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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ÉCRITURE


rappelle aux Corinthiens la narration de la cène qu’il leur a « transmise » , c’est-à-dire enseignée en les convertissant au christianisme.,

Et pour établir l’autorité inébranlable de ce récit, saint Paul déclare qu’il l’a reçu du Seigneur. Un grand nombre d’interprètes ont conclu qu’il croyait avoir eu connaissance des circonstances de l’institution de la cène, au cours d’une vision proprement dite (la plupart des anciens commentateurs, saint Thomas, Nicolas de Lyre, Cajetan, Estius, Corneille de la Pierre, des modernes catholiques, Bisping, Rambaud, Cornely, Le Camus, Toussaint, Jacquier, Prat, des protestants et des critiques non croyants, Bengel, Tholuck, B. Weiss, Godet, Lichtenstein, Wattench, Frankland, Seeberg, Goetz, Andersen, Percy Gardner, Bousset, Loisy, Lietzmann, Reitzenstein, etc.). Un grand nombre d’interprètes de toute école pensent, au contraire, que l’apôtre parle seulement d’une tradition qui remonte au Seigneur et dont il a été instruit par les communautés où il a vécu (Maier, Hehn, Batifîol, A. Schaîfer, Van Cronibrugghe, Berning, Mangenot ; Schnedermann, Goebel, Neander, Nôsgen, Schmiedel, Heinrici, Hoffmann, Clemen, Schultzen, Zahn, Bachmann, J. Weiss, Goguel, etc.). Certains commentateurs croient que saint Paul a été renseigné par la tradition sur l’ensemble des faits, mais qu’il attribue à une vision la connaissance de quelques détails, du caractère sacramentaire de la cène (Pfleiderer), de son sens profond (Haupt), de sa portée mystérieuse (Lebreton).

Pour déterminer la valeur du récit et rechercher si l’eucharistie remonte à l’apôtre ou à Jésus, il sera utile d’étudier plus loin les arguments mis en avant de part et d’autre. Ici, il sufRt à l’excgète de constater que saint Paul considère comme venant de Dieu, comme révélée d’une manière médiate ou immédiate sa doctrine sur l’institution de la cène.

C’est « dans la nuit où Jésus fut livré » que le Christ la célébra. Dans les trois Synoptiques, la prophétie de la trahison précède immédiatement le récit de la bénédiction du pain et du viii, et, dans le c. vi de saint Jean, la silhouette du traître est entrevue. Le . Seigneur Jésus » , en d’autres termes, Jésus, notre Dieu, < prit » d’abord du pain ; il « rendit grâces » , c’est-à-dire ou bien il prononça la prière en usage au début de tous les repas (mais alors pourquoi la mentionner spécialement), ou bien il récita la formule prescrite par le rituel pascal. Puis il rompit le pain. Cet acte lie prouve pas que Jésus ait employé des azymes. Le pain ne peut être distribué que s’il est partagé. Et le Seigneur dit : Ceci est mon corps. Sur le sens de ces mots, identiques à ceux que citent saint Matthieu et saint Marc, voir ce quia été écrit, col. 1935-1039. Et ce corps est « pour vous » . Cette phrase abrupte a été complétée dans certains manuscrits : ils portent rompu pour vous (sCDFGKLP, etc.). Certains Pères ou certaines versions ont lu : qui sera rompu ; qui sera livré pour vous. Communément, on tient aujourd’hui ces participes pour des gloses explicatives ajoutées à un texte primitif trop elliptique. Exprimée formellement ou non, l’idée est la suivante : le corps de Jésus est livre à la mort pour le salut de ses disciples. Si l’on rapproche ces mots de plusieurs passages du Nouveau Testament, si on les explique par ceux qui furent prononcés sur la coupe de l’alliance, on est oMigé de conclure qu’ils mettent davantage en relief la fonction rédemptrice du corps du Christ. On peut même se demander et on s’est demandé si, selon saint Paul, cette fonclion ridemplrice s’exerçait déjà en un véritable sacrilicc quand le Seigneur prononçait les paroles de la cène ou si la distribution du pain est seulement présentée ici comme une particip.’ilion anticipée à rimmolalion du Calvaire. Prat,

op. cil., t. I, p. 171. Le texte de saint Paul ne permet pas de résoudre la question. Mais ce qui est certainement affirmé, c’est que le corps du Christ sera sacrifié. Donc, il n’est pas question ici, comme l’a cru J. Réville, op. cit., p. 87, du corps mystique de Jésus. Le sang ne devrait pas être mentionné, s’il n’était parlé ici que de l’union morale des fidèles dans l’Église. Ce qui est mangé, c’est la victime immolée, c’est donc le corps matériel, l’organisme humain du Christ historique.

Après la distribution du pain, Jésus ajoute icFaites ceci en mémoire de moi. » Le repas du Seigneur est commémoratif, de par la volonté du Maître qui en a prescrit la répétition et fixé le caractère : telle est la pensée de saint Paul sur laquelle il reviendra deux fois encore. Certains protestants ont dit : Si l’eucharistie est un mémorial, elle ne contient pas le Christ ; on ne fait mémoire que des absents. Il est facile de répondre : La passion a eu lieu une fois pour toutes, l’eucharistie en perpétue le souvenir. Voir plus loin. La cène primitive est’passée ; on la commémore en la répétant. On fait mémoire de Jésus en l’invitant à être présent.

Bratke a proposé une traduction de ces mots qui en affaiblirait notablement le sens. Saint Paul prêterait à Jésus l’ordre de « faire ce pain en mémoire de lui, » c’est-à-dire d’en faire un mémorial de la personne du Christ. L’eucharistie ne serait qu’un symbole commémoratif. Si, à la rigueur, on peut entendre ainsi le verset 26 : Faites cette coupe en mémoire de moi, il n’en est pas de même des mots prononcés sur le pain. Le verset 24 porte : Faites ceci (neutre) ; or le mot pain est masculin et il n’a pas été prononcé par Jésus.’Av(iiJ.vi, (Ttv signifie d’ordinaire souvenir et non mémorial : c’est [j.vyi|j.ô<7Jvov qui d’ordinaire exprime cette dernière idée. La vraie traduction paraît donc être : Faites ce que je viens de faire et faites-le en mémoire de moi. Berning, op. cit., p. 110.

Sans heurter la grammaire, on a pu cependant proposer d’autres interprétations plus favorables encore à la présence réelle : Faites ceci, c’est-à-dire faites, produisez ce corps en mémoire de moi. Néanmoins, cette interprétation paraît moins naturelle. < Offrez ceci » en mémoire de moi, ont compris Andersen, op. cit., p. 13, 19 ; Gore, Tlie Ixdyof Christ, Londres, 1902, p. 315-318. Et cette explication affirmerait plus fortement encore le sacrifice et la manducation de la victime. Mais si ttoie’- a parfois ce sens dans les Septante, par exemple, Exod., xxix, 38, il ne l’a pas dans le Nouveau Testament et la tradition ne le lui a pas reconnu. Lebreton, toc. cit., col. 1565.

Saint Paul passe à la coupe. Jésus la distribue < après le souper » . Que contenait-elle ? De l’eau, suppose Harnack, op. cit., p. 137. Car saint Paul a écrit : « On fait bien… de ne pas boire de vin et de ne rien faire qui puisse être une occasion de duite pour un frère. » Rom., XIV, 21. Mais il nous apprend aussi qu’au repas du Seigneur, certains s’enivraient. I Cor., xi, 21. Le vin de la communion n’est pas impur : il devient le sang du Christ. Et son usage ne peut scandaliser personne : c’est à l’assemblée chrétienne qu’on le consonmic. Il n’y a donc aucun motif de croire que l’apôtre subslitucau vin mentionné par les Synoptiques un autre breuvage.

Jésus pril la coupe, rendit grâces et la distribua, en disant : « Cette coupe est la nouvelle alliance dans mon sang. « De l’aveu des interprètes, catholiques ou non, cette formule est en étroit rapport avec le récit de l’Exode, xxiv, 8, cité plus haut. Mo’ise asperge le peuple avec le sang des victimes offertes en sacrifice et dit : Voici le sang de l’alliance que le Seigneur a faite avec vous. La parole rapportée par saint Paul signifie donc d’abord qu’une nouvelle alliance sera scellée parle sang du Christ offert en sacrifice.