Le donné révélé et la théologie, Paris, 1910, p. 246 sq., 273 sq., 3Il sq.
Comme nous avons exposé la substance de la doctrine de saint Thomas dans notre partie dogmatique, nous n’insisterons pas sur les divers articles de la q. lxviii, qui suivent l’art. 1 er. Nous ne nous occupons présentement que de l’histoire de la doctrine.
Pour compléter la doctrine et la bibliographie de la question nous devons cependant signaler l’opuscule de saint Thomas, In oralionem dominicain, où les sept demandes du Pater sont mises en correspondance avec les sept dons, idée qui vient en droite ligne de saint Augustin, De sernwnc Doniini in monte, l. II, c. XI, P. L., t. xxxiv, col. 1286, et qui est en relation avec la correspondance des béatitudes évangéliques aux dons. Cf. Sum. theol., IIa-IIæ, q. lxxxiii, a. 9, ad 3um, un texte où se trouve résumé le détail de cette triple correspondance.
YIl. SCOLASTIQUES POSTÉRIEURS.1 SAINT TBOMAS.
— L’histoire de la théologie des dons du Saint-Esprit n’a plus le même intérêt après saint Thomas. La synthèse du saint docteur a en quelque sorte immobilisé cette doctrine dans un état voisin de la perfection. Les objections qu’on lui fait désormais sont des retours à des points de vue anciens ou portent sur des chicanes de détail. Des scolastiques de première taille, comme Henri de Gand, Quodlibel IV, q. xxiii, et plus tard Richard de Middlelown entrent d’emblée dans le sillon tracé par le maître angélique. Son opinion, dans ses traits principaux, devient commune. Spécialement, l’école théologique de l’ordre de saint Dominique la commente avec fidélité, et c’est précisément ce qui en diminue l’intérêt et nous dissuade de dresser la nomenclature de ces commentaires qui ne font que répéter avec des variantes ce qu’a dit saint Thomas. Nous ferons exception pour le traité de Jean de Saint-Thomas, In i am ll x, q. lxviii, le dernier traité de son cours théologique qu’il ait rédigé lui-même. C’est un chef-d’œuvre de théologie scolastique et mystique, où toutes les données de saint Thomas sont l’amenées à leurs principes, enrichies de belles allégories tirées de l’Ecriture sainte et d’élévations dont l’accent profondément religieux fait excuser l’exubérance qui se montre en certains endroits. Nous en recommandons instamment la lecture comme celle du plus instruisant et du plus édiliant commentaire de la théologie de saint Thomas sur cette question.
En dehors de l’école thomiste, nous rencontrons des mouvements de pensée réagissant contre la conception des dons de saint Thomas. Scot (y 1308) revient purement aux positions nominalisles qu’avait cependant combattues saint Bonaventure : De donis dieu quod ibi enumerantur quatuor virtutes cardinales. Voilà pour les dons de force, de conseil, de piété et de crainte. Quant au don de sagesse il est idenlique à la charité ; les dons de science et d’intelligence se ramènent à la foi. C’est bref et péremptoire. Cf. In IV tient., l. III, dist. XXXIV, q. unie, Paris, 1894, t. XV, p. 516 sq. Durand ({ 1331), dominicain, mais maître indépendant de saint Thomas, se place surtout au point de vue positif. Ni le donné révélé ou traditionnel, ni le raisonnement ne lui semblent suffisants pour établir avec objectivité la distinction des dons et des sept vertus surnaturelles. Il émet donc cette résolution dilatoire : Nescio an est alwui noluni per cerliludinem. In IV Sent., l. III, dist. XXXIV, q. i, Lyon, 1556, p. 238. Cette sentence est devenue la devise ralliant tous ceux qui cherchent à ramener les envolées scolastiques du ciel sur la terre. Elle semblera cependant quelque peu injuste et légère à ceux qui auront parcouru la vaste suite de documents scripturaires et patristiques que nous avons rapportée. Il est vrai que Durand l’ignorait. Gabriel Biel (1495 ; , In IV Sent., l. III, dist. XXXIV,
q. i, tient comme Ockam et tous les nominalistes du reste pour une simple distinction de raison. Vasquez, († 1604), InSum. theol., MI*, q. XXI, disp. LXXXIX, c. il, n. 6, 7, expose l’opinion de saint Thomas et l’opinion contraire qui a pour patron, à l’entendre, Guillaume d’Auxerre, et refuse de se prononcer. Non video, ut recte dicit Durandus, utra hartim opinionum sit vera, Venise, 1608, p. 504. Dans son commentaire sur la Illa, q. VIIi a. 6, disp. XLIV, c. i, il traite des dons dans le Christ et au ciel, spécialement du don de crainte, c. il, , qu’il y admet uniquement, selon l’opinion commune, comme crainte révérentielle. Suarez († 1617) rapporte lui aussi les deux opinions en conllit et déclare communior l’opinion de saintThomas pour la distinction réelle des dons. De gratia, l. II, c. xvii, n. 9. Cette déclaration a son prix dans la bouche du théologien qui donne les plus abondantes références patristiques sur les dons que l’on rencontre chez les scolastiques, ibid., et De incarnatione, disp. XX, secl. ii, avant M. TouLard et le présent travail. Cette documentation contient d’ailleurs des citations inexactes ou apocryphes comme celle d’un texte attribué à saint Cyprien au lieu d’Ernaldus Bonœvallensis, De graha, loc. cit., n. 6, Paris, t. vii, p. 671. Dans le De incarnatione, loc. cit., Suarez établit solidement, au point de vue de la théologie positive, l’existence des dons dans le Christ, spécialement du don de crainte de Dieu. Dans le De gratia, loc. cit., il a particulièrement réfuté l’opinion qu’il prête à certains Pères, Origène en particulier, loc. cit., n. 5, voir col. 1758, de limiter les dons au Christ. Ce qui donne à Suarez une place spéciale dans l’histoire des dons, c’est que, tout en déclarant communior l’opinion de saint Thomas, il estime que l’angélique docteur n’a pas donné la différence spécifique manifeste des dons, à savoir ce mode spécial de dépendance vis-à-vis du Saint-Esprit qui ne conviendrait pas aux vertus surnaturelles. Il estime même qu’on ne peut en donner une raison générale. Et c est pourquoi il entreprend de montrer par induction, en analysant les divers dons, qu’ils ne peuvent se ramener aux vertus. Degratia, loc. cit., n. Kl sq. L’idée n’estpas nouvelle et nous l’avons rencontrer dans les réfutations des doctrines opposées aux leurs, faites par les fondateurs de la théorie ; mais la réalisation est assez originale. La critique, d’ailleurs, n’a de valeur qu’au point de vue suarézien, car l’on ne rencontre rien dans son système qui corresponde à l’idée chère à saint Thomas de grâce actuelle opérante, entendue dans le sens de motion instrumentale prévenante et prédéterminante, par laquelle le docteur angélique a caractérisé la nature spéciale des dons du Saint-Esprit. Aussi, il est fort probable que Suarez n’a pas pu ou voulu voir le vrai principe thomiste de la distinction des vertus et des dons. Il s’est rallié à cette idée que ce qui distingue les dons des vertus selon saint Thomas, c’est l’héroïcité des opérations, llli aclus donorum extraordinarii et rari sunt… ergo propter illos actus non oportet habitus ponere. De gratia, I. VI, c. x, n. 4. Mais, c’est mal comprendre l’héroïcité des actes, telle que la conçoit saint Thomas, laquelle ne constitue pas une spécification objective supérieure, mais un mode spécial d’opérer les actes même ordinaires, communs, de la vie chrétienne, à savoir par le fait d’une inspiration directe, immédiate. C’est pour saint Thomas, comme pour Aristote, cette relation immédiate de l’agir humain à l’influence divine qui constitue le héros. Cf. l’art. 2, de la q. lxviii, ad l um, où saint Thomas déclare quod dona excedwit communeni perfectionem virtutum, non quantum ad genus operum… sed quantum ad nwdum operandi secundum quod movetur homo ah altiori principio. De nos jours, le débat existe encore entre théologiens sur la distinction des vertus infuses et des dons. Par exemple, Chr. Pesch argue de ce que vertus et dons ont