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EUCHARISTIE D’APRÈS LES PÈRES

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Vierge, de la chair qui a été crucifiée ; présence dont la certitude est fondée sur la parole même du Christ ; présence assurée par les paroles mêmes de la consécration, dont l’efflcacité est toute divine et miraculeuse ; présence enfin qui s’opère par un vrai changement, par une conversion réelle, telle est la somme de son enseignement. « Vous direz peut-être : Je vois autre chose, comment donc m’assurez-vous que je reçois le corps de Jésus-Christ ? » Et Ambroise de répondre : « Prouvons que ce n’est pas ce que la nature a formé, mais ce que la bénédiction a consacré. Prouvons que la bénédiction a plus de force que la nature… Que si une bénédiction humaine (allusion à des exemples qu’il vient de rappeler) est capable de changer la nature, naturam converterct, que dire de la consécration divine où opèrent les paroles mêmes du Sauveur ? Ce sacrement que vous recevez est accompli par la parole du Christ. Si la parole d’Élie a pu faire descendre le feu du ciel, la parole du Christ ne pourra-t-elle changer la nature des éléments, species mulet clementorum ? Vous avez lu, au sujet de la création : « Il dit, et tout se fit ; il « commanda et tout fut créé. » La parole du Christ, qui a pu du néant faire ce qui n’était pas, ne peut-elle donc pas changer ce qui est en ce qui n’était pas, ea quæ sunt in id mutare quæ non erant ? » De mysL, ix, 52, P. L., t. XVI, col. 406. Saint Ambroise en appelle au mystère de l’incarnation, et il ajoute : « Ce corps que nous produisons par la parole est le même qui est né d’une Vierge. Pourquoi chercher l’ordre de la nature dans la production du corps de Jésus-Christ (dans l’eucharistie), puisque le Seigneur Jésus est né d’une Vierge en dehors de l’ordre de la nature ? C’est la véritable chair du Christ qui a été crucifiée et ensevelie ; c’est donc vraiment le sacrement de sa chair. Jésus le déclare lui-même, en disant : « Ceci « est mon corps. » Avant la bénédiction des paroles célestes, on donne à cela un autre nom ; mais, après la consécration, on l’appelle corps, corpus significatur. Il dit lui-même que c’est son sang. Avant la consécration, cela s’appelle d’un autre nom ; mais, après la consécration, on l’appelle sang et vous répondez : Amen, c’est-à-dire c’est vrai. Croyez donc de cœur ce que vous avouez de bouche, et que vos sentiments soient conformes à vos paroles. » Ibid., 53, 54, col. 407.

Présence réelle du corps historique du Christ, par un changement qui convertit la nature de ce qui est, qui transforme les species elementorum, sous l’action merveilleusement efficace de la parole consécratrice ; mais aussi communion réelle, participation réelle à ce corps et à ce sang, car l’eucharistie est un aliment spirituel : In illo sacramento Christus est, quia corpus est Christi ; non ergo corporalis esca, sed spiritalis est. Ibid., 58. Quant à pénétrer plus avant dans l’analyse des mystères eucharistiques ; quant à expliquer ce que devient la substance du pain, comment elle est convertie au corps spirituel du Christ, ou quel est le mode d’être de ce corps dans l’eucharistie, saint Ambroise ne l’a pas fait, mais il met bien sur la voie de la transsubstantiation.

Loofs reconnaît dans les passages précités la conception du réalisme et même du dynamisme de la transsubstantiation ; mais il prétend que ce n’est point là la doctrine de saint Ambroise, attendu que le De mysteriis n’est pas de lui. Nous n’avons pas à prouver l’authenticité du De mysteriis, qui ne saurait guère être contestée, voir t. i, col. 946, mais à examiner si la doctrine du De mysteriis est vraiment en contradiction avec celle du De fide, où l’on veut que se trouve la pensée authentique de saint Ambroise : Caro mea vere est esca et sanguis meus est polus. Carnem audis, sanguinem audis, mortis dominicæ sacramenta cçgnoscis et divinilali calumniaris ? Audi diceniem ipsum :

Quia spiritus carnem et ossa non habet. A’os autem quotiescumque sacramenta sumimus, quæ per sacrée orationis mysterium in carnem transfigurantur et sanguinem, mortem Domini annuntiamus. De fide, iv, 10, 124, P. L., t. xvi, col. 141. « Dans ce texte, dit Mgr Batiffol, L’eucliaristie, p. 290-291, saint Ambroise répond à une difficulté présentée au nom du subordinatianisme. Si le Christ a dit : Ego vivo propter Patrem, le Christ dépend du Père, concluent les ariens. Ambroise répond que le Christ vit pour le Père en tant que le Christ est homme. Peut-on, en effet, rapporter à la divinité ce qui est dit par le Christ (le sa chair et de son sang ? Dieu, qui est esprit, n’a ni chair, ni os. Donc, conclut Ambroise, quand il est question de vie ou quand il est question de mort, il ne l)eut être question que de l’humanité du Sauveur. Ambroise incidemment touche un mot des mortis dominicæ sacramenta, désignant sous cette expression l’eucharistie. Ambroise écrit : Sacramenta sumimus, comme plus haut il écrivait : Sacramentum accipis. Il marque, ce qu’il ne fait pas dans le De mysteriis, le caractère de mémoire, tandis que dans le De mysteriis il insiste de préférence sur le caractère de don de vie : mais ces deux aspects ne s’excluent pas. Ainsi dans l’eucharistie, telle que la liturgie la célèbre, nous annonçons la mort du Seigneur, comme dit saint Paul : non pas la mort de sa divinité, mais la mort de son humanité, faite de chair et de sang. Voilà pourquoi les sacrements, c’est-à-dire le pain et le viii, qui servent à annoncer la mort du Seigneur, sont convertis en sa chair et en son sang par la sainte prière. Comment Ambroise, qui parlait dans le De mysteriis de la conversion de la nature du pain et du viii, peut-il parler dans le De fide de transfiguration du pain et du vin ? Figure et nature ne sont-ils par termes contradictoires ? Oui, si la langue ecclésiastique était dans les premiers siècles une langue fixée et philosophique, mais c’est ce qui n’est point. Ambroise lui-même ne disait-il pas indifféremment naturam convertere et species mutare elementorum ? Le verbe transfigurare, s i étonnant que cela semble, est synonyme de convertere. » Malgré la différence du verbe employé, le sens de l’idée exprimée est le même, et la doctrine du De fide, loin de contredire celle du De mysteriis, la complète en y ajoutant l’idée de mémoire, qui convient tout aussi bien à l’eucharistie que l’idée de don de vie marquée par le De mysteriis, 47-49.

Autre difficulté : d’après Loofs, qui s’appuie sur le commentaire du psaume xxxviii, où le sacrifice eucharistique est présenté comme une imago veritatis, saint Ambroise n’aurait jamais affirmé, dans ses écrits indiscutés, la présence réelle. Mais si l’on se reporte au texte visé. In ps. xxxviii, n. 25, on voit que saint Ambroise distingue Vombre, représentée par l’ancienne loi, l’image par l’Évangile et l’Église, la vérité par le ciel. Or, actuellement, le fidèle ne voit les réalités divines que per spéculum et in œnigmate, et c’est le sens du mot image employé dans ce passage. Mais l’image ici n’est nullement vide et sans réalité objective. Et si dans le De mysteriis il disait avec raison que, comparée aux symboles anciens, l’eucharistie est la vérité, autrement dit, leur réalisation, ce n’est pas avec moins de raison que, par rapport à la claire vision de la vie future, il montre dans la liturgie une image ; mais ce rapport du présent au futur, de ce qui est sur la terre à ce qui aura lieu dans le ciel, qui autorise l’emploi du mot image, ne fait pas que l’eucharistie soit une image simple sans la moindre réalité ou vérité ; la présence réelle, quoique invisible, du Christ dans l’eucharistie, et la participation à son corps et à son sang par la communion, bien qu’objet de foi, n’en sont pas moins une réalité, dont le mystère, ou, comme dit saint Ambroise, la vérité ne sera dévoilée qu’au