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existences commencées sous des conjonctions déterminées ? Le Destin se prend, en effet, dans Le langage ordinaire, pour l’influence de la position des astres à l’instanl de la naissance on de la conception ; et les uns regardent cette influence comme distincte, les autres comme dépendante de la volonté de I>ieu. » Saint Augustin trouve les deux interprétations également condamnables. Contre les premiers il s’écrie : « Loin de nous ces insensés qui attribuent aux astres le pouvoir de disposer, sans la volonté divine, et de nos actions, et de nos joies et de nos souffrances… Car oii tend cette opinion, si ce n’est à abolir tout culte, toute prière ? » Aux seconds il objecte : « Quant à la croyance qui attribue à l’influence des astres la détermination des pensées et de la fortune des hommes, inlluence subordonnée toutefois à la volonté divine. cette croyance, dis-je, que les astres tiennent de la souveraine puissance celle de disposer ainsi à leur gré, n’est-elle pas pour Dieu la plus cruelle injure ? Quoi ! cette cour céleste, ce sénat radieux, ordonne des crimes, tel qu’au tribunal du genre humain la ville qui en autoriserait de semblables encourrait sa ruine ? Et d’ailleurs, en accordant aux astres une influence nécessitante, quelle faculté de juger les actions humaines laisse-t-on à Dieu, maître des astres et des hommes ? » Saint Augustin ne veut même pas que les astres soient de simples signes, du reste sans influence, des destinées commencées sous leurs constellations. « Si l’on dit que les étoiles sont plutôt les signes que les causes des événements et que leur position n’est que la voix qui prédit l’avenir sans le réaliser, comme le pensent certains hommes d’une érudition peu commune, » outre que c’est tenir un langage différent de celui des astrologues, « d’où vient qu’ils n’aient jamais pu rendre raison, pourquoi, dans l’existence de deux jumeaux, dans leurs actions, leur fortune, leurs occupations, leurs emplois, dans toutes les circonstances de la vie, et jusque dans la mort, il se trouve d’ordinaire une diversité si grande qu’à cet égard ils ont l’un avec l’autre moins de rapports qu’avec des étrangers, quoiqu’un imperceptible intervalle sépare leur naissance et qu’un seul moment ait opéré leur conception dans le sein maternel ? » Cet argument des deux jumeaux paraît si décisif à saint Augustin qu’il le développe tout le long de plusieurs chapitres.

2. « Quant [à ceux qui appellent destin, non la situation des astres au moment de toute conception, de toute naissance, de tout commencement, mais l’enchaînement et l’ordre des causes de tout ce qui arrive, nous n’avons pas à disputer sérieusement avec eux sur ce mot, puisqu’ils attribuent cet ordre même et cet enchaînement des causes à la volonté, à la puissance du Dieu suprême, dont nous avons ce sentiment juste et véritable qu’il connaît toutes choses avant qu’elles arrivent et ne laisse rien qu’il n’ait prédisposé, lui de qui viennent toutes les puissances de l’homme, quoique toutes les volontés de l’homme ne viennent pas de lui. C’est donc cette volonté de Dieu, dont l’irrésistible pouvoir s’étend sur tout, qu’ils appellent Destin. » Pour saint Augustin, l’antique Destin doit laisser place à la puissance de Dieu, guidée par sa volonté et éclairée par sa prescience. La puissance divine est irrésistible, et s’étend sur tout, cependant toutes les volontés de l’homme ne viennent pas d’elle.

Ici, saint Augustin rencontre Cicéron et sa négation de la prescience divine. Le grand orateur, en effet, nous l’avons dit, était entré en lutte contre les stoïciens et leur idée du Destin qui détruisait toute liberté. Pour sauver le libre arbitre, Cicéron avait renoncé à admettre quelque divination que ce soit, même en Dieu, parce qu’il lui semblait que la divination supposait l’enchaînement fatal des choses et que d’autre part cet enchaînement fatal lui paraissait, comme il l’est du

reste, inconciliable avec la liberté- humaine, i Cicéron s’attache à réfuter ces philosophes et ne croit pouvoir y réussir s’il ne détruit la divination. C’est pourquoi il va jusqu’à nier la science de l’avenir. Il soutient de toutes ses forces qu’elle n’existe ni en Dieu, ni en l’homme, et qu’il n’est point de prédiction possil Mais c’est une prétention insoutenable : » Car reconnaître un Dieu et lui refuser la prescience de ce qui doit être, c’est une folie des plus évidentes. » Mais, reprend Cicéron, « choisir la prescience, c’est anéantir le libre arbitre : choisir le libre arbitre, c’est anéantir la prescience… l’admission de l’une emporte la négation de l’autre. Ainsi en homme docte, en sage, dont toutes les méditations sont dévouées aux grands intérêts de la société civile, Cicéron se détermine en faveur du libre arbitre. Pour l’établir il renversera la prescience, et c’est sur un tel sacrilège qu’il prétend fonder la liberté. » Ici se révèle le génie de saint Augustin, supérieur à celui de Cicéron. Il veut sauvera la fois et il sauve la prescience et la liberté, « il pose l’une et l’autre sur les bases de la foi et de la piété. » Et il écrit : « Contre ces témérités sacrilèges et impies nous disons, nous, que Dieu connaît toutes choses avant qu’elles soient, et que c’est notre volonté qui fait tout ce que nous savons, tout ce que nous sentons ne faire que parce que nous voulons… Quant à l’ordre des causes où la volonté de Dieu exerce un souverain pouvoir, nous sommes également loin de le méconnaître… Mais de ce que l’ordre des causes est certain dans la puissance divine, il ne s’ensuit pas que notre volonté perde son libre arbitre. Car nos volontés elles-mêmes sont dans l’ordre des causes, certain en Dieu, embrassé dans sa prescience, parce que les volontés humaines sont les causes des actes humains. Et assurément celui qui a la puissance de toutes les causes ne peut dans le nombre, ignorerjios volontés qu’il a connues d’avance comme causes de nos actions. »

Saint Augustin peut dès lors conclure : « Nous ne sommes donc nullement réduits à cette alternative ou de nier le libre arbitre pour maintenir la prescience de Dieu ou d’élever contre sa prescience une négation sacrilège pour sauver le libre arbitre, mais nous embrassons ces deux vérités, nous les confessons toutes deux d’un cœur fidèle et sincère. L’une fait la rectitude de notre foi, l’autre la pureté de nos mœurs. On vit mal, si l’on n’a de Dieu la croyance qu’on doit. Loin de nous donc de nier, pour être libres, la prescience de celui dont la grâce nous rend ou nous rendra libres ! Et ce n’est pas en vain qu’il y a des lois et encouragements, louanges et blâmes, toutes choses prévues de Dieu et qui ont toute la force qu’il a prévue. Et la prière sert à obtenir tout ce qu’il a prévu devoir accorder à la prière, et c’est avec justice que des récompenses sont réservées aux bonnes œuvres et des supplices aux péchés, car ce n’est point parce que Dieu a prévu qu’il pécherait que l’homme pèche ; quand il pèche, il est indubitablement l’auteur de son péché : l’infaillible prescience voit que ce n’est ni le destin, ni la fortune, ni rien autre que lui-même qui pèche. Et il ne pèche point, s’il a une ferme volonté’, et cette volonté même, Dieu la connaît par sa prescience. » De civil. Dei, 1. V. c. i-x. trad. L. Moreau, Paris, 1899, 1. 1, p. 235-261.

2° A la doctrine de saint Augustin sur le Destin, il faut, pour avoir l’ensemble de l’enseignement de l’Ecole, joindre le passage classique du De consolatione philosoP/tiæ de lîoèce, 1. IV. prosa vi, interprété par saint Thomas, dans son commentaire. Opéra, Parme, t. xxiv, col. 116 sq. Boèce rapporte le destin, le fatum, à la providence, et établit le parallèle entre celle-ci et celui-là. Le destin suit la providence et s’en distingue sans cesse. La providence est en Dieu, le destin est dans les choses. En Dieu, la providence est la vue sim-