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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ÉCRITURE


justifie fort bien ; comme le dit J. Réville, elle fait allusion au sacrifice de l’alliance du Sinaï : « Voici le sang de l’alliance, » Exod., xxiv, 8, ou, ajoute-t-il, au sang de l’agneau pascal. Mais le pain n’est ni la figure ni la condition d’une alliance. Le corps du Christ, s’il n’est pas présent, s’il n’est pas réellement donné aux disciples ne l’est pas davantage. Au reste, corps ici s’oppose à sang ; et le sang dont il s’agit n’est pas un sang mystique ; c’est celui qui est versé pour beaucoup, c’est le sang réel de la passion. Le corps dont parle Jésus est donc bien un vrai corps humain et non l’Église. Brandt, Wellliausen, J. Hoffmann négligent les données essentielles des quatre narrations, J. Réville les transforme et les rend méconnaissables.

La première condition pour que l’eucharistie soit d’une manière spéciale, plus que les autres repas de Jésus et de ses disciples, un banquet fraternel, c’est que le Christ y ait parlé de la charité, ou qu’il y ait communiqué un moyen de développer l’amour pour Dieu et les hommes. Or, d’après ces critiques, il n’a pas donné à la cène sa personne, son corps et son sang ; et les quatre récits ne gardent pas le souvenud’une recommandation sur l’affection mutuelle qui aurait accompagné la présentation du pain et du vin.

d. L’eucharistie, parabole qui annonce la passion et la mort prochaine. — Weizsacker avait soutenu qu’à la cène, Jésus avait posé une énigme, énoncé une parabole sans en donner le sens. Jiilicher, op. cit., p. 235245, démontra que cette hypothèse était inconciliable avec l’attitude du Christ, en ses derniers jours. Le geste et les paroles du Seigneur annoncent, sous forme de parabole, que son corps sera violemment mis à mort, que son sang sera répandu sur la croix. « Par la fraction de pain, le Christ représentait le sort semblable qui attendait son corps… ; il pouvait dire à ses disciples, en regardant le x/wasvc-v : C’est là mon corps, le même traitement va lui être bientôt réservé… Jésus fait circuler sur la table le calice contenant du vin rouge mêlé d’eau. Comme ce vin va bientôt être épuisé, ainsi bientôt mon sang sera entièrement répandu…, il est vrai qu’il ne le sera pas inutilement, mais JjiÈp TtoXXôjv et comme le sang de l’alliance. » Telle est, avec des nuances, l’opinion de plusieurs critiques.

Il est d’abord permis de se demander si la fraction symbolise, dans les Synoptiques et saint Paul, la mort violente du Sauveur. Seul le texte reçu de l’apôtre atteste que le corps est brisé pour les Douze, encore ce participe est-il considéré comme une glose explicative ajoutée après coup, croit-on communément, parce que la formule de saint Paul (mon corps pour vous) semblait trop elliptique et parce que le texte de Luc (ceci est mon corps donné pour vous), ou la déclaration prononcée sur le vin (ceci est mon sang versé pour beaucoup) la suggéraient naturellement. La fraction est mentionnée, il est vrai, par les quatre témoins. Mais puisqu’il y avait douze convives, il était nécessaire que le pain fnt rompu. Le geste a donc pu être accompli sans être une figure. Le verbe s/./aa ; n’est employé ailleurs que pour désigner un acte opéré sur un aliment. D’autre part, le corps de Jésus n’a pas été rompu sur la croix. Aussi plusieurs critiques de toute école, catholiques, protestants conservateurs et autres, se refusent-ils à voir dans la fraction un symbole. Goguel, op. cit., p. 96, qui cite Wellhausen, Zahn, R. A. Hoffmann, Ileitmiillcr, Clemen, Spitta, J. Hoffmann, J. Réville. Jiilicher semble même avoir renoncé à attribuer ce sens à cet acte. Kt O. Hollzmann, Das Abendmahl in Urchrisicntum, dans Zeittchrijt jiir die neutestamentliche Wissenchaft und die Kunde des Urchristentums, 1901, p. 89-120, pour maintenir ce symbolisme, éprouve le besoin d’ima giner que, le pain s’étant rompu fortuitement dans la main de Jésus, celui-ci y a vu un présage de sa mort violente. De même, il suppose que le Christ, avant de distribuer la coupe, a fait une libation avec son contenu, annonçant ainsi son sacrifice et ordonnant de réitérer le geste en son honneur. Mais le texte qu’on obtient après avoir fait ces additions n’est plus celui du Nouveau Testament. A la Bible, on substitue un récit fantaisiste qui n’atteste plus que l’idée de son inventeur.

On peut admettre, au reste, avec beaucoup d’écrivains des camps les plus opposés, le symbolisme de la fraction du pain. Il est certain, du moins, que le vin versé signifie l’effusion du sang. La séparation du pain et du viii, du corps et du sang peut aussi représenter la mort du Sauveur : c’est dans le sang que les Juifs étaient portés à placer la vie, il est l’âme de la chair. Gen., ix, 4-6 ; Lev., xvii, 10-14 ; Deut., xii, 23, etc. Et l’effusion du sang, sa sortie hors du corps de l’animal immolé constituait une partie essentielle du sacrifice. Mais ce qu’on ne peut accorder, c’est que ce symbolisme explique tout le récit, soit le seul but de la cène et que Jésus n’ait rien voulu instituer. Pour le soutenir, Jiilicher néglige tout ce qu’offrent de spécial les narrations de Paul, Luc, Matthieu, par exemple, l’ordre de réitérer le dernier repas ; il s’en tient à Marc et il laisse sans explication ce qui, dans la déposition de cet évangéliste.ne peut être entendu au sens figuré, par exemple, le mot : « Prenez » , le fait de la consommation par les disciples du pain et du vin. Jésus aurait dû se contenter de dire : « Ce pain brisé représente ma mort ; ce vin est l’image de mon sang. » Il n’avait nul besoin d’inviter les Douze à manger et à boire. Mais, si le Christ n’a rien institué, pourquoi les premiers chrétiens ont-ils cru le contraire ? Julicher est condamné à faire naître l’eucharistie d’un contresens, d’un quiproquo. Batiffol, op. cit., p. 63-68. Autant avouer l’insuffisance de l’hypothèse : elle n’est pas bonne, puisqu’elle ne rend pas compte de tous les faits constatés. Comme l’observe Loisy, op. cit., t.ii, p. 540, les paroles : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang » ne sont pas des comparaisons ; elles « n’ont aucune affmité avec les paraboles authentiques. » Les apôtres n’auraient pu comprendre ces figures, avant l’événement. Et le fait accompli, ils n’auraient pas éprouvé le besoin de reproduire les gestes symboliques de Jésus, s’ils avaient été seulement une prophétie en action, une consolation destinée à les préparer aux événements et à les soutenir au moment de la passion. e. L’eucharistie institue l’alliance nouvelle. — Déjà plus voisine de la vérité, mais toujours incomplète est l’hj’pothèse d’après laquelle la cène fut seulement le banquet de l’alliance qui devait être scellée dans le sang de.lésus. H. J. Moltzmann et plusieurs critiques. Voir Goguel, op. cit., p. 89-90. Il ne semble pas qu’il soit ()uestion d’une contre-partie de la Pâque juive, le sang de l’agneau ne scellait pas une alliance à proprement parler. La similitude complète de la formule qui, d’après saint Matthieu et saint Marc, fut dite sur le sang avec la parole que, d’après l’Exode, xxiv, 8, prononça Moïse, oblige à « ne pas écarter tout à fait l’idée d’une alliance. » Lagrange, Évangile selon saint Marc, Paris, 1911, p. 355. Mais le sens de testament. « fortement indiqué par Heb., ix, 15, et les traductions latines, » sens que seul les inscriptions et les papyrus attribuent au mot SiafJTi/.r, , ncdoit pasêtre négligé. Il est donc peut-être dangereux de vouloir interpréter toutes les paroles de la cène à l’aide de ce seul terme entendu dans le sens d’alliance.

Si le rapprochement du récit de l’Exode peut être utile, il convient de ne pas le forcer : dans la conclusion du nouveau pacte, on ne trouve ni discours de Jahvé, ni promesse du peuple, ni partage du sang en