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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 4.djvu/597

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DIEU (SA NATURE SELON LES SCOLASTIQUES’1180

ou leur donnait, telle ou telle école de philosophie. Sans doute, il n’est pas toujours facile de parvenir à déterminer d’une façon absolue avec une pleine certitude la compréhension de ce sens technique et non spécifiquement systématique ; de là, beaucoup de controverses, et, chez le théologien prudent, beaucoup de retenue ; mais ce travail est possible, si l’on ajoute à la lumière de l’histoire celle que donne l’emploi de la méthode scolastique pour l’analyse des idées ; on a d’ailleurs un puissant moyen de contrôle dans l’opinion de l’Eglise antérieurement à la rédaction de la pièce étudiée, et dans l’opinion subséquente des théologiens. considérés non pas commejuges de la foi. mais comme témoins de la pensée de l’Église. En elîet, la grande loi de continuité dans le sens traditionnel domine ce qu’on appelle aujourd’hui le développement ou la vie de la théologie et du dogme. Et l’on conçoit assez comment une même vérité’peut s’énoncer d’abord en termes vulgaires, puis se formuler en termes philosophiques, enfin se’.ransposer en termes de diverses philosophies, à la condition de prendre ces termes non au sens divergent et opposé que leur donnent les différents philosophes suivant les principes qui caractérisent leurs synthèses, mais dans l’acception où ces philosophes les prendraient nécessairement s’ils avaient à les discuter entre eux. D’où la théologie classique a déduit ses réponses aux cartésiens et aux protestants sur rame, forme du corps, et sur la grâce inhérente, cause formelle de la justification ; à savoir, les conciles de Vienne et de Trente n’ont fait qu’énoncer en style pér.ipatéticien des vérités professées par l’Église antérieure dans une autre terminologie. Seul un esprit prévenu ou peu habitué à la spéculation peut mettre en question la légitimité de cette solution ; et il est aisé de voir que, toute proportion gardée, on a le droit de l’appliquer aux spéculations du moyen âge. Les auteurs dont il s’agit étaient des théologiens, des hommes de tradition ; leur livre de texte était le recueil des pensées des Pères de Pierre Lombard : ce sont là des faits dont il y a lieu de tenir compte pour apprécier le sens qu’ils attachaient aux formules péripatéticiennes ou néoplatoniciennes dont ils se servaient.

3° Ces deux simples remarques nous permettent, sans aller pour le moment plus au fond des problèmes historiques soulevés, d’indiquer les déficits de l’argumentation de nos adversaires.

1. Ils s’appliquent à nous montrer qu’avant le xiiie siècle, et au xiiie siècle chez les auteurs qui représentent le courant augustinien, eurent cours diverses théories de la connaissance religieuse que l’on peut rattacher au platonisme ; et ils opposent ces théories à l’épistémologie péripatéticienne de saint Thomas, recommandée aujourd’hui par l’Église. Laissons de côté cette observation que la vraie position de l’Église surce sujet n’est pas indiquée par les adversaires, voir col. 839, et qu’ils se gardent d’avouer pourquoi l’autorité ecclésiastique encourage le retour au système scolastique de la connaissance. Voir col. 853, 930. Mais notons qu’on atténue singulièrement les différences d’une part, pendant que d’autre part on dissimule les ressemblances. Pour persuader au lecteur que les théories platoniciennes ou platonisantes seraient conciliables avec des vues plus modernes, on oublie de dire que les Pères et les quelques scolastiques dont il s’agit n’ont admis ces théories que dans le sens objectiviste ; d’où il suit qu’au sens où ces écrivains les entendaient et les acceptaient, ces théories étaient totalement inconciliables avec le subjectivisme qu’on veut faire prévaloir. Par ailleurs, les Pères platonisants et les scolastiques qui les ont suivis, n’ont jamais mis en question la valeur de notre connaissance de Dieu par la causalité ; la doctrine des idées représentatives dont saint Augustin s’est servi pour expliquer la Trinité

leur est familière ; elle se retrouve d’ailleurs chez saint Anselme aussi bien que chez saint Iionaventure. L’épistémologie péripatéticienne de saint Thomas ne fut donc pas une révolution ; et l’usage qu’il en fit pour expliquer notre connaissance religieuse, ne fut une nouveauté que dans un sens très relatif. On avait durant des siècles donné les preuves classiques de l’existence de Dieu sans faire cette réllexion que l’étude d’Aristote suggéra à saint Honaventure : ces preuves supposent l’impossibilité de la régression à l’infini : supponitur status, sicut in tola philosophia supponxtn, status >71 causis. In IV Sent., I. I. dist. III, dub. i, circa lilteram. On concédera que cette réflexion ne changea rien aux preuves que l’on donnait précédemment. Ainsi en est-il de la remarque que fit saint Thomas, en lisant les philosophes arabes, à savoir que l’épistémologie d’Aristote pouvait servir à rendre compte du mode par lequel nous connaissons Dieu per ea quæ facla sunt.

1. Nous n’avons pas l’intention de nier qu’il y ait une façon de concevoir Dieu comme acte pur, qui renferme beaucoup d’erreurs et soit la négation de la notion chrétienne de Dieu ; ce n’est pas le lieu d’examiner dans quelles limites cette conception fut celle d’Aristote ; mais il est certain que, proposée par divers hérétiques, cette façon d’entendre l’acte pur fut rejetée par les Pères ; on peut même dire que la sévérité de beaucoup de Pères à l’endroit d’Aristote vient de l’introduction par Plotin dans le platonisme de la théorie de l’acte et de la puissance, et des conséquences agnostiques ou intuitionnistes que l’on en déduisait. Mais ce que l’on devrait démontrer pour conclure à la corruption de l’idée chrétienne de Dieu par les scolastiques, c’est qu’ils ont entendu dans ce sens païen la doctrine de l’acte pur. La thèse que l’on soutient contre nous n’est aucunement prouvée tant qu’on n’a pas mené la démonstration jusque-là ; et les identités verbales ne sauraient suppléer à ce déficit.

3. De même, pour les conséquences de la théorie néoplatonicienne de la distinction réelle de l’essence et de l’existence dans les êtres finis ou contingents. Plusieurs scolastiques l’ont admise. Il’abord, ils ne sont pas toute l’École et par conséquent leur fait n’engage pas à fond le magistère. Ensuite, ont-ils entendu cette distinction au sens qu’elle a dans la doctrine de l’émanation’? Ont-ils admis les conséquences agnostiques ou panthéistes que Plotin et Avicenne en ont déduites bien avant Spinoza, Hegel et nos philosophes de l’inconscient ? Tranchons la question par l’histoire. Le premier scolastique dont un historien, dans l’état actuel de nos connaissances, puisse dire sans controverse qu’il ait admis cette distinction est Gilles de Rome, quelques années après la mort de saint Thomas. Or, Gilles prend pour point de départ de son hypothèse d’une part le fait et la possibilité de la Trinité, In IV Sent., 1. I, dist. V, Venise. 1 192, d’autre part la possibilité et la démonstrabilité de la création, De ente et essentia, Cordoue, 1701, comme fait encore de nos jours le P. del Prado. Cf. Congrès îles catholiques à Fribourg, 1897. La situation est donc historiquement la suivante. De la distinction réelle de l’essence et de l’existence les néoplatoniciens concluaient à l’être abstrait et contre la personnalité divine, et ils aboutissaient à l’émanatisme et à l’agnosticisme croyant. Gilles de Rome, au contraire, part de la Trinité des personnes et de la création proprement dite pour aboutir à cette distinction réelle. Dans ces conditions, a qui fera-t-on croire à l’identité parfaite des deux doctrines, l’une aboutissant à l’être vide, l’autre partant de la plénitude de l’être. Il se peut, et tous ceux qui rejettent cette distinction réelle le pensent, que Gilles se trompe ; ses premiers adversaires, l’un collègue, l’autre témoin de l’enseignement de saint Thomas.