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ERIGÈNE

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Or, il ne voit pas une nature autre que la sienne ; avant la création, il n’y avait rien que lui-même ; il se voit donc et il se crée lui-même ; la créature est éternelle en Dieu, qui est son fondement nécessaire, et Dieu est créé dans la créature, car c’est par elle qu’il devient visible, intelligible. Non duo a seipsis distanlia debemus intelligere Deum et creaturam, scd iinum et idipsum. Nam et creatura in Dco est suhsistens, et Dcus in creatura mirabili et ineffabili modo creatiir, seipsuni manifestons, invisibilis visibilem se /ac/e/is…, et omnia creans in omnibus creatum, et jactor omnium factus in omnibus, et œternus cœpii esse, et immobilis movetur in omnia, et fit in omnibus omnia, 1. III, c. xvii, col. 678. A diverses reprises, dans le dialogue, le disciple a poussé des cris d’effroi, et le maître lui-même a connu le saisissement du vertige. Il déclare que, pour s’élever à ces hauteurs, il faut un esprit pur et dégagé des imaginations terrestres et la grâce que le Christ est venu nous rendre par son incarnation. Ces idées, Ériugéne les expose peu ou prou dans tous ses écrits. Cf., par exemple, un long passage du commentaire sur l’Évangile de saint Jean, publié par B. Hauréau, dans Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale, Paris, 1906, t. xxxviii, 2 « partie, p. 412-413 (texte meilleur que celui de P. L., t. cxxii, publié d’après Ravaisson). — b) La création inférieure. — Deux points seulement sont à noter. Scot explique par l’allégorie les six jours de la création. Il ne dissimule pas que saint Basile prend à la lettre des passages de ce récit ; mais il pense que Basile deiferum, superna gratta illuminatum, parlant homiliariter ù son peuple, a voulu se mettre à la portée de ses auditeurs et leur a exposé comme créé successivement ce que Dieu avait fait en une fois et simultanément. De même Moïse, ne pouvant raconter à la fois et simultanément ce que Dieu avait réalisé du coup, a distribué en six jours l’œuvre divine, 1. III, c. xxxi, col. 708-709. Tout en allégorisant avec intempérance, Scot étale ses connaissances scientifiques. Sa physique n’est pas sans intérêt, cf. P. Duhem, dans la Revue des questions scientifiques, Louvain, 1910, t. lxviii, p. 23-30, et son astronomie est extrêmement remarquable. « Le philosophe de Charles le Chauve va bien plus loin que les sages de l’antiquité dont il s’inspirait ; ce ne sont pas seulement, selon lui, Vénus et Mercure qui accomplissent leurs révolutions autour du soleil ; ce sont aussi Mars et.Jupiter ; seules, les étoiles fixes, Saturne, le soleil et la lune tournent autour de la terre. Sauf en ce qui concerne Saturne, c’est le système de Tycho-Brahé que nous voyons s’introduire ainsi en l’astronomie médiévale, et cela avant la fin du ix<e siècle. Jusqu’à Tycho-Brahé aucun astronome ne poussera, dans cette voie, aussi loin que Jean Scot Ériugenc. P. Duhem, p. 35-36. Sur la question des antipodes, cf. Rand, Jolumnes Scottus, p. 19-23. — c) L’homme. — Entre Je monde intellectuel, qui s’épanouit dans le plus sublime des anges, et le monde sensible, qui descend jusqu’à la plus infime des créatures sans raison, il y a la nature humaine, qui tient de l’un et de l’autre, I. I, c. IV, v, col. 443-445. L’homme doit se définir non pas : « un animal raisonnable » , mais : nolio quædam inte.lle.clualis in mente divina œternalilcr fada ; cette définition ne s’arrête pas aux accidents, elle va droit à la substance, et la saisit en Dieu, 1. IV, c. vii, | col. 768. Centre de la création, résumé de l’univers, l’homme en est le médiateur et le sauveur, humana siquidem natura in uniuersitale lolius conditee naturic tola est, quoniam in ipsa omnis creatura constilula est, et in ipsa rnpntata est, et in ipsum revcrsura, et per ipsum saluanda, 1. IV, c. v, col. 760. Son âme est l’image de la Trinité. La seule différcncc est que la Trinité divine est incréée et qu’elle est Dieu par l’excellence de son essence, tandis que la trinité de l’âme est créée par

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celle dont elle est l’imago, et n’est Dieu que par la largesse de la grâce divine. Toutes les autres différences résultent du péché, 1. II, c. xxix, col. 598. Le corps mortel, l’âme se l’est adjoint après le péché, comme un instrument fabriqué, en quelque sorte, à son image. Avant le péché, le corps de l’homme était spirituel et immortel, tel qu’il sera après la résurrection. Tout ce qui demeure immuable dans le corps appartient à sa condition primitive ; tout ce qui est changeant et divers a été surajouté à la suite de la faute. Les différences innombrables dues aux combinaisons multiples des quatre éléments, susceptibles d’accroissement et de diminution, forment le corps matériel, vêtement du corps spirituel, intérieur, primitif, forme identique, universelle, commune à tous, 1. II, c. xxix ; 1. IV, c. XII, col. 598, 800-801. Il s’ensuit qu’avant le péché la génération lumiaine n’existait pas, pas plus qu’elle n’existe parmi les anges, 1. IV, c. XII, col. 799. La distinction des sexes n’existait pas davantage, comme elle n’existera pas dans le ciel, 1. II, c. v ; 1. IV, c. IX, XII, XIV, XVI, xxiii, col. 522-533, 777, 799, 807, 817, 840-848 ; cf. Comment, in Evang. sec. Joannem, col. 310. Avant le péché, l’homme avait naturellement tout pouvoir et toute science, 1. IV, c. IX, col. 777-778. — d) La chute. — Par le péché l’homme fut incapable de retourner à Dieu et d’y ramener la création. Le péché a sa cause dans l’abus de la liberté de l’homme, liberté qu’il n’a point perdue par sa chute, 1. V, c. xxxvi, col. 975. Cf. jDc prædestinatione, c. vi-vii, col. 380-385 ; Expositiones super Hierarchiam cœlestem sancti Dionijsii, c. viii, col. 204. Entre la création et la chute il n’y eut pas d’intervalle. Ce moment que nous plaçons avant la chute, et que nous nommons innocence, paradis, n’a pas existé, n’est qu’un moment logique. Si un seul instant l’honune avait été dans le paradis, i ! serait nécessairement arrivé à la perfection, et, ayant goûté la perfection, il n’aurait pu la perdre. Le paradis n’est autre chose que la nature humaine. Au lieu de se tourner vers Dieu, l’homme s’est tourné vers lui-même ; c’est le péché d’orgueil, et c’est la chute, 1. II, c. xxv ; 1. IV, c. XX, XXIII, col. 582, 838, 848. Quant aux causes de l’abus du libre arbitre, Ériugéne jn-oteste qu’elles lui échappent : ccmsas autem illicitæ abusionis atque perversæ cupiditatis si quis vult invenire, sollicitus quserat ; ego autem securus sum, incunctanter perspiciens, quod nemo eas potest rcperire, 1. V, c. xxxvi, col. 976. Cf. J. Bach, Die Dogmengeschichte des Mittclalters. Vienne, 1874, 1. 1, j). 280, noie. C’est que le mal n’a pas de cause ; le mal, en tant que mal, n’est rien, 1. IV, c. xvi ; 1. V, c. XXXI, xxxvi, col. 828, 944, 970. La source du mal est donc, comme le mal qui n’est rien, quelque chose aussi qui n’est pas, savoir une absence de la volonté, une défection, une désertion, un dérèglement de la raison.

4. La nature qui n’est pas créée et qui ne crée pas, ou Dieu considéré comme la fin des choses. — Ériugéne se déclare tellement terrifié par la difficulté du sujet qu’il lui semble quitter une mer sûre et sans naufrages pour entrer dans un océan périlleux où se brisent les vaisseaux, 1. IV, c. ii, col. 743-741. — a) Dieu fin de ht création. — Les flots des créatures, sortis de Dieu cl s’épanchant par le lit des causes premières, ilerum per sacratissimos naturæ poros occultissimo meatu ad fontem suum redeunt, I. III, c. iv, col. 632. Cꝟ. 1. III, c. XIX, col. 683 : (Deus) in omnia proveniens fucil omnia, et fit in omnibus omnia, et in seipsum redit, revocans in se omnia, et, dnm in omnibus fit, super omnia e.<isc non desinit. Toutes choses, dans la nature, retournent vers leur point de départ. Principe et lin sont les aspects dIfTércnfs d’une même idée, et le mot tO-o ; les exprime l’un et l’autre. Le principe et la lin de l’homme, c’est sa cause, c’est Dieu. C’est vers Dieu

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