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ESPERANCE

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de vue purement p/iysiçîip, on réduise ces deux amours A un seul, nous n’y voyons pas d’inconvénient. Qu’on affirme que saint Thomas a ramené cette dualité à l’unité physique, et qu’on s’efforce de le prouver par de hautes considérations, en partant d’une interprétation de sa métaphysique, comme l’a fait avec érudition M. Pierre Rousselot, nous l’admettons volontiers. Pour l’histoire du prohlcinc de l’amour au moyen âge. Munster, 1908, dans les Deilrdqe zur Gcschichle der Philosophie des Mittelaltcrs, t. vi. Toujours nous restcrat-il ce que saint Thomas appelle deux espèces morales, irréductibles l’une à l’autre dans l’ordre moral, sceunduni speeiem mnris, sccundum condiliones morales. Sum. theol., 1= II, q. i, a. 3, ad 3’"" ; q, xviii. a. 7, ad l""". Et cela nous suffit dans la question toute morale de la valeur des diverses formes de l’amour.

3. L’ordre dans lequel sont énumérécs les deux vertus dans la révélation, spes, caritas, ne va évidemment pas du plus parfait au moins parfait, puisque la charité est donnée comme la plus parfaite des vertus, mais au contraire du moins parfait au plus parfait ; c’est l’ordre de genèse et de dévelopement, ordo secundum viam generationis, dans lequel l’imparfait précède le parfait. Sum. UvoL, II> II’, <[. xvii, a. 8. L’espérance qui vient d’abord, est nécessaire au développement de la charité ; et saint Thomas en trouve l’explication dans ce fait, que le motif intéressé est le premier qui agisse sur nous, et que le motif désintéressé a moins de prise, et a besoin d’être introduit peu à peu. Le motif intéresse sert d’abord à nous purifier du péché et à préparer les voies : « Connne on est introduit à l’amour de Dieu par le seul fait qu’on cesse de l’oflenscr, grâce à la crainte des peines…, ainsi l’espérance sert d’introduction à la charité, en ce sens que celui qui espère la récompense que Dieu lui donnera est poussé à l’aimer et à garder ses commandements. » Ihid. La base de cette théorie est un fait psychologique indéniable, que les positivistes de nos jours ont exprimé par « le passage de l’égoïsme à l’altruisme. » Saint Thomas* l’a emprunté soit à la doctrine de saint Bernard sur les quatre degrés ou les quatre étapes de l’amour de Dieu, Liber de diligendo Dec, c. viu-x, J L., t. clxxxii, col. 987 sq., soit à celle parole d’Aristote : « Les sentiments d’aflection qu’on a pour ses amis, et qui constituent les vraies amitiés, semblent tirer leur origine de ceux qu’on a pour soi-même. » Morale à Xicomaque, 1. IX, c. iv, Irad. Barthélémy.Saint Hilaire, ISfiG, t. ii, p. 3>^2. Mais le saint docteur ne veut pas <|u’on entende cela comme si l’égoïsme était, non seulement le point de départ, mais aussi le jioint d’arrivée et hi (in suprême de toutes nos affections : " L’affection que l’on a pour « n autre, dil-il, est venue de l’amour de soi, non pas comme d’une cause finale, mais comme d’une chose qui précède dans la genèse de cette alTection, in via generationis. De même que chacun se connaît avant de connaître les autres et de connaître Dieu, de même l’amour que chacun a pour soi, précède l’amour quil a pour un autre, dans l’ordre péiiélîque. » In IV Sent.. J. III, dist. XXIX, q. i, a. 3. ad 3°™. Vient un moment oi’l « ce n’est ]<lus à cause de ses bienfaits que nous aimons l’ami, mais h cause de sa vertu. » Su.n. theol., II" II, q. XXVII, a. 3. S’attacher à lui pour qu’il nous fil du bien, c’était le motif intéressé ; mais s’attacher à lui parce qu’il nous a fait du bien et nous a ainsi montré sa vertu, c’est le motif désintéressé de la reconnaissance, bien voisine du plus noble amour. La générosité appelle la générosité ; les bienfaits reçus nous révèlent la bonté de son cœur, avec celle vivacité spéciale de l’expérience personnelle : comment ne pas nous enthousiasmer des lielles qualités de ce cœur, indépendamment de notre profil.’i nous ? Ainsi, Ja recherche intéressée des hienfails n’est qu’une préparation à l’amour d’amitié, et saint Thomas conclut : Spes et timor ducunt ad caritateni pcr modum dispositionis cujusdam. Ibid., ad 3° "’.

On voit dans quel sens saint Thomas prend ces formules, dont a parfois abusé contre l’amour désintéressé : « Si, par impossible. Dieu n’était pas le bien de l’homme, l’homme n’aurait pas de raison de l’aimer. » II" II’*, q. XXVI, a. 13, ad 3’"". « Personne n’irait à lui, s’il n’espérait de lui quelque rémunération. » Comment, in Heb., xi, 6. Voir Charité, col. 2220, 2223.

Théories fausses on incomplètes sur la différence de l’espérance et de la charité.

Ainsi, la différence fondamentale assignée par saint Thomas, que l’espérance appartient à l’amour intéressé, la charité à l’amour désintéressé, rend compte (comme il l’a montre lui-même) de toutes les données de la révélation sur les rapports de ces deux vertus. Il n’en est pas de même des autres différences, Sque certains théologiens ont voulu substituer à celle-là.

Quelques-uns, s’emparant d’un mot de saint Thomas dans son commentaire sur les Sentences, I. III, dist. XXVI, q. ii, a. 3, sol. 1% ad 4’"", disent : la charité a i)cur objet un bien considéré simplement comme bien, bouuni simpliciter ; l’espérance a pour objet le même bien considéré comme difficile, ut est ardnum et difficile. Saint Thomas n’entend pas donner ici la différence unique ou principale entre les deux vertus, ou du moins il a ensuite corrigé sa manière de voir, dans les endroits de la Somme que nous avons cités. « De plus, si l’espérance se distinguait ainsi de la charité, il faudrait que la chari’é précédât l’espérance, car on commence par aimer un bien simplement en lui-même avant de l’aimer (ou de le chercher), comme diflicile (ou malgré la dilTicultè). » Aversa, général des clercs réguliers mineurs, /)(.’fide, spe et caritate, Venise, 1660, p. 318.

D’autres ont représenté la charité comme plus simple, elle aime ; l’espérance comme plus complexe, elle ajoute à cet amour le désir, le courageux mépris des dillicultés et la confiance. Mais alors l’espérance aurait tout ce qu’a la charité, et quelque chose de plus : comment s’accorderait-(ui avec cette donnée delarcvity lation, que « la charité est plus grande » ?

D’autres s’appuient sur ces paroles de saint Thomas : Idem bonum est ohfcctum caritatis et spei : scd caritas importai unioncm ad illud bonum, spes autem distanticun giuundam ab eo. Et inde est quod caritas non respicii illud bonum ut arduum, sicut spes : quod enint fam unitum est, non habet ndionem ardui. Et ex hoc apparet quod carilas est perfectior sp.Suin. theol., II" II’, q..XXIII, a. C), ad 3°’". Cette différence, assignée ici par le saint docteur, montre pourcjuoi la vertu infuse d’espérance ne pourra subsister au ciel : parce « [u’clle tend essentiellement à un objet « distant, Dieu n’étant présent à nos facultés que par la vision intuitive. Hom., viii, 21 ; II Cor., v, (i, 7, 8 ; cf. I Cor., XIII, 8, 10, 12, 13. Au ciel cette « distance » finira. La charité, elle, subsistera avec la vision intuitive de Dieu, n’étant pas liée à la « dislance » de son objet. Et cette différence sullit au but que se propose ici saint Thomas, de montrer « pie la charité est plus parfaite. Mais si nous regardons l’espérance et la charité seulement en cette i’(e(et nous avons le droit de le faire. l)uisquc c’est ici seulement qu’elles existent toutes les deux), cette différence n’est pas la principale entre les deux vertus infuses. Car la charité n’y a pas davantage que l’espérance, cette union (uninnem od illud boiuim…, quod fam unitum est…), cette présence de son objet, qui ne peut être que par la vision intuitive. On dira ((uc la charité aime ce divin objet en faisant abstraction de son absence. Mais on ne xoit pas bien ce qu’une simple abstraction peut lui conférer de supé-