l’expiation satisfactoire accomplie en toute justice par le Verbe incarné ; expiation qui ne pouvait être ainsi offerte que par une personne divine unie à la nature humaine, puisqu’une satisfaction d’une valeur infinie était rigoureusement nécessaire. Ce concept explicite de la rédemption satisfactoire, réellement contenu dans la tradition patristique dont il n'était que le développement légitime, fut peu après, grâce surtout aux erreurs d’Abélard, perfectionné par le génie tbéologiquede saint Thomas ; mais le rôle considérable de saint Anselme, en dehors de toute influence occasionnelle d’hérésie ou d’erreur, n’en est pas moins remarquable. En résumé, ici encore se manifeste la conclusion déjà mentionnée que le développement dogmatique au cours des siècles n’est régi par aucune stricte loi, ni dans les causes ou occasions qui lui donnèrent naissance, ni dans la marche progressive ainsi occasionnée.
2° Fadeurs immédiats de ce progrès.
Les constatations historiques, que nous venons de rappeler, nous autorisent à déduire en toute sécurité les conclusions suivantes : 1. Il est historiquement prouvé que les définitions nouvelles, portées par l'Église, sont habituellement préparées par le travail des Pères et des théologiens, accompli sous la direction et avec les encouragements ou l’approbation de l'Église. A. On doit bien observer que ce travail ne peut être qu’un facteur préparatoire, puisque l'Église, seule chargée par Jésus-Christ de garder intégralement et d’interpréter infailliblement le dépôt de la révélation chrétienne, a le pouvoir exclusif de proposer les dogmes chrétiens et d’en indiquer, avec une pleine autorité, le véritable sens. Le travail des Pères et des théologiens est donc simplement de mettre en évidence le fait de la révélation divine, tel qu’il est manifesté par les organes de cette révélation, l'Écriture divinement inspirée et la tradition catholique constamment maintenue el infailliblement interprétée par le magistère de l'Église. Cette mise en évidence s’accomplit principalement par l’explication des textes et des témoignages, par la solution des objections adverses et par l’interprétation des définitions ou décisions de l’Eglise. Après ce travail intégralement accompli, quand le fait de la révélation de telle vérité apparat) indubitable au théologien ou à celui qui étudie son travail, il y a dès lors obligation certaine d’adhérer à la vérité ainsi manifestée, bien qu’il soit difficile de posséder réellement
cette certitude en dehors de toute proposition faite par le magistère ecclésiastique.
Il est donc très certain que le travail des théologiens ne peut que manifester une vérité primitivement enseignée par Jésus-Christ et confiée par lui à ses apôtres et à ses successeurs jusqu'à la fin des temps. Il est non moins certain que la conscience individuelle ou collective des fidèles des premiers siècles ou des siècles suivants, n’a jamais pu et ne peut jamais être, en dehors de l’autorité de l'Église qui l’approuve, le point de départ initial ni le facteur constitutif d’aucun dogme. L’enseignement contraire a été formellement réprouvé par le décret Lamentabili et par l’encyclique Pascendi. C’est ce qui résulte de la condamnation des propositions suivantes dans ce décret : 31. Doclrina de Christo quant tradunt Paidus, Joannes et concilia Nicsenum, Ephesinum, Chalcedonense, non est ea quam Jésus docuit, sed quam de Jesu concepit conscientia christiana. — 36. Resurrectio Salvaloris non est proprie factum ordinis historici, sed factum ordinis mère supernaturalis, nec denionslralum nec demonstrabile, quod conscientia christiana sensim ex aliis dérivant. — 40. Sacramenta ortum liabuerunt ex eo quod apostoli eorumque successorcs ideam alignante ! intentionem Christi, svadenlibus et movenlibus circumslanliis et eventibus, interprétait sunt. — 54. Dogmala, sacramenta, liierarc/iia, tum quod ad nolionem, tutti ifinnl ad realilatem attinel, non sunt nisi intelligent uv christianm inlerpretaliones evolulionesque quæ e.nguum germen in Evangelio latens externis incrementis auxerunt perfeceruntque. — La condamnation portée par l’encyclique Pascendi dans le paragraphe concernant le moderniste théologien n’est pas moins formelle. Après avoir longuement exposé le système moderniste sur l'évolution des dogmes opérée par le travail de la conscience individuelle ou collective, Pie X rappelle solennellement que celle doctrine, suivant laquelle il n’y a rien de stable, rien d’immuable dans l’Eglise, a déjà été condamnée précédemment par Pie IX dans l’encyclique Qui pluribus du 9 novembre 1 8 46 et dans la proposition 5' du Syllabus, et par le concile du Vatican. Sess. III, c. iv.
B. En étudiant ce travail préparatoire des Pères et des théologiens, l’on doit se garder d’attacher une trop grande importance aux diversités accidentelles d’exposition ou de forme qui peuvent s’y rencontrer. a. Ces divergences accidentelles dans l’exposition des dogmes peuvent provenir des différences du génie personnel ou de l'éducation antérieure ou des habitudes intellectuelles précédemment acquises. Ainsi l’exposition que Tertullien nous donne de l’argument de prescription, se ressent de sa forte éducation juridique. A. d’Alès, La théologie de Tertullien, p. 261. De môme, l’esprit synthétique de Clément d’Alexandrie devait naturellement le porter à imiter les habitudes des Juifs alexandrins et des philosophes grecs dans l’usage fréquent de l’allégorie. Voir t. iii, col. 140. Chez Augustin, l’amour profond avec lequel il se porte vers la vérité pour la saisir tout entière et la communiquer pleinement aux autres, fait qu’il envisage les dogmes moins en eux-mêmes et d’une façon spéculative, que dans leurs rapports avec l'àme et avec les grands devoirs de la vie chrétienne, comme le montre la manière habituelle dont le saint docteur expose les questions théologiques. Voir t. i, col. 2453 sq. On doit aussi observer que cette même passion pour la vérité, si caractéristique chez Augustin, le conduit parfois à des exagérations et à des erreurs, en fixant trop son attention sur un seul côté d’une question complexe. Chez saint Thomas et chez la plupart des scolastiques, si l’on ne trouve pas la même vie et le même élan, l’on rencontre, avec une critique plus rigoureuse, plus de justesse et de précision dans les termes.