de la personne du Saint-Esprit est tout aussi véritable que dans la première conception. Il faut cependant reconnaître que le mode de la liaison n’est pas aussi absolu. C’est la part du sacrifice à faire pour éviter le panthéisme et respecter la transcendance divine. Mais ce qui est ainsi perdu du côté de l’immanence va être récupéré du côté de l’absolue dépendance où la charité met l’activité totale du juste vis-à-vis du Saint-Esprit par les dons. C’est, en effet, et précisément, à cette imperfection nécessaire de l’information de nos actes surnaturels, divins, par le Saint-Esprit, que les dons du Saint-Esprit sont destinés à remédier. C’est là leur raison d’être.
III. Raison d’être des dons du Saint-Esprit
Sum. theol., Ia IIæ, q. lxviii, a. 2.
Les vertus théologiques, foi, espérance et charité, perfectionnent la partie supérieure de l’âme humaine, à la manière des vertus naturelles. Ce sont, en effet, des habitudes, c’est-à-dire des principes permanents d’activité, inhérents aux facultés qu’elles surélèvent. Nous avons prouvé brièvement qu’il en était ainsi pour la charité et il serait facile de le prouver pour la foi et l’espérance. Voir ces mots.
Or, si l’on compare entre elles les vertus morales naturelles et les vertus théologiques, celles-ci l’emportent sans doute sur celles-là par la perfection de leur être comme aussi par la dignité surnaturelle de la fin vers laquelle elles nous permettent de tendre, mais elles ne laissent pas d’être, à un certain point de vue, inférieures aux premières. L’infériorité consiste en ceci que le vertueux possède les vertus naturelles d’une manière adéquate, quasi plena possessio, tandis que la possession que nous avons des vertus surnaturelles est imparfaite. Imperfecte enim diligimus et cognoscimus Deum. S. Thomas, loc. cit.
D’où vient cela ? De ce que nous portons en nous substantiellement, comme notre forme naturelle même, le premier principe de toute notre moralité naturelle, à savoir la raison. Alors même, en effet, que la raison s’est créé dans notre organisme psychologique, comme autant d’aides permanents, ces habitudes de l’âme que nous nommons vertus morales, elle ne cesse pas de demeurer en permanence à la tête de notre agir, de gouverner, de surveiller, de diriger, de stimuler de haut, par ses inspirations, notre vie morale de chaque instant. Et si, sur un point quelconque, vis-à-vis d’une difficulté nouvelle, par exemple, en regard de laquelle notre mécanisme d’habitudes morales n’est pas suffisamment rectifié et comme monté, une défaillance vient à se produire, la vigilante raison y pourvoit aussitôt par une entrée en scène directe. Pour un temps elle se substitue au train de son gouvernement habituel par l’intermédiaire des vertus. Et donc, puisque la perfection morale naturelle n’a pas d’autre objet que de faire passer dans notre vie les lumières rationnelles, et, par elles, les dictées de la raison divine dont notre raison est issue, nous possédons en nous, dans notre immanence psychologique, tout ce qui est requis pour ce but, y compris le principe formel de l’ordre moral naturel.
Il en va fout autrement de la perfection surnaturelle qui nous est départie grâce aux vertus théologiques. Celles-ci, nous l’avons vu, ne sont pas, prises en elles-mêmes, le principe formel de la vie divine qu’il nous est donné de vivre à notre manière. Elles n’en sont que des participations dérivées, efficaces sans doute, mais reçues dans les facultés humaines dont elles représentent en définitive les perfectionnements. Ces facultés, informées par les vertus théologales, gardent le pouvoir d’émettre et de produire leur mouvement désormais surnaturalisé. Elles agissent elles-mêmes, selon leur propre nature, et les vertus théologiques doivent se plier à ce mode d’agir. De là, l’obscurité de la foi, bien que son objet, la vérité première révélante, ne soit en elle-même que lumière ; de là, l’imperfection de la charité qui, prise en elle-même, suffit à aimer Dieu vu face à face, puisqu’aussi bien c’est avec la même charité que le juste aime Dieu, ici-bas et au ciel. S. Thomas, ibid., a. 6 ; voir Charité, t. iii, col. 2226 : elle est tombée dans une âme qui ne connaît Dieu qu’obscurément, S. Thomas, ibid., a. 2, ad 3um, qui n’est qu’au commencement de son voyage vers Dieu, et qui, en conséquence, n’est pas disposée, comme elle le sera au ciel, à la recevoir dans toute sa virtualité. Par l’effet, donc, de leur inhérence dans ce sujet créé qu’est l’âme humaine, inhérence, nous l’avons vu, nécessaire et fatale, les vertus théologiques, si elles ont l’efficacité de destiner celui qui les possède à la vie éternelle, n’ont pas celle de garantir absolument cette destination. L’homme juste, avec sa raison aliqualiter et imperfecte informata per virilites theologicas, ibid., a. 2, demeure à la tête de son activité surnaturalisée ; et ce privilège, indispensable à la vertu méritoire de ses actions, devient fréquemment la source des défaillances qui peuvent aller jusqu’à lui faire perdre l’amour de Dieu. Le but que le juste poursuit est si élevé au-dessus de ses forces ; l’être humain qu’il doit y conduire est si plein de misères, en dépit de sa surnaturalisation ! Il est manifestement, en regard de la conquête définitive du but surnaturel, dans un état inférieur à l’homme naturel vis-à-vis de sa moralisation rationnelle.
La constatation de cette infériorité sert de point de départ à saint Thomas, pour s’élever à l’idée de la convenance de forces divines supplémentaires qui relèveraient l’ordre surnaturel en face de l’ordre des vertus naturelles. Suivons son raisonnement : manifestum est quod unumqundque quod perfecte habet naturam vel formum aliquam aut virtutem potest per se secundum illam operari…, sed id quod imperfecte habet ea non potest per se operari nisi ab altero moveatur. Or, il semble que ce soit là une lacune indigne d’une œuvre divine. Il n’est pas convenable que notre moralisation surnaturelle soit dans un état d’infériorité vis-à-vis de notre moralisation naturelle. Puisque le Saint-Esprit, cause propre de cette dernière moralisation, reste nécessairement en dehors de notre nature qu’il transcende infiniment, il faudra donc qu’il supplée par des excitations et des impulsions directes, non pas accidentelles mais normales, à la façon dont la raison intervient dans le gouvernement des vertus. Et c’est cette assistance continuelle qui nous est garantie par des attestations comme celles-ci : Qui Spiritu Dei aguntur, hi filii Dei sunt ; et si filii et heredes, Rom., viii, 1 i-17, et encore : Spiritus tuus bonus deducet me in terram reclam. Ps. cxiii, 10. Seul, l’Esprit-Saint est vis-à-vis du salut définitif un principe absolument proportionné, car seul Deus cujus scientiæ et potestati onmia subsunt, sua motione ab omni stultitia, et ignorantia, et hebetudine et duritia, et ceteris hujusmodi, nos tutos reddit. Ibid., ad 3um.
C’est cette influence directe, et cependant normale. de l’Esprit-Saint intervenant dans notre psychologie morale surnaturelle, pour lui donner la perfection dévolue à l’organisme des vertus naturelles, que consacre la doctrine des dons du Saint-Esprit. Par eux, en effet, le Saint-Esprit demeure en tout temps à la tête de notre vie surnaturelle, comme la raison se trouve naturellement à la tête de la vie morale ; par eux, l’organisme surnaturel se trouve définitivement armé et perfectionné, étant sous l’empire direct de sa règle divine, le Saint-Esprit.
IV. Les dons du Saint-Esprit sont-ils des habitudes ?
Sum. theol., Ia IIæ, q. lxviii, a. 3.
D’après ce que nous avons dit, la question semblerait devoir être tranchée par la négative. Les dons du Saint-Esprit se présentent comme des excitations, des impulsions