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ESPERANCE

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riorité réelle. De plus, cette abstraction n’existe pas dans tous les actes de la charité. Elle peut très bien i désirer Dieu (ce qui sujjpose l’idée de l’absence), désirer sa gloire, etc. Car, d’après les principes de saint Thomas, et de tous les scolastiques, habilus virliilis idem est, qui inclinai ad diligendum, et desidcrandum bonum dileclum, et gandendum de eo. Siim. theol., IIa-IIæ, q. XXVIII, a. 4 ; cf. q. xxix, a. 4. Et en vertu des mêmes principes, ; la vertu d’espérance appartiendra non seulement le désir de Dieu absent, mais aussi l’amour qui fait abstraction de cette absence, ainsi que nous l’expliquerons plus loin. Voir col. 632.

Il faut donc toujours en revenir à la différence fondamentale assignée par saint Thomas, Sum. IheoL, IIa-IIæ ", q. XVII, a. 8. Seule elle résout toutes les difficultés. De nos jours, Schiffini a eu tort de l’abandonner. De virtiitibiis infiisis, Fribourg-en-Brisgau, 1004, p. 383.

Espérance et joie.

L’espérance suppose tout d’abord un amour, dont nous venons d’examiner la nature ; et cet amour, portant sur un objet absent, prend la forme d’un désir. Mais, du moment qu’on désire un objet, la question se pose : « Puis-je l’obtenir ? » Si la réponse est affirmative, c’est ce que nous avons nommé le « jugement de possibilité » . Voir plus haut, col. 613. Ce jugement, surtout quand il est bien fondé — comme dans l’espérance chrétienne où il est fondé sur une foi très certaine — demeurera-t-il sans aucun contre-coup affectif, sans aucune répercussion émotionnelle ? Non. Quand on désire vivement, et qu’au lieu de l’impossibilité qui semblait d’abord s’imposer, on voit apparaître la possibilité sérieuse et pratique, la probabilité d’atteindre l’objet tant désiré, comment ne pas s’en réjouir ? Le désir, qui suppose l’absence, résulte de l’objet aimé, non encore possédé : la joie, qui suppose la présence, résulte de la possibilité d’atteindre cet objet, du secours que déjà nous possédons pour cela. Lancés par le désir vers une fin aimée, nous nous réjouissons d’avoir en mains les moyens de l’obtenir. Cette joie, d’abord spontanée, peut, à la réflexion, être librement acceptée, librement entretenue, en maintenant l’attention sur les promesses et les secours qui la font naître ; tandis que nous pourrions, si nous voulons, la remplacer par la tristesse qu’éveillerait un regard trop fixé sur les difficultés, les obstacles et l’incertitude de l’heureux événement.

Saint Thomas a bien montré que cette joie ou « délectation » propre à l’espérance vient du jugement de possibilité. Ce n’est pas seulement le plaisir de saisir par la pensée et l’affection un objet lointain qu’on’aime : c’est surtout le plaisir de constater qu’on peut l’obtenir. Delectatio spci, in qua non solum est delectabilis conjunctio secundum apprehensioncm, sed etianr secundum facullatem vel possibilitatem adipiscendi [ bonum quod deleclat. Sum. theol., I^ll", q. xxxii, a. 3. C’est ce qui rend l’espérance essentiellement joyeuse, plus douce que le simple désir et que le souvenir du bonheur passé, où l’on trouve le premier plaisir, mais non pas le second qui est le principal. Ibid.

Déjà Philon, le juif d’Alexandrie, avait poétiquement décrit cette joie de l’espérance, avant-goût de la joie que donne la possession de l’objet : « Ne vois-tu pas le jeune oiseau, avant sa conquête de l’air, aimer à battre de l’aile et à sautiller gaîment, comme pour annoncer l’espérance de prendre son vol ?… Ainsi, notre âme, dans l’espoir d’un bien, se réjouit d’avance ; c’est, pour ainsi dire, l’allégresse avant l’allégresse… Regarde la vigne, comme elle est gracieusement parée de jeunes pousses, de rameaux et de pampres verts ; ils disent assez, dans leur muet langage, la joie qui précède l’arrivée du fruit. Avant le lever du soleil, voici le sourire de l’aurore ; la clarté prédit la clarté, la lumière plus obscure présage la lumière plus vive… La crainte n’est pas autre chose qu’une tristesse avant la tristesse, comme l’espérance une joie avant la joie : car ce que la crainte est à la douleur, l’espérance l’est à la joie. » De nominum mulatione, Londres, 1742, t. i, p. G02. Presque au même temps où Philon parlait ainsi, saint Paul signalait aussi la joie de l’espérance, TV-, ilTtlôi /apcivT£ :, spe gaudentes. Rom., xii, 12.

On pourrait dire de cette joie de l’espérance chrétienne, si recommandée par l’apôtre, qu’elle est le principal Ijonheur de cette vie ; et voici la preuve qu’en donne le cardinal Pnllavicini, S. J. Le présent n’est qu’un instant, qui, nous échappant aussitôt, n’a pas grande valeur pour nous si nous ne le regardons dens ses rapports avec l’avenir. Ainsi, quand nous cherchons à nous délivrer du tourment de la douleur, ce n’est pas pour le présent, car, an moment présent, il nous est impossible de ne pas la sentir : mais c’est ()our l’averiir. Il en est de même des plaisirs ; c’est vers l’avenir que l’âme humaine s’élance constammoit, en quête de bonheur. Sa principale joie ici-bas naîtra donc de la prévision d’un long avenir de bonheur, et encore plus, d’un éternel avenir de bonheur. Cette prévision, sans doute, appartient f.n présent, ainsi que la joie qu’elle excite ; mais elle n’a de valeur que par sa connexion avec un bien futur, comme un moyen n’a de valeur que par sa connexion avec la fin. Disputationes in / » ’" // « , Lyon, 1653, t. i, p. 53.

Nature de la confiance.

La confiance est souvent confondue, par un abus de langage, avec le préambule intellectuel qu’elle suppose, avec la prévision de l’heureux événement. Mais nous savons déjà que l’espérance est dans la partie affective ; donc, la confiance aussi, puisqu’elle est partiellement identifiée avec l’espérance, cet acte si complexe. Voir plus haut, col. 609. Que peut bien être la confiance comme acte affectif ? Essayons cette difficile analyse. Un acte affectif, s’il se rapporte au bien et non pas au mal, s’il est un amour et non pas une haine, devra rentrer dansune de ces trois catégories : simple amour, désir, joie : on ne peut concevoir autre chose. Dans laquelle rentrera la confiance ? Ce ne peut êlre dans le désir : l’idée de confiance n’est certainement pas celle d’un désir ; d’ailleurs, la confiance suppose l’espérance déjà commencée par un désir ; pourquoi viendrait-elle ajouter un désir nouveau ? Reste donc qu’elle soit une joie, ou un amour, ou peut-être les deux à la fois.

Pallavicini, que nous citions tout à l’heure, a proposé d’identifier la confiance avec cette joie de l’espérance que tout le monde admet, et dont parle saint Paul. Leur origine n’est-elle pas la même d’après les analyses de saint Thomas, c’est-à-dire ce » jugement de possibilité » , source de confiance et de joie ? Pourcfuoi la joie de l’espérance — ce qui shnplifierait les choses — ne serait-elle pas précisément cette confiance sereine, qui chasse la tristesse du découragement et les anxiétés de la crainte ? Et pourquoi la confiance — ce qui en donnerait enfin une explication claire — ne serait-elle pas précisément cette joie d’avoir les moyens d’acquérir l’objet désiré ? L’espérance est -donc, d’après Pallavicini, une alfection mixte, ajoutant au désir d’un objet la joie qui naît de la possibilité de l’acquérir ; et cette explication plaît pf, r sa simplicité même. Asscrtiones tlwologiea’, Rome, 1649, 1. II [, De fide, spe et carilate. Viva, S. J, reproduit la même théorie. Cursus theol., part. IV, p. 121.

Cette théorie, cependant, ne résout pas complètement le problème. Elle pourrait suffire, dans tous les cas où la^possibilité d’acquérir l’objet désiré dérive soit d’une chance probable (par exemple, gagner à la loterie), soit de nos propres forces, non sans quelque mélange de hasard (par exemple, gagner à un jeu d’adresse). Mais de ce groupe de faits, il y a lieu de dis-