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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ECRITURE


deux parts ;. dans le rite mosaïque, on n’aperçoit pas )a fraction du pain, la nianducation des victimes, on ne découvre pas les mots : « Ceci est mon corps. » (".liaquc institution a donc son caractère propre, et doit être expliquée, avant tout, par le contexte qui l’encadre et les affirmations qui la rapportent. Il faut rendre compte de la formule : « Ceci est mon corps, » lui découvrir un sens acceptable : or Holtzmann est réduit à accepter l’hypothèse inacceptable d’une parabole. Il est nécessaire de relever le caractère expiatoire attribué au sang de Jésus. Nous voulons savoir pourquoi les apôtres ont été invités et ont consenti à manger et à boire les aliments sur lesquels une formule avait été prononcée. Enfin on ne peut supprimer l’ordre de réitérer la cène ; au contraire, une alliance qui n’est qu’une alliance ne se scelle qu’une fois. Si Jésus avait voulu seulement imiter Moïse, les Douze auraient à leur tour imité les Juifs qui n’avaient pas cru devoir accomplir de nouveau, à plus forte raison souvent, le rite de l’Exode. Dire que ce qui fut réitéré, ce ne fut pas la cène, mais la multiplication du pain, c’est exagérer l’importance de ce dernier épisode, situer dans la première moitié du i’^"’siècle un symbolisme qui est attesté seulement au II"* et surtout au iiii", reculer la difficulté puisque nulle part n’apparait l’ordre de renouveler cet acte, aller au-devant de nouvelles objections, car on ne découvre ni la raison spéciale de cette réitération ni une complète similitude entre le miracle évangélique et la cène chrétienne.

Oui, le sang versé sur la croix scelle un pacte nouveau, mais c’est parce qu’il est le sang d’une victime expiatoire : les trois Synoptiques l’affirment en tenues exprès et nous savons que telle est la pensée de Paul. Il faut donc pousser à bout la comparaison. La mort de Jésus est le sacrifice par lequel l’alliance nouvelle est conclue, puisque toute alliance, selon les Juifs, exigeait un sacrifice. A la cène, cette idée se présentait naturellement à l’esprit du Christ : les prières du Hallcl rappelaient les bienfaits et les promesses de Dieu ; la nianducation de l’agneau pascal commémorait le souvenir des préliminaires de l’antique alliance. Jésus se savait près de sa mort qu’il envisageait comme un bienfait pour l’humanité. Mais Israël avait dû être aspergé par le sang des victimes ; celui de l’agneau marquait les portes de chaque maison pour que les premiers-nés fussent épargnés. Donc, pour profiter de l’alliance nouvelle, les disciples du Christ devaient participer d’une certaine manière à la victime ; manger le pain, c’était communier à son corps immolé ; boire le viii, c’était entrer en contact avec le sang de l’alliance. Enfin, si le rite est expiatoire, il peut être individuel, il doit être renouvelé ; si la cène met en relation intime avec le corps et le sang de Jésus, on conçoit qu’un si grand bienfait ne soit pas réservé aux Douze seuls. C’est ainsi qu’on peut expliquer le dernier repas de Jésus à l’aide des souvenirs mosaïques ; on trouve alors dans cet acte une alliance, mais alliance qui requiert la présence réelle et entraîne la réitération du rite. Holtzmann et les critiques qui rapprochent les récits évangéliques de la narration de l’Exode n’ont en réalité qu’un tort : ils s’arrêtent en chemin et ne cherchent pas à comprendre, à l’aide des traditions juives, toutes les données du Nouveau Testament. Batiffol, op. cit., p. 69-96.

I. L eucharistie, don de Jésus. — C’est encore le même grief qu’on est obligé de faire à des critiques qui se rapprochent davantage de la conception traditionnelle, semblent l’entrevoir, mais ne croient pas pouvoir l’adopter. Le mot corps désignerait la « personnalité morale » de Jésus. Par la communion, les disciples se l’approprient (R. A. Hoffmann) ; Jésus se donne pour nourrir les siens (Haupt) ; il distribue le

pain pour exprimer d’une manière concrète ce bienfait (Wendt) ; il accorde à celui qui le reçoit avec foi la rémission des péchés opérée par sa mort (Schæfer). « Ce que Jésus donne aux siens, c’est lui-même, c’est-à-dire l’essence même de sa pensée, de sa foi, de son cœur ; il se dépense sans compter pour allumer en eux la fiamme qui le dévore, pour faire naître et entretenir en chacun d’eux les aspirations, les énergies, les certitudes qui l’animent. Il se donne, c’est-à-dire il se communique lui-même à eux, il veut les associer à son œuvre et pour cela, rien ne lui coûte, il ne recule ni devant les fatigues, ni devant les souffrances, il ne reculera pas même devant la mort s’il arrive que Dieu dresse la croix sur son chemin. Ainsi compris le don de Jésus ne peut être enfermé ni dans le présent, ni dans le passé, ni dans l’avenir… La compréhension de cet acte… enferme le ministère de Jésus tout entier et ces heures de suprême réunion qu’il passe avec ses disciples dans la chambre haute, les souffrances, la mort, la crise quelle qu’elle soit qui est imminente, mais aussi le triomphe qui est certain, le retour glorieux, la réunion dans le rovaume de Dieu. » Goguel, op. cit., p. 101.

C’est beaucoup ; le lecteur non prévenu serait même tenté d’estimer que c’est trop, qu’il n’a pas vu tout cela dans la cène. Que ce soit sous-entendu dans la formule : « Ceci est mon corps, » on peut l’admettre. A coup sûr, ce n’est pas exprimé. Et ce qu’il faut savoir d’abord, c’est ce qui est formellement dit par Jésus, ce que signifie en premier lieu, au sens propre, ce que proclame à haute voix la formule « Ceci est mon corps. » Sur ce sujet, on est porté à soutenir que tous ces critiques minimisent, découvrent trop peu dans la cène ou plutôt ne sont pas assez précis. Ceci est mon corps n’a jamais signifié : ceci est ma personne morale ; je suis votre pain, votre nourriture ; cet aliment est le symbole de mes bienfaits ; c’est le pardon des péchés ; c’est le rappel de tous mes dons passés, l’image de tous mes dons présents, la prophétie de tous mes dons futurs. Le mot corps n’a plus aucune raison d’être si on lui donne ce sens. La parole de Jésus perd son caractère exceptionnel, unique, car le Christ a souvent parlé de l’union morale qu’il veut établir entre les hommes et lui, union de pensée et des cœurs ; souvent il a souligné, annoncé ses bienfaits. Il tient un tout autre langage. Saint Paul exprime d’une manière différente cette générosité du Christ : « Dieu a livré à la mort son Fils pour nous tous, » Rom., VIII, 32 ; « Jésus-Christ notre Seigneur a été livré pour nos offenses, » Rom., iv, 25 ; « le Fils de Dieu n’a aimé et s’est livré lui-même pour moi, » Gal., II, 20 ; « le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même à Dieu pour nous comme une oblation et un sacrifice d’agréable odeur, » Eph., v, 2 ; « le Christ a aimé l’Église et s’est livré lui-même pour elle. » Eph., v, 25. Le langage des Synoptiques n’est pas moins clair : « Le Fils de l’homme est venu… afin de servir et de donner sa vie pour la rédemption d’un grand nombre, » Matth., XX, 28 ; « le Fils de l’homme est venu afin de servir et de donner sa vie pour la rançon d’un grand nombre. » Marc, x, 45. Personne ne peut se méprendre sur le sens de ces expressions, elles sont très intelligibles et très générales. Aussi saint Paul a-t-il pu écrire : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Lui qui n’a pas épargné son Fils… comment avec lui ne nous donnera-t-il pas toutes choses ? » Rom., VIII, 32. Les théories de Goguel et des autres critiques cités plus haut pourraient commenter toutes ces déclarations.

Mais ici, deux mots nouveaux interviennent : le corps de Jésus, le pain. Dire que l’aliment donné est la figure des bienfaits du Sauveur, que le mets consommé représente la nourriture spirituelle des âmes.