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ENFER (SYNTHÈSE DE L’ENSEIGNEMENT THEOLOGIQUE ;


théoriques généraux. Par la permission divine et pour l’utilité des vivants, il ne répugne pas que quelque damné apparaisse sur la terre, pour un instant, S. Thomas, Sum. theol., II I^ Supplem.. q. Lxix, a. ; ?, soil dans une apparition purement représentative (causée par Dieu ou les anges ; nous ne parlons pas des tromperies du démon), soit même par une apparition substantielle avec un corps apparent, ou dans son cadavre, ou dans le feu, etc.

Les faits d’ailleurs, dit J. Ribet, La mystique divine, t. ii, p. 221, sont tellenient multipliés, qu’il serait déraisonnable de les révoquer tous en doute ; par exemple, l’apijarition de ce docteur à l’université de Paris, en des circonstances si dramatiques, et qui aurait déterminé la conversion de saint Bruno, voir t. II, col. 2275, et Ada sanctonim, t. li, p. 538-595 ; l’apparition d’un prélat indigne et damné à Denys le Chartreux, Acta sanctonim, t. viii, p. 248. Cf. Lopez Ezquerra, Luccrna mijsi., tr. IV, c. xiii, n. 116, pour d’autres faits ; J. Ribet, op. cit., c. xii, p. 225-229.

La situation (sitiis) locale des damnés en enfer est en dehors de nos connaissances et ce que les poètes, les ascètes, les orateurs anciens développent à ce sujet est œuvre d’imagination plus ou moins droite. Par exemple, Bail, Théologie ajjectivc, Paris, 1845, t. v, p. 379 sq., examine s’il vaut mieux se représenter l’enfer comme un ensemble de lieux divers à différents tourments ou comme un étang unique où les damnés sont entassés l’un sur l’autre comme des poissons frits ensemble ; on trouve de semblables préoccupations en beaucoup d’auteurs de méditations. Quant aux localisations des grands poètes chrétiens, Dante, Divine Comédie, part. I, l’enfer ; Le Tasse, .Jérusalem délivrée, c. iv ; Milton, Paradis perdu, 1. II ; Klopstock, I, a Messia(le, c. ix, dans leurs rapports avec la théologie, voir Th. Ortolan, Astronomie et Ihéologie, Paris, 1894, p. 155-159, 171, 173 sq., 191.

Après cet exposé on gardera peut-être l’impression que c’est trop peu de regarder comme plus probable l’opinion de l’enfer intra-terrcstrc, et que Suarez avait raison de la donner comme certitude catholique. Mais il faut observer que la façon de parler au sujet des dogmes qui louchent à la cosmologie et à l’astronomie est fondée sur les apparences vulgaires et sur le système astronomique admis à chaque époque. Dans la physique géocentrique, avec liant et bas cosmiques proprement dits, l’enfer était naturellement conçu comme placé en bas sous la terre, de même que le ciel en haut dans l’empyrée. Indépendamment d’ailleurs de cette conception scientihque regardée aujourd’hui comme fausse, le langage populaire, de même qu’il fait habiter à Dieu spécialement en haut, dans les cieux où se manifestent, de la façon la plus sublime, sa gloire et sa puissance, placera naturellement les êtres mauvais à l’opposé dans les ténèbres de la terre. On ne pourrait guère se représenter Satan ayant sa demeure propre dans les splendeurs du firmament. Mais ces façons métaphoriques de parler n’ont aucune prétention scientifique et leur seule vérité absolue est une vérité morale ; saint Jean Chrysostome, saint Augustin, saint Grégoire en avaient déjà conscience. Cf. Th. Ortolan, op. cit., p. 62 sq., 122 sq., 1 19 sq. ; A. Gardeil, Le donné révélé et la iliéologie, Paris, 1910, p. 104-106. Voir Descente AUX ENFERS, t. IV, col. 566, 583. Comme le sens métaphorique pourtant ne s’impose pas, il reste plus probable que le sens naturel doit être conservé.

VI. Nature des peines de l’enfer. — 1° Généralités. — L’enfer, c’est le péché, non pas le reatus culpw, mais le rcalus pœnæ, ou plutôt les peines dues à ce reatus et appliquées enfin dans l’état de terme. Comme le reatus pœnæ dépend essentiellement du

reatus culpæ, la théologie de ces peines est, par toute sa nature intime, absolument commandée par la théologie du reatus culpæ et du reatus pœnæ. Voir Péché, Peine.

Dans tout péché, il y a un double désordre responsable (reatus culpœ) : le rejet de Dieu comme fin dernière, rfY//us avcrsionis « /Jco ; le choix d’une créature à sa place, reatus conversionis ad crpo/ur « iii, le tout est une olTense de Dieu. Tout péché mérite un châtiment, reatus pfrna’, car tout désordre moral doit être réparé, compensé ; cette compensation réparatrice est une privation proportionnelle du bien contre lequel on a péché. Au double reatus culpæ correspond donc proportionnellement un double reatus pœnæ ; pour le rejet de Dieu (péché mortel), la privation de Dieu, le f/o/ ? !  ; pour l’usage désordonné de la créature, quelque peine spéciale dans cet usage même, la peine du sens. Quant aux façons dont ces peines sont appliquées, il faut distinguer la peine concomitante ; tout désordre moral entraîne, en ellet, de jiar sa nature, une peine : la jjrivation de la beauté morale d’abord et puis un trouble dans les facultés violentées, qui, devenu conscient, constitue le remords, la honte, l’angoisse, etc., enfer intérieur parfois si terrible, inexorable comme un ver rongeur ; et puis la peine infligée du dehors, la seule que regarde directement le reatus pœnæ, celle que le gardien de l’ordre inflige au coupable. Cette peine, considérée avant la faute, est la sanction à l’état de menace ; les peines de l’enfer ne sont évidemment pas de cette espèce ; considérées après la faute, elles sont châtiment appliqué. Celui-ci enfin est icibas vengeur de l’ordre moral et médicinal en même temps, mais dans l’autre vie, il ne pourra plus être que purement vindicatif : tel est le supplice de l’enfer. Dans les éléments de ce supplice, la division en peine du dam et peine du sens est faite d’après certaines formalités des châtiments infligés. Concrètement on a donné d’autres divisions. Par exemple, peines dans l’intelligence : cœcilas menlis ; peines dans la volonté : obstinatio in malo ; souffrances intérieures, douleur, désespoir, remords : exclusio a gloria seu a bcatitudine ; souffrances venant de l’extérieur : feu, lieu, société, etc. C’est l’ordre de saint Tliomas, Sum. ttieol., P, q. lxiv, a. 1-4, développe d’une façon oratoire par le P. Monsabré, Carême de 1889. Une autre division comprend les peines subjectives : dépravation des facultés, intelligence et volonté ; les peines objectives : privations de Dieu et de tous les autres biens, objets des diverses facultés, supplices positifs infligés par le feu, etc. Cf. encore Contra génies, 1. III, c. cxLii, privation de la béatitude, des vertus, de l’ordre des facultés, des biens du corps et des biens de la société.

Il est de fait que toutes ces peines concourent à constituer le châtiment de l’enfer. Les théologiens ont raisonné parfois longuement, pour faire entrer ces divisions réelles dans la division formelle : dam et sens ; ainsi ils se sont demandé si la tristesse de la perte de Dieu, l’obstination dans le mal appartiennent au dam ouausens.Cf. Suarez, De ani^c/ (S, 1. VIII, c. iv-vi, p. 972-983 ; Salmanticenses, De vitiis et peecatis, disp. XVIII, dub. i, n. 4 sq., t. viii, p. 398 sq. Comme il a été expliqué. Dam, t. iv, col. 6, les mots, peine du dam et peine du sens, peuvent prendre des sens différents, lorsque ces peines sont mises en relation avec Dieu, avec le pécheur ou avec le péché. Ajoutons toutefois que l’essence de la peine étant précisément dans la privation d’un bien, comme la récompense est dans sa possession ou sa donation, la douleur conséquente n’est pas la peine elle-même, ni une peine spéciale, mais un effet, comme une propriété qui doit se référer, reductivc, à la privation qui la cause, comme la joie paradisiaque, à la possession