Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.2.djvu/431

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
2161
2162
FENELON


saille que, par la plume de l’archevêque, les casuistes raillés par Pascal exercent contre leurs hautains détracteurs.

On a contesté à P'énclon le droit de combattre le jansénisme. Saint-Simon a prétendu que le silence eût mieux convenu à un évêquc naguère frappé par le saint-siège. D’ailleurs, ajoute-t-on, en poursuivant le jansénisme, c'étaient ses adversaires de la veille, c'étaient Noailles et les amis de Noailles que Fénelon poursuivait. Parce qu’il avait erré, il n’aurait pas eu le droit de remplir un impérieux devoir dans un diocèse où l’erreur sévissait, et de préserver les âmes qui lui étaient confiées 1 Dans sa résistance au jansénisme, de l’aveu d’un de ses implacables ennemis, Fénelon « était de bonne foi… Il a toujours combattu la grâce augustinienne ; toujours considéré la religion d’Arnauld et de Nicole comme attentatoire à l’unité de l'Église. » Albert Le Roy, La France et Rome de 1700 à 1715, c. VI. Dans une doctrine qui altérait la notion de la liberté humaine et de la justice divine, il aperçoit pour le christianisme un péril redoutable. Voir, entre autres, la lettre au P. Le Tellier, 2-2 juillet 1713. De fait, comme le demandait Sainte-Beuve, encore catholicisant auprès de Lamennais, Diderot et les encyclopédistes n’auraient-ils pas dû un peu de leur liaine irréligieuse à l’idée du Dieu tyrannique que leur présentait le jansénisme ? Aussi, l’archevêque de Cambrai poursuiL-il l’erreur partout où il croit la rencontrer ; certaines réticences mêmes ne trouvent point grâce à ses yeux. De là, sa persistante sévérité pour l'édition bénédictine de saint Augustin, et même pour cette Prœfatio geneialis, quoiqu’elle fût l'œuvre de Mabillon, dont il a loué « la ijiété, la douceur et la grande érudition. » Lettre à dom Lami, 4 janvier 1708.

Fénelon respecte, sur l’accord de la grâce et du libre arbitre, les opinions que l'Église permet ; il a toutefois ses préférences et c’est son droit, h’aiigaslinianisme de Noris et de plusieurs théologiens d’Italie ne lui plaît guère ; son orthodoxie inquiète craint qu’on ne le confonde avec le jansénisme. A l'école de Bossuet, il a sans doute été thomiste, voir Traité de Vexistencc de Dieu, part. I, n. 65 ; part. II, n. 116, 117 ; mais il semble de plus en plus fixe dans le congruisme. Il paraît bien tel dans ses lettres au bénédictin Lami sur la grâce et la prédestination, dont la dernière (tout en exagérant sans doute les probabilités de réprobation même pour les chrétien, ) propose l’acte de pur amour comme la solution des questions anxieuses que le mystère de la prédestination peut soulever dans une âme. Sur les points où, toute orthodoxie mise à part, il y avait dissidence entre les théologiens, c’est vers l’opinion la moins sévère que Fénelon incline. Ainsi, dans une lettre au cardinal Gabrielli (22 septembre 1700), il défend, contre les menaces de l’assemblée du clergé, l’axiome familier aux scolastiques et cher à saint François de Sales : l’arienli quoil in se est Deus non denegat gratiani. A propos des cérémonies chinoises, il raille l’impatience des rigoristes qui poussaient Rome à en condamner sans retard les partisans ; soumis d’avance aux décisions du Saint-Siège, il expose les raisons que pouvaient alléguer les missionnaires jésuites, avocats d’une cause qui, d’ailleurs, n’a pas été gagnée. Lettres au P. de la Chaise, septembre 1702 ; au cardinal Gabrielli, septe.nbre 1702 ; à MM. de Brisacier et Tiberge, , 5 octobre 1702. L’amour de la vérité et des âmes est le seul intérêt qu’il iioursuive. S’il écrit, contre la théologie de Louis Habert dont nous avons parlé, l’Instruction pastorale qu’il ne publia point par égard pour le désir du roi et pour les tentatives conciliantes du duc de Bourgogne, mais qu’on retrouve dans une Dénonciation de 1711, tissu de morceaux pris de ses ouvrages, c’est que cette théologie était le manuel des ordi nands à Châlons où un autre Noailles avait succédé au cardinal ; s’il fait d’infatigables efforts pour arrêter ou pour frapper d’impuissance l’opposition du cardinal de Noailles à la bulle Unigenitus, c’est qu’il voit tous les périls où cette opposition entraîne l'Église de France. « On peut croire, écrivait-il au P. Le Tellier, que je suis plein de ressentiment contre M. le cardinal de Noailles, mais ceux qui le croiront se tromperont beaucoup. Dieu m’est témoin que mon cœur n’est altéré en rien pour lui, que je le respecte de très bonne foi, et que je serais charmé si je trouvais, avant de mourir, des occasions de l’en convaincre. Personne, sans exception, ne souhaite plus que moi tout ce qui pourra le tirer d’embarras, sans nuire à la religion. Il n’y a rien que je ne fisse pour y contribuer ; mais nous ne sommes les nnnistres de la religion que pour préférer Dieu à nous, la foi catholique à notre point d’honneur, et la décision de l'Église à tous nos préjugés. Notre gloire est de n’en avoir aucun, et de reculer avec une humble docilité dès que l'Église le demande. Autant qu’une paix sincère, entière et durable, qui mette la saine doctrine en pleine sécurité, est l’objet de tous mes désirs ; autant une paix fausse, une demi-paix, une paix superficielle, qui augmente la contagion en la couvrant, me paraît pernicieuse et détestable. » Lettre du 17 septembre 1714.

Ferme contre l’erreur janséniste, et très résolu à n’admettre au.x ordres et aux bénéfices ecclésiastiques que des candidats d’une doctrine irréprochable, F'énelou s’abstint, à l'égard des personnes soupçonnées de jansénisme, de toute rigueur injuste ou inopportune. Il blâme la destruction de Port-Royal, laquelle contrastait avec la tolérance ou la faveur dont jouissaient des opinions suspectes. « Pendant que ces théologies (celle de Louis Habert) mettent de si dangereux préjugés dans les esprits, écrivait-il, un coup d’autorité comme celui qu’on vient de faire à PortRoyal ne peut qu’exciter la compassion pour ces filles, et l’indignation pour leurs persécuteurs. » Lettre au duc de Chevreuse, 24 novembre 1709.

Conduite envers les protestants.

Telle fut, disonsle tout de suite, la conduite de Fénelon envers les protestants de son diocèse. Durant la guerre de la succession d’Espagne, il réclame auprès du prince Eugène

pour que la propagande protestante soit réprimée dans son diocèse. « J’espère, lui écrivait-il, que vous aurez la bonté d’agréer la liberté que je prends de vous demander votre protection pour toutes les églises de mon diocèse qui sont dans la ville ou dans le voisinage de Tournai. (L’ne partie du diocèse actuel de Tournai et de la ville épiscopale elle-même ressortissait à l’archevêché de Cambrai.) Je ne suis point surpris de ce que les Allemands, les Anglais et les Hollandais, qui ne sont pas catholiques, prennent des lieux convenables pour exercer leur religion dans le pays où ils font la guerre ; nuï : s j’ose dire. Monsieur, qu’ils n’ont aucun besoin de rendre cet exercice public et ouvert pour y attirer les catholiques. Il y a toujours, eu cliaque pays, des esprits légers et crédules que le torrent de la nouveauté entraîne, et qui sont facilement séduits. » Au prince Eugène de Savoie, 1708. Mais ce même archevêque, soucieu.x de préserver la foi de ses diocésains, veillait à ce qu’aucune contrainte n’imposât les pratiques religieuses à ceux qui n’y croyaient pas. Il fut informé que, dans les parties du Hainaut comprises dans son diocèse, il existait un grand nombre de paysans descendus d’anciens p)rotestants, qui fréquentaient les églises pour mieux dissimuler leurs sentiments, et profitaient ensuite de la proximité des frontières pour aller remplir tous les actes de leur ancienne religion avec les protestants des pays voisins. Fénelon voyait avec douleur cette profanation… Il fit enir le ministre Brunier, qui avait la con-