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EUCHARISTIE DU XIII » AU XV" SIECLE


pouvoir d’agir sur les sens et de nourrir ; le point de départ ou terminus a quo est la substance du pain et du viii, et le point d’arrivée ou terminus ad quem, la réalité du corps glorieux et du sang du Christ. La substance du pain et du vin n’est donc pas anéantie, et la transsubstantiation n’a de commun avec la création que de s’accomplir subitement et en un instant. La substance des éléments est convertie in melius et sans succession. Summa theol., part. IV, q. x, m. v, a. 3.

Disciple d’Alexandre de Halès, saint Bonaventure, comme son maître, compare la transsubstantiation à la création et à la conception virginale du Christ. In IV Sent., 1. IV, dist. X, part. II, a. 1, q. i, ii. Il étudie aussi les différcnts modes de conversion et il voit, dans la transsubstantiation, une vraie conversion totale, les espèces seules demeurantjce n’estpas une annihilation, mais in rem meliorem mulalio, qui se fait in instanti et non successive. Pour lui donc, la transsubstantiation est une conversion de toute la substance, matière et forme, du pain et du vin en la substance du corps et du sang du Sauveur. Toutefois, si la matière elle-même du pain et du vin est convertie en la matière du corps et du sang du Christ, il ne faut pas se préoccuper de la conversion de la materia prima, qui fait le fond commun de toutes les choses matérielles. Ibid., dist. XI, part. I, a. 1, q. i-iii, v. Saint Bonaventure pense encore que les accidents, au monnent de leur décomposition, reprennent miraculeusement leur substance primitive. Ibid., dist. XII, part. I, a. 2.

Le B. Albert le Grand suit la doctrine commune sur la nature de la transsubstantiation : la conversion est totale ; elle se fait subito et non successive ; elle n’est ni naturelle ni miraculeuse, mais admirable ; elle ne procède pas par augmentation ni par annihilation, mais par transsubstantiation. Toutefois, il explique mieux que ses devanciers la persistance des espèces sacramentelles après la consécration ; il ne recourt pas à un miracle continuel qui les ferait subsister sans leur sujet naturel d’inhérence, ni à un miracle nouveau pour la reprise de leur substance connaturelle, lorsqu’elles sont sur le point de se décomposer./n IV Sent., 1. IV, dist. XI, a. 1-8 ; dist. XIII, a. 16. Il avait dit explicitement, en traitant de la communion, que l’hostie transit in ventrem, et qu’elle y dure tant qu’on peut discerner les espèces. Ibid., dist. IX, a. 5.

Saint Thomas a expliqué plus clairement le mode de la transsubstantiation par une application plus rigoureuse de la doctrine aristotélicienne de la matière et de la forme, ces deux éléments constitutifs de toute nature corporelle. La présence du Christ au sacrement n'étant pas le résultat d’un mouvement local, comme si le corps glorifié de Jésus quittait le ciel, où il demeure, pour être sur l’autel et sur plusieurs autels à la fois, mais celui d’une conversion réelle de toute la substance du pain et du vin au corps et au sang de Jésus, cette substance ne se résout pas en sa matigre première, pas plus qu’elle n’est anéantie, puisqu’elle se convertit, non par un changement de forme, mais par un changement substantiel. Seuls, les accidents du pain et du vin persistent. Ni la matière, ni la forme substantielle ne demeurent. La substance du pain est convertie en la substance du corps du Christ et celle du vin en celle du saug. Cette conversion se fait instantanément, au dernier instant de la consécration. Elle ressemble, en quelque chose, à la création et au changement naturel, mais elle en diffère aussi. Elles ont toutes trois en comnmn la succession des termes. La transsubstantiation ressemble à la création, quia in neutra earum est aliquod commune subjectum utrique extremorum. Elle ressemble à la transformation naturelle, en deux points, au moins, sous quelque rapport. Primo quidem quia in utraque unum extremorum transit in aliud…. Aliter tamen hoc accidit ulrobiquc.

wtm in hoc sacramento tola subslantia punis transit in lotum corpus Cliristi, sed in transmutatione naturali malcrii unius suscipil /ormam alterius, priori forma depusila. Secundo conveniunt in lioc quod ulrobique rcmanct uliquid idem… differenler tamen : nam in Iriinsmutalione naturali remanel eadem maleria vel subjectum, in hoc uulem sacramento rémanent eadem accidenlia. On ne peut donc pas dire : Fanis est corpus Clirisli, puisque les deux extrêmes n’existent pas simultanément. On peut dire cependant : Ex pane fil corpus Ctirisli, en considérant la succession des termes, mais pas : De pane fit corpus Cliristi, puisque cette formule entraînerait une cause consubstantielle. Enfin, on ne peut pas dire : Panis fil corpus Cluisli, ni Punis cril corpus Clirisli, pour la même raison, si on considère la permanence du sujet commun. Toutefois comme, après la conversion, les accidents demeurent, il est permis d’employer les trois dernières formules : secundum quamdam simililudincm, si par pain on entend non la substance du pain, sed in universati hoc quod sub speciebus panis conlinctur, sub quitus prius conlinetur subslantia panis, et postea corpus Christi. In IV Sent., I. IV, dist XI, q. i, a. 1-4 ; Sum. theol., III » , q. Lxxv, a. 3-8 ; Cont. génies, 1. IV, c. lxiii. Finalement donc, la transsubstantiation est une conversion substantielle. Si elle est une conversion, il doit rester un élément stable, qui soit le siège et le substratum du changement. Cet élément stable n’est pas la matière première, ni les accidents qui persistent miraculeusement en dehors de leur sujet naturel, la substance du pain et du vin ; c’est la nature d'être, qui est commune à la matière et à la forme du pain et du vin et à la matière et à la forme du corps du Christ. Or Dieu, l’auteur de l'être, convertit ce qu’il y a d'être dans une nature en ce qu’il y a d'être dans une autre nature, sublato eo per quod ab illa distinguebatur. Sum. theol., III » , q. Lxxv, a. 4, ad 3'"".

Pour Richard de Middletown, la conversion est totale ; la matière du pain est convertie en la matière du corps du Christ et sa forme en la forme de ce corps, non pas en cette forme qui donne au corps son être complet et qui est l'âme intellectuelle, mais in formam corpoream incompletam, per quam corpus habet incomplelum esse, etiam in gradu corporeitatis, quoique Dieu aurait pu vouloir que le corps du Christ soit présent au sacrement, par la conversion de la forme seule ou de la matière seule. Bien qu’il ne reste rien de la substance du pain, en dehors des accidents, cette substance, toutefois, n’est pas anéantie, mais elle est changée en mieux. Ce changement, opéré par la puissance divine, se fait instantanément et non successivement. C’est un changement surnaturel d’un sujet à un autre sujet, qui est plus merveilleux que la création et l’incarnation, au moins secundum quid, in quantum scilicet terminus ad quem est aliquid prseexistens, quod per conversionem subslanliae panis in ipsum non augetur, nec aliquo modo mutatur.In 1 V Sent., 1. IV, dist. XI, a. 1, q. ii-vi.

Duns Scot s’est écarté de la doctrine de saint Thomas au sujet du mode de la transsubstantiation. Il a hésité au sujet de l’annihilation de la substance du pain et du viii, et s’il s’est prononcé pour la conversion ; il a tiré de la théorie thomiste de la transsubstantiation son hypothèse d’une forma corporeitatis, distincte de la forme substantielle. Pour saint Thomas, la forme du pain est convertie en la forme du corps du Christ. Or, cette forme ne peut être l'âme du Christ, qui n’est présente sous les espèces du pain que par concomitance. Il faut donc que ce soit une autre forme, qui donne au corps son organisation, sa qualité corporelle et sa vie matérielle, une forme spéciale, qui tient le milieu entre la matière première et l'âme spirituelle. Voir t. IV, col. 1917-1918.