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EUCHARISTIE D’APRES LA SAINTE ÉCRITURE

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Plusieurs savants ont adopté cette opinion. Dom Leclercq est disposé à croire que, si les actes de la cérénTonie juive ont été délaissés, des formules ont été recueillies et ont formé la trame primitive du sacrifice eucharistique. Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, art. Agapes, t. i, col. 780. Cf. Cabrol, Les origines liturgiques, Paris, 1906, p. 328. Si on accepte ces conclusions, on fait la part aussi large que possible, plus large même que ne l’admettent beaucoup de critiques, à rinfiuence du rite juif sur la cène clirétienne. Aller plus loin est impossible. Si l’eucharislie n’était qu’une contrefaçon chrétienne de la Pàquc, clle n’aurait été célébrée qu’une fois l’an. Dans les jours qui suivirent la Pentecôte, moins de deux mois après l’institution, la fraction du pain n’aurait pas été fréquemment accomplie. D’ailleurs, « en dehors du jour qui lui était attribué, le souper pascal perdait toute signification et la manducation de l’agneau, du charoseth et des herbes amères eût été quelque chose d’analogue tout au plus à une messe blanche ; « un Juif ne se la fût pas permise et des milliers de convertis n’auraient pas eu assez de liberté d’esprit pour consentir à une cérémonie si étrangement contraire aux idées recuis. Leclercq, loc. cit. Les mets de la Pâque n’apparaissent plus sur la table chrétienne ; et les fidèles de la religion nouvelle entendent des paroles ignorées des Juifs, paroles qui semblent essentielles puisque seules elles sont rapportées par les écrivains du Nouveau Testament. Enfin, si on a cru découvrir les premiers linéaments de la messe dans les formes rituelles juives, « il n’en est pas moins vrai, dit dom Cabrol, que ces éléments anciens sont revêtus d’un sens si nouveau, qu’on peut ies considérer vraiment comme une création. » Les origines liturgiques, p. 139. De même, M. Duchesne, Origines du culte chrétien, 4e édit., Paris, 1908, p. 48, voit dans la cène ou repas sacré un des deux éléments nouveaux dans lesquels réside l’originalité de la liturgie chrétienne. Plusieurs érudits contestent même énergiquement la thèse de Bickell, par exemple, Drews, art. Eucharistie, dans Realeneyklopâdie fiir protestantische Théologie und Kirche, 3e édit., t. v, p. 563, et les liturgistes qui, comme dom Cabrol, op. cit., p. 330, ne la rejettent pas complètement, adressent à ce système de nombreuses critiques et croient constater même dans les formules et les rites secondaires empruntés une telle différence avec les usages juifs qu’ils l’attribuent à une réaction contre la cérémonie mosaïque, à un désir de faire entendre aux fidèles que l’ancienne loi avait disparu et de les empêcher de prendre le change, de se tromper sur le sens véritable de la cène chrétienne.

Si la Pâque juive n’a qu’un rapport lointain avec l’eucharistie, ne doit-on pas attribuer une influence plus grande à un autre rite, le kiddûsl Avant de répondre à la question, il faut rappeler exactement ce qu’était cette cérémonie, beaucoup moins connue. Elle a lieu au commencement du sabbat ou des jours de fête, pour les sanctifier. Le soir, donc, après le coucher du soleil, soit à la synagogue, soit plus régulièrement à la maison, le père de famiile prend en main une coupe remplie de vin. Après avoir récité d’ordinaire les versets 1-3 du ch. ii de la Genèse, il la bénit, en disant : « Sois loué. Éternel, notre Dieu, roi de l’univers, qui as créé le fruit de la vigne. » Puis il bénit la fête : « Sois loué, Éternel, notre Dieu qui nous as sanctifiés par tes préceptes, qui nous as agréés pour ton peuple et qui, dans ton amour, nous as donné le saint jour du sabbat, en commémoraison de la création. Ce jour est la première des solennités ; elle nous rappelle que tu nous as fait sortir del’Égypte, que c’est nous que tu as choisis et sanctifiés au milieu de tous les peuples et dans ton amour tu nous as donné en héritage le saint jour du sabbat. Sois loué. Éternel,

qui as sanctifié le sabbat. » Puis le maître de la maison boit à la coupe, la fait passer à sa femme et à ses enfants. Telle est la cérémonie, comme l’a bien montré M. Mangenot, Les Évangiles synoptiques, Paris, 1911, p. 435-111, d’après les témoignages tajmudiques et les explications des rabbins ; son opinion concorde avec celle de M. Moïse Schwab et du rédacteur de l’article Kiddûsch, dans The Jevish encyclopedia, t. vii, p. 482-484. Voir aussi Klein, dans la Zeilschrift fiir die neulestamenlliche Wissenscha/t, 1908 ; Lagrange, Évangile selon saint Marc, p. 335-336.

Un certain nombre de critiques de diverses écoles, pensant qu’il est impossible de faire de la cène du Christ un festin pascal, ont conclu qu’elle avait été célébrée au cours d’un kiddûs, c’est encore une transposition chrétienne de ce repas qu’ils croient découvrir dans la Didaché, ix, x (Spitta, Drews, Foxley, Funk, Box, Batiffol, Rauschen, Sanday, Drummond, Loisy, Dufourcq, J. Weiss). Voir Mangenot, op. cit., p. 442-461. Mais d’une part, il n’est pas démontré que le dernier repas de Jésus n’a pas été un festin pascal ; d’autre part, les érudits qui reconnaissent dans la cène un simple kiddûs, supposent à tort qu’au cours de cette cérémonie juive, il y avait une bénédiction du pain et le lavement des mains. Comme le montre M. Mangenot, op. cit., p. 464, on pourrait admettre que la première coupe du récit de Luc était celle de kiddûs, autrement dit la première du repas pascal qui aurait ensuite continué. Ce qui est incontestable, c’est que les paroles de Jésus sur le pain : « Ceci est mon corps, » sur le vin : « Ceci est mon sang 1) n’ont rien de commun avec les prières du kiddûs. La célébration hebdomadaire de cette cérémonie a-t-elle influé sur celle de l’eucharistie ? C’est possible, il faut noter pourtant que le rite juif était accompli au début du sabbat, nous dirions le vendredi soir, et que la fête chrétienne se célébrait le jour du Seigneur, ou dans la nuit du samedi au dimanche. Les prières du kiddûs ressemblent-elles à celle de la Didachél Qu’on l’admette si on le croit démontré. Mais cette action du rituel juif sur le formulaire chrétien serait postérieure à la formation des récits évangéliques et de la narration de saint Paul sur l’institution de l’eucharistie. L’originalité de l’acte de Jésus demeure entière.

Inutile d’insister sur les autres usages qui ont été rapprochés de la cène : banquets sacrés des esséniens, festins, d’ailleurs sans caractère religieux spécial, des pèlerins juifs pendant leur séjour à Jérusalem, réunions de lectures et de prières, avec banquets collectifs, des colonies juives de la Diaspora. Dans aucune de ces fêtes, on ne découvre ce qui caractérise le dernier repas de Jésus, les mots : « Ceci est mon corps ; ceci est mon sang ; » dans toutes, on aperçoit des éléments qui n’apparaissent pas à la dernière cène. Ce plus et ce moins inexpliqués constituent son caractère unique et sont précisément l’eucharistie.

Tout ce qu’on peut accorder, c’est que les institutions juives ont pu préparer ou faciliter l’acceptation en certains milieux de la cérémonie chrétienne, exercer quelque influence sur les rites et formules secondaires dans lesquelles on encadra avec le rite les formules caractéristiques et essentielles. Encore, cette action, qui paraît vraisemblable, ne peut-elle en fait qu’être soupçonnée : les preuves, les documents qui la démontreraient d’une manière péremptoire font défaut.

c. L’eucharistie n’est pas un emprunt fait au paganisme. — Pour le démontrer, il est nécessaire de bien déterminer la question. Nous ne nous demandons pas si certains convertis du paganisme étaient portés à voir dans la cène l’équivalent de mystères auxquels ils avaient déjà pris part, avant leur passage à la