vraie foi et si cette circonstance ne leur rendit pas plus aisée l’acceptation du banquet chrétien. Quelques communautés, plusieurs fidèles ne tentèrent-ils pas de surcharger de compléments profanes et empruntés à d’autres religions le rite eucharistique ? Le vocabulaire religieux, le rituel des Grecs et des Orientaux ne déteignirent-ils pas sur le vocabulaire, le rituel des chrétiens sans modifier les doctrines ? Autant de questions que nous n’avons pas le droit de poser ici. Nous cherchons si la cène chrétienne est une reproduction d’une cérémonie païenne, si les mots : " Ceci est mon corps, ceci est mon sang » sont empruntés à une autre religion, si l’idée de la communion à la personne du Christ ne remonte pas à Jésus, mais à la fable.
Aussi le catholique ne doit-il pas s’inquiéter si on lui démontre que certains repas rehgieux antiques doivent être rapprochés des assemblées chrétiennes. Les sociétaires des confréries grecques se réunissaient et, à certains jours de fête, prenaient en commun un repas amical empreint d’une grande cordialité, l’égalité y régnait, les femmes étaient admises, chacun apportait sa quote-part. Leclercq, Dictionnaire d’archéologie chrétienne, art. Agapes, t. i, col. 790. Bien que proscrits par Auguste, à moins qu’ils ne soient exclusivement funéraires, les collegia subsistaient dans les premiers siècles chrétiens, soit secrètement, soit en vertu de tolérances administratives, tacites ou expresses. On a le droit de penser que ces réunions favorisèrent l’institution des assemblées chrétiennes ; mais ce qui leur fut redevable, sinon de son origine, du moins de son développement, ce fut surtout l’agape où les fidèles pouvaient converser, manger, prier ensemble ; où ils trouvaient « un objet de tendresse et un sujet de consolation, des frères et des réunions, » l’élan, la vie commune et l’enthousiasme. Leclercq, lac. cit., col. 791. La consécration du pain et du vin n’a aucun équivalent dans ces banquets des éranes et des thiases, dans lesquels le sentiment religieux n’apparaît guère ou du moins n’est pas profond.
Au contraire, l’eucharistie proprement dite peut être rapprochée du repas funéraire en usage chez la plupart des peuples anciens, dès la plus haute antiquité. 11 était en vigueur au début de notre ère dans un grand nombre de pays méditerranéens où furent établies des colonies chrétiennes, en Italie, Grèce, Asie Mineure, Palestine, Afrique, Egypte. Les Juifs, nous l’avons vii, avaient une coutume semblable. Jésus prescrivit qu’on n’omît pas de lui accorder un souvenir postimme. Dans le dernier repas qu’il prit avec sa vraie famille, il dit : « Faites ceci, c’est-à-dire renouvelez ce repas en mémoire de moi. Toutes les fois que vous boirez cette coupe, faites-le en mon souvenir. » Dans saint Paul, le caractère funéraire de la cène est fortement accusé : « Toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez ce calice, vous annoncez (ou annoncez ) la mort du Scignenr, jusqu’à ce qu’il vienne. » Le banquet funèbre, banquet non seulement pieux mais joyeux, car il rappelle la résurrection, est choisi pour grouper ceux qui sont fidèles au (>hrist. Là se borne l’analogie. Dans le monde païcn, à l’origine les survivants offraient au défunt des vivres pour son usage personnel et exclusif ; filus tard, ils prirent un copieux repas sur son tombeau ; enfin, le rite se confondit parfois avec les ban((uets célébrés en l’honneur des dieux. Ici, rien de tel ; pas plus que celui des.Juifs, le festin funèbre des païens n’explique l’absorption du corps et du sang de Jésus. A la cène chrétienne « se passèrent des choses d’une nouveauté vraiment divine et qui ne ressemblent à aucun des rites de l’antique banquet funèbre. - Leclercq, lor. cit., col. 77.’)-7 « l, 843-844.
Certains critiques n’ont pas reculé devant la tentation de découvrir l’origine de la communion chré tienne elle-même dans des cérémonies païennes. Ils ont observé que, toujours, partout l’homme éprouve le besoin d’entrer en relation avec les dieux. Ils rappellent que le repas est l’acte religieux par excellence, partagé entre l’homme et les êtres supérieurs, présidé par la divinité. Ils insistent en particulier sur certains banquets, ceux des mystères qui introduisent dans une sphère supraterrestre, ceux des sacrifices qui scellent une alliance avec la divinité. L’homme, dans beaucoup de religions, n’est pas seulement le convive des dieux, il reçoit d’eux les mets du repas. On constate l’existence d’aliments surnaturels capables d’opérer des effets merveilleux, de conférer l’immortalité. Enfin, le croyant consomme la divinité elle-même ; il se nourrit de son totem ; il mange un objet, parfois un être vivant, un homme consacré aux Immortels et qui est ainsi leur substitut, une offrande tout imprégnée de la substance même du dieu.
Ces constatations faites, certains critiques essaient d’exphquer l’origine de l’eucharistie par une loi générale du développement des religions. Il y a, disent-ils, quelque chose de semblable dans l’évolution de tous les cultes. Si, en dehors de tout contact, on peut constater entre deux usages religieux une véritable analogie, on doit conclure qu’il y a là deux applications d’une même loi, deux cas où elle se vérifie. Il en serait ainsi dans l’espèce. Tout culte suppose un besoin d’entrer en rapport avec la divinité. Dans toute religion, cette relation s’étabht par le repas ; dans toutes, à un moment déterminé, l’idée de la manducation du dieu apparaît. La communion chrétienne devait fatalement être imaginée, elle correspond aux communions païennes.
Comme l’observe un critique non catholique, <c s’il est vrai qu’il y a quelque chose de commun dans le développement des diverses religions, il ne faut pas méconnaître ce qu’il y a d’original dans chacune d’elles, et, d’une manière plus particulière, dans la religion chrétienne. Le développement du christianisme a eu quelque chose de spontané et d’individuel, il a été spécifiquement différent du développement des autres religions et c’est se condamner à no pas pouvoir saisir ce qu’il y a de plus caractéristique en lui que de vouloir l’expliquer par les lois générales du développement de la religion. » Goguel, op. cit., j). 28. Le même auteur ajoute : « Le moment où l’on pourra » appliquer cette méthode « n’est pas encore arrivé, sitant est qu’il doit jamais venir. L’état actuel de la science des religions n’est pas tel qu’on puisse songer à établir une théorie de la communion par le repas. » Op. cit., p. 294.
Tout culte met en contact avec la divinité : on ne peut en être surpris, tel est, en effet, le but de la religion. Est-ce un pur hasard qui fait apparaître dans divers pays, à des époques éloignées, le repas de communion plus ou moins lié au sacrifice, ou est-ce " une force interne qui pousse la religion à s’exprimer dans un repas ? » On peut admettre cette dernière hypothèse. L’homme essaie de prendre contact avec la divinité comme il prend contact avec ses semblables, en lui parlant, en lui offrant des dons, en lui demandant des faveurs, en s’asseyant à la même table. Hicn d’étonnant s’il a voulu faire plus, s’il a désiré s’i lever au-dessus de lui-même, et si, pour atteindre ce but, il a cru devoir consommer quel<iue chose de divin. Que doit-on conclure ? Qu’il y a une lui contraignant toute religion à posséder une communion, et que l’eucharistie est un phénomène naturel ? C’est une hypothèse, celle de certaines criliques. Que Jésus-Christ, connaissant à merveille les besoins impérieux de l’âme humaine, a voulu, dans sa miséricordieuse tendresse, lui offrir la plus inconcevable et la plus précieuse satisfaction, que la communion au corps et au sang d’un Honmic-