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ENFER (SYNTHÈSE DE L’ENSEIGNEMENT THÉOLOGIQUE)

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rollcinent de choisir son bonlieur. Prenant conscience (le soi, il veut son bonlieur et il clioisil parnii les biens qu’il connaît : il doit y avoir là et il y a de fait une fin dernière, voulue plus ou moins confusément : le bien, l’ordre moral et ainsi Dieu, ou soi-même, recherché iléfinitivement, malgré tout, même malgré l’ordre moral à violer. Cf. S. Thomas, ibid., ad 3°"’. Dés que l’homme en est capable, il doit donc absolument accomplir le jiremier précepte essentiel de la loi naturelle, aimer Dieu comme sa fin dernière. Toutefois, cet argument, ex ratione præcepti chaiilalis in primo inslcinii liberlatis (opinion thomiste), est rejeté par plusicursthéologiens, Vasquez, Suarez, etc., voir Ciiaritk, t. ii, col. 2253 sq. ; et cependant à peu près tous admettent que Dieu par sa providence pourvoit à ce que les enfants ne meurent pas, après l’usage de la liberté morale, avant un péché mortel ou un acte de charité justifiante. Très rares ont été ceux qui supposaient un lieu spécial, inconnu de la tradition, pour les adultes, qui seraient coupables du péché originel et de péchés véniels seulement. Surtout le dogme de la nécessité de la grâce, pour éviter le péché, écarte sans conteste ces vies d’adultes sans grâces ni péché. Actuellement on qualifierait donc cette opinion d’au moins téméraire. Voir t. iv, col. 22, 23. Cf. Pie VI, bulle Auctorcm fidci, Denzinger-Bannwart, n. 1526.

Les propositions précédentes sont comme des principes abstraits. Concrètement, quels sont les damnés ? Sauf de Judas, Act., i, 25 ; Joa., xvii, 12 ; Matth.. XXVI, 24, on ne peut dire d’aucune personne individuelle, qu’elle est damnée. Au moins, les damnés sont-ils plus nombreux, ou moins nombreux que les élus ? Voir Élus (Nombre des).

4° Mais on fait à la doctrine de l’universalité de l’enfer pour tous les pécheurs l’objection que des âmes damnées ont été délivrées de l’enfer.

1. Les fails et les autorités.

Un écrit admis longtemps comme l’œuvre de saint Jean Damascène, De iis qui in fide dormierunt, P. G., t. xciv, col. 247-278, rapporte que Notre-Seigneur, lorsqu’il descendit aux enfers, délivra beaucoup d’honnêtes pa’iens qui étaient morts sans la foi et qui crurent alors à sa parole, que saint Grégoire le Grand, par ses prières, délivra de l’enfer l’âme de Trajan et que sainte Thècle enfin délivra par le même moyen l’âme d’une pa’i’enne nommée Falconilla. Jean Diacre, au ixe siècle, recueillit pour l’Occident cette histoire qu’il dit avoir apprise des Églises anglaises ou saxonnes. Vita Gregorii, 1. II, n. 44, P. L., t. lxxv, col. 104, 105.

Une autre série de miracles fut colligée de la vie de divers saints : miracles de résurrection d’âmes mortes en état de péché mortel, mais par grâce de Dieu, avant d’être condamnées à l’enfer, revenant à la vie, pour se purifier par le baptême ou la confession. Saint Grégoire le Granci raconte un fait de ce genre, de saint Silvére, Dz’o/., l. I, c. xii, P. L., t. i.xxvii, col. 212-213 ; Sulpice Sévère, un autre de saint Martin, P. L., t. XX, col. 164 ; Évodius ( ?), un autre de saint Etienne, De miraculis S. Stephani, 1. I, c. xv, P. L., t. xi.i, col. 842. pour un, enfant mort sans baptême. Le pseudo-Ambroise, Serm., xlviii, P. L., t. xviii, col. 727, en réalité, saint Maxime, Serm.. lvi. De S. Agnete, P. L., t. lvii, col. 646, rapporte encore un autre exemple, de sainte Agnès, en faveur du fils du préfet, mort subitement au lupanar. Enfin, plus tard, on rapportera des miracles semblables de saint Patrice, Vie, par l’abbé Riguet, 1911. de saint Philippe de Néri pour Paul Fabricius de la famille princière Massimo (résurrection, confession, mort définitive), Vie, dans Guérin, Petits bollandistes, 26 mai, t. VI, p. 219, etc. Spécialement sur la délivrance de damnés par le Christ descendu aux enfers, voir t. iv, col. 597-602.

2. Critique liiéolof/iquc des faits. — Les théologiens hésitèrent d’abord à admettre toutes ces histoires, surtout les premières. Cf. Robert PuUus, Sent., 1. VIF, c. xxvii, P. L., t. CLXxxvi, col. 045, cf. col. 1128, note de dom Mathoud. Saint Thomas semble admettre les faits, à cause des autorités qu’il ne savait récuser, mais veut aussi les faire tous rentrer dans la seconde catégorie. Sum. theol., III » Supplem., q. Lxxi, a. 5, ad 4°’" : Xon erant fmaliter in inferno deputati, sed secundum præsenteni propriorum meritorum justitiam ; secundum autem superiore.s causas quibus prævidebantur ad vitum revocandi, erat aliter de eis disponenduni. D’autres, ajoute saint Thomas, n’admettent, pour les damnés proprement dits (faits de la première catégorie), qu’une suspension de l’enfer jusqu’au jugement dernier. Jean le Diacre avait admis une libération complète des supplices infernaux, mais sans faire aller Trajan au ciel, ni le faire sortir de l’enfer. En tous cas, pour saint Thomas, ces pécheurs qui étaient en enfer, sans être damnés, ont dû, pour être sauvés, revenir à la vie, à l’état dévoie ; on ne peut admettre qu’ils aient été justifiés en enfer, comme semble le dire pourtant le texte du pseudo-Jean Damascène. De plus, c’est un miracle qui ne dépend que de Dieu seul et qui est tellement contre la loi commune, qu’on ne peut prier pour le demander. Saint Thomas sauvegarde ainsi les deux vérités catholiques : l’enfer est éternel ; il ne faut pas prier pour les damnés. Jean Diacre avait distingué entre prier et pleurer pour les damnés ; saint Grégoire avait pleuré sur Trajan, mais non prié pour lui. Enfin, le récit lui-même de ce miracle confirmait ces deux vérités, car Dieu aurait dit à saint Grégoire : Trajan sera sauvé, lu autem poslhac caveto ne mihi pro impiis supplex sis. En admettant les explications de saint Thomas, tous les théologiens postérieurs ont reconnu qu’il ne répugne pas absolument que Dieu suspende la fixation en l’état de terme de certaines âmes mortes en état dépêché mortel (comme de celles qui, mortes en état de grâce, furent ressuscitées), pour leur laisser encore durant quelque temps la liberté morale nécessaire à leur conversion. Ces âmes ne seraient pas damnées bien que peut-être soufïrant en enfer, et ainsi il reste vrai que pour tous les damnés l’enfer est éternel. C’est cette possibilité qui a fait poser par Benoît XII, dans sa constitution Benedictus Deus, Denzinger-Bannwart, n. 1336, 1a restriction : secundum Dei ordinalionem conununem. Voir col. 91. Cf. Bellarniin, De purgalorio, 1. II, c. viii, Opéra, Naples, 1872, t. ii, p. 397 sq. ; Sylvius, In SuppL, q.Lxxi, a. 5 ; Suarez, In II"", De mysteriis vitœChristi. disp. XLIII, sect. iii, n. 10. Opéra, t. xix, p. 737 ; Mazzella, toc. cit., a. 5, n. 1261, p. 889, 890. Voir t. IV, col. 613, 614.

3. Critique historique des faits.

Les Orientaux nièrent, dès le xi’e siècle, l’authenticité de l’écrit attribué au Damascène. Cf. Le Quien, Disser !. Damasc, diss. V, P. G., t. xciv, col. 197. Ce ne fut que plus tard que les latins la rejetèrent avec les histoires qu’elle garantissait. On pensa d’abord que saint Jean de Damas avait vécu 200 ans avant saint Grégoire. Médina, In 77/^’", q. lii, a. 6 : Joseph du Saint-Esprit, au xviiie siècle encore, Cursus theolof /iir myslico-scholasticæ, 51n-fol., Séville, 1721, t. ii, dist. VI, q. iii, p. 154, etc. Puis après Melchior Cano, De locis theol., I. XI, c. ii, Bellarmin, loc. cit., abandonna cette attribution pour de justes arguments de critique interne (contradictions avec la doctrine certaine des deux saints, cl. De fide orthodoxa, ii, 4 ; Moral. , 1. XXXIV, c. xiii), et surtout de critique externe, silence absolu des Occidentaux, Paul Diacre, Anastase le Bibliothécaire, Adon, le V. Bède, etc., des traditions et des archives de Rome, jusqu’à Jean

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