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fanes, etc. Ces principes touchant la distinction et la délimitation des iiouvoirs, Léon XIII les a admirablement résumés dans l’encyclique Immorlale Dei : « Dieu a réparti entre le pouvoir ecclésiastique et le pouvoir civil le soin de pourvoir au bien du genre humain. Il a préposé le premier aux choses divines et le second aux choses humaines. Chacun d’eux dans son genre est souverain ; chacun d’eux est renfermé dans des limites parfaitement déterminées et tracées en conformité exacte avec sa nature et son principe ; chacun d’eux est donc circonscrit dans une sjjhère où il peut se mouvoir et agir en vertu des droits qui lui sont propres. Ainsi tout ce qui, dans les alïaircs humaines, à un titre ou à un autre, concerne la religion, tout ce qui touche au salut des âmes et au service de Dieu, soit par son essence, soit par ses rapports avec le principe d’où il dépend, tout cela est du ressort de l’autorité de l’Église. Quant aux autres choses qui constituent le domaine civil et politique, il est dans l’ordre ciu’elles soient soumises à l’autorité civile, puisque .Jésus-Christ a ordonné de rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. »

Mais les deux sociétés, spirituelle et temporelle, ne sont pas seulement distinctes, elles sont également souveraines et indépendanles dans leur sphère particulière. « Par souveraineté ou indépendance, il faut entendre la liberté réciproque, c’est-à-dire la nonsujétion, la non-subordination d’un pouvoir à l’autre, pour tout ce qui regarde leur ordre propre ou leur sphère particulière. L’ordre propre des sociétés est déterminé par la fin spéciale qu’elles poursuivent et il embrasse l’ensemble des moyens qui sont en rapport avec cette fm. » E. Valton, Droil social, p. IGO sq. Aussi bien l’Église est-elle indépendante vis-à-vis de l’État dans les matières spirituelles, c’est-à-dire pour tout ce qui a trait à la foi, à la morale, aux sacrements, à la discipline ecclésiastique, etc. A son tour, l’Élat est indépendant vis-à-vis de l’Église dans toutes les choses qui se rapportent à sa propre fin, c’est-à-dire à la fin temporelle, par exemple, pour ce qui regarde l’organisation du pouvoir politique, législatif, judiciaire et exécutif, les relations politiques entre le chef de l’État et ses sujets, le commerce, l’industrie, la paix, la guerre, etc.

Les deux sociétés étant indépendantes dans leur domaine propre, il suit de là que chacune est, dans ce même domaine, juge souverain de ses actions et de l’opportunité des circonstances. S’il arrive donc qile l’une des puissances dépasse les limites de sa sphère particulière et empiète sur les droits de l’autre, celle-ci a la faculté de pourvoir à sa propre défense. Cependant, ce droit de légitime défense ne s’étend pas jusqu’à conférer à la puissance opprimée le droit de s’attribuer les prérogatives de pouvoir oppresseur. En outre, si le droit de légitime défense comprend également le jus cavendi, c’est-à-dire le droit de veiller à ce que les abus ne se commettent pas, il ne s’ensuit pas qu’il soit permis de faire usage de ce droit par mode de prévention, même lorsque les abus n’apparaissent point, car ce serait provoquer le désordre et la confusion des deux pouvoirs. Cf. Moulart, L’Église cl l’Étal, Louvain, 1879, p. 403. C’est pourquoi le regiiim placcl, le placet, ou exequatur royal, « approbation préalable, par l’autorité civile, des décisions ecclésiastiques, sous prétexte de prévenir jusqu’à la possibilité de l’abus de la part du pouvoir spirituel, » est une atteinte directe à l’indépendance de l’Église, société parfaite ; et, à juste titre, l’Église a plusieurs fois prononcé sa condamnation. Voir const. De Ecclesia, c. III, du concile du Vatican ; prop. 20, 28 et 41 du Syllabus ; const. ApostoUcæ sedis, § 1, n. 7. Cf. E. Vallon, Droil social, p. 163 sq.

[_ 2. Relation d’inégalité et de subordination. — L’Église

et l’État ne sont pas des sociétés équivalentes, mais la premiére occupe un rang supérieur au second dans l’échelle de la vie sociale. Car des sociétés sont toujours entre elles dans le même rapport que leurs fins respectives : or, la fin propre de l’Église se trouve être la plus élevée de toutes en dignité, et la plus nécessaire, puisque c’est la fin dernière elle-même. Il suit donc de là que la société religieuse jouit d’une prééminence de dignité vis-à-vis de la société civile. Mais faut-il en conclure qu’entre les deux sociétés existe, en outre, une relation de subordination et que la prééminence de la puissance spirituelle vis-à-vis de la puissance civile doive également s’entendre d’une prééminence d’autorité ? C’est, on le voit, la question la plus délicate des rapports de l’Église et de l’État, celle de la subordination directe ou du pouvoir direct et de la subordination indirecte ou du pouvoir indirect. Il nous faut d’abord en définir les termes : « Une société complète peut être, dans le même ordre, composée de plusieurs sociétés plus petites qui poursuivent soit le même but social qu’elle, par exemple, dans l’État, les départements et les communes, dans l’Église, les diocèses et les paroisses ; soit une fin plus spéciale, mais comprise dans la fin générale de la grande société, par exemple, dans l’État, les sociétés du commerce, de l’industrie, des arts, etc., dans l’Église, les congrégations religieuses, les confréries, etc. Toutes ces sociétés secondaires ne peuvent se suffire à elles-mêmes sans le secours de la société supérieure, dont elles dépendent en raison même de leur nature et par rapport à leur propre fin. Voilà ce que nous appelons subordination directe. Deux sociétés, même parfaites, peuvent poursuivre respectivement deux fins qui, quoique réellement distinctes et complètes dans leur genre, se rattachent cependant l’une à l’autre par un lien de subordination. Aussi bien chacune des deux sociétés recherche-t-elle son but spécial, en jouissant de sa souveraineté et de son indépendance dans sa sphère individuelle. Mais cette indépendance n’est pas absolue pour la société, même parfaite, dont la fin est d’ordre inférieur, car elle doit régler son action de manière à ne pas contrarier la fin supérieure de l’autre société et elle est même obligée, dans les cas nécessaires, de prêter à celle-ci son concours. Voilà ce qu’il faut entendre par subordincdion indirecte. » E. Valton, Droit social, p. 168 sq.

Ces notions bien établies, nous disons, en premier lieu, que l’Église et l’État ne sauraient être mis sur un pied d’égalité juridique, mais que l’une des deux puissances — et des remarques précédentes il appert que c’est la puissance civile — doit être de quelque manière unie à l’autre par un lien de subordination. Autrement, c’en serait fait de l’harmonie entre les deux pouvoirs, et les conflits de droits et de juridictions resteraient sans issue. Les tenants du droit moderne l’ont si bien compris qu’ils se sont réfugiés dans la thèse erronée de la suprématie du pouvoir civil. Ainsi donc il existe entre l’Église et l’État un rapport d’inégalité juridique, savoir, de prééminence, du côté de l’Église, et de subordination, du côté de l’État.

Mais de quelle nature est cette subordination ? Est-elle directe ou indirecte ? En d’autres termes, la prééminence d’autorité dont l’Église est investie à l’égard de l’État comporte-t-elle un pouvoir direct ou simplement un pouvoir indirect ? Nous ne nous arrêterons pas longtemps au pouvoir direct, qui eut autrefois quelques défenseurs parmi certams théologiens attribuant à l’Église une véritable suprématie dans le gouvernement de la société civile. D’après cette opinion qui, paraît-il, fut enseignée la première fois par Jean de Salisburj% évêque de Chartres, les princes séculiers seraient de simples délégués de l’Église, et il appartiendrait au pape de leur conférer