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directement l’autorité, pouvant également la leur retirer s’ils en usaient contre le plan divin. Il est inutile de démontrer que cette théorie, qui ne fut jamais l’expression du droit chrétien, est en opposition avec les principes déjà exposés touchant l’indépendance respective des deux pouvoirs ; et entre l’Église et l’État, sociétés parfaites, une subordination directe < ?st impossible, attendu qu’elles n’appartiennent pas au même ordre et que leur fin propre est d’un genre tout distinct.

L’autre système, celui du pouvoir indirect, compte, au contraire, de nombreux défenseurs, quoique l’Église n’ait jamais porté de définition dogmatique sur cette question et n’ait condamné à ce propo aucune opinion. C’est pourquoi le champ de la discussion reste ouvert ; et très diverses ont été les interprétations touchant la nature et l’étendue de ce pouvoir indirect. Voici d’abord comment une première opinion, qui se réclame de Bellarmin, De regiminc principum, 1. I, c. XV, justifie la portée du pouvoir indirect. Voir t. II, col. 591-.59.3. L’Église, sans doute, n’a reçu de pouvoir direct et immédiat que sur les choses qui concernent la religion et le bien spirituel des âmes ; mais ce pouvoir renferme indirectement, c’est-à-dire par voie de conséquence, le droit de régler les affaires temporelles de l’État, si l’intérêt de la religion et le bien des âmes viennent à le réclamer. En dehors de ce cas, toute intervention directe de l’Église dans les choses de l’ordre civil et politique serait entachée de nullité ; ce en quoi les tenants de cette opinion se distinguent des partisans du pouvoir direct. Toutefois, cette théorie, qui part d’un principe juste, savoir, de la subordination des fins respectives des deux pouvoirs, semble aboutir à des conclusions exagérées touchant la nature de l’intervention de l’Église dans les affaires temporelles de l’État. Aussi bien une autre opinion scmble-t-clle préférable, celle qui fait consister le rôle d’intervention de l’Église, en vertu du pouvoir indirect, dans une simple action morale sur la conscience des chefs de gouvernement et sur celle du peuple chrétien. « Ce pouvoir ne serait donc pas autre chose que le droit d’éclairer et de diriger les consciences par rapport aux choses temporelles où les intérêts de la religion se trouvent engagés, de définir, proclamer et intimer les règles de la justice sociale, et de rappeler à tous, princes et nations, les devoirs que la loi divine leur impose. E. Valton, Droit social, p. 176. Cette opinion paraît concilier fort bien deux thèses, qui, dans la présente question, doivent rester toujours unies : d’une part, la thèse de la distinction et de l’indépendance respective des deux pouvoirs, dans leur sphère particulière, et, d’autre part, la thèse de la subordination de la puissance temporelle à la puissancc spirituelle. En clTet, d’après ce système, l’Église, en vertu de sa prééminence juridique, est véritablement investie d’un pouvoir d’autorité vis-à-vis de l’Étal, d’où cette théorie se dislingue nettement de’erreur des gallicans, mais ce pouvoir reste purement spirituel : < II a pour but direct une chose spirituelle, la moralité des actes, leur conformité avec la religion ; mais, par cela même, il atteint aussi, quoique indirectement, les choses temporelles qui relèvent de cette moralité. » Moularf.o/>.f/7., i).181. Les tenants de cette opinion sont nombreux : on peut citer le jésuite .lean-Antoinc Kianchi ; P>oncaglia, Animadversiones in Idst. eccles. Xatidis Alcxandri, sa ?c. xi, dissert. II ; le cardinal Gousset, Théologie dogmatique, part. II, n. 1202 sq. ; Gorini, Déjense de t’Église, Lyon, 1866, t. iii, p. 267 sq. ; Phillips, Dn droit ecclésiastique dans .SP5 principes généraux, Paris, IS.’^O, t. ii, p. 441, etc. lin outre, le langage, autant que la conduite jiratiquc du Saint-Siège en ces derniers temps, paraît ajouter du crédit à cette interprétation du pouvoir indirect.

Voir la lettre du cardinal Antonelli, du 19 mars 1870, et les encycliques du pape Léon XIII, par exemple, l’encyclique Sapienliæ cliristianæ, du 10 janvier 1890, l’encyclique Au milieu des sollicitudes, du 16 février 1892, etc.

Cependant, quoi qu’il en soit des diverses interprétations qu’on puisse donner du pouvoir indirect, en tant qu’il signifie, de la part de l’Église, un certain droit d’intervention dans les affaires temporelles de l’Etat, on ne peut nier l’existence de ce droit ni l’importance des devoirs de justice qu’en retour il impose à l’État. « Or, ces devoirs de justice, qui découlent du principe de la subordination indirecte de l’État par rapport à l’Église, ont un caractère à la fois négatif et positif. En effet, ils exigent de l’État, non seulement qu’il s’abstienne, dans l’exercice de ses pouvoirs directif et exécutif, de gêner en quoi que ce soit la mission et les libertés de l’Église, mais encore qu’il se mette au service de l’Église et lui prête le concours de son autorité et de ses ressources matérielles, chaque fois que la fin de cette société supérieure et divine vient à le réclamer. » E. Vallon, Droit social, p. 181.

Des principes exposés jusqu’ici ressort l’injustice de ce qu’on a dénommé appel comme d’abus ou recours en cas d’abus, c’est-à-dire « un recours contre les empiétements de la puissance ecclésiastique sur les droits de la puissance, civile » car, tout appel devant nécessairement procéder d’un tribunal inférieur à un tribunal supérieur, c’est précisément l’envers qui se produit dans l’appel comme d’abus, puisque l’Église est une société juridiquement supérieure à l’État et que celui-ci lui est indirectement subordonné. C’est donc avec raison que cette erreur de droit public a été condamnée par le Syllabus, prop. 41, et qu’elle peut même entraîner avec elle une censure d’excommunication spécialement réservée au souverain pontife, comme on peut le voir dans la constitution Aposlolicx Sedis, § 1, n. G, 7. Cf. E. Vallon, Droit socicd, p. 182. sq.

3. Relation d’union et de concorde.

Les deux sociétés, civile et ecclésiastique, sont, en raison de leur origine et leur fin, destinées à vivre dans des rapports d’union et de concorde : venant du même auteur, qui est Dieu, c’est-à-dire ordre, sagesse et paix, elles tendent en définitive au même but, qui est le bonheur de l’honnne. Aussi bien ne jieuvent-elles s’ignorer l’une l’autre, et, ne pouvant vivre dans une hostilité qui leur serait profondément préjudiciable, elles doivent se résoudre à s’entendre mutuellement. Ajoutons à cela que l’État est naturellement lié envers Dieu et la religion par des devoirs imprescriptibles cl qu’il se doit à lui-même, autant qu’à ses propres sujets, de ne pas vivre dans l’alhéisme, mais de prèter à la religion sa bienveillance et son concours. Or, l’Église seule a été officiellement chargée par Dieu de personnifier ici-bas la religion avec une organisation sociale l)arfaite et indépendante. C’est donc avec l’Église que doit se consommer cette alliance de la part du pouvoir civil.

Cette alliance des deux pouvoirs, conformément aux principes du droit chrétien, comporte m double rôle, un rôle négatif et un rôle posilif. Le rôle négatif réclame qu’aucune des deux sociétés ne fasse rien qui l)uisse jjorter atleinle aux droits de l’autre, n Ainsi l’Église évite dalTaiblir l’autorité des chefs de gouvernement vis-à-vis de leurs sujets et de se mêler des adaires purement politiques. I)e son rôle, l’État s’abstient (le mettre sa lé^islalinn et ses actes en opjiosition avec les lois de liieu et de l’Église, comme auss de s’immiscer dans les choses de la religion et de l’ordre spirituel. » I". Vallon, Droit social, p. 186. Toutefois, ce rôle négatif ne sudll pas ; il faut, en outre, que les deux sociétés se prêtent un concours positif.