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HELVETIUS


c. xv. Son unique dogme serait : « La volonté d’un Dieu juste et bon, c’est que les fils de la terre soient heureux et jouissent de tous les plaisirs compatibles avec le bien public, » et son unique précepte, que le citoyen « cultivant sa raison parvienne à la connaissance de ses devoirs envers la société… et de la meilleure législation possible » . Ibid., c. xiii. L’on pourrait alors diviniser le bien public, c. xv, ou la Renommée qui porterait puissamment au bien public. Ibid. Un progrès moral serait même réalisé si les peuples s’en tenaient au déisme, à la condition toutefois que le magistral veille à ce qu’il ne dégénère pas en superstition. Ibid. Helvétius parle cette fois des jésuites ; il leur consacre plusieurs chapitres, sect. vii, c. v, x, xi, et il conclut, c. xi : « … Les jésuites ont été un des plus cruels fléaux des nations, mais sans eux, l’on n’eût jamais parfaitement connu ce que peut sur les hommes un corps de lois dirigées au même but. »

L’Homme a les mêmes défauts que V Esprit ; ce sont les mêmes paradoxes, les mêmes erreurs fondamentales, à côté de vérités de détail, la même érudition superficielle, la même inintelligence du fait religieux, la même interprétation malveillante de toute l’histoire ecclésiastique d’ailleurs travestie, la même volonté de rabaisser la nature humaine ; mais avec une véritable brutalité. Ce livre fut mis à l’Index, par décret du 28 août 1774, et il fut condamné en Espagne l’année suivante. Voir H. Reusch, Der Index, t. ii, p. 209. Il n’entraîna pas cependant la même polémique que l’Esprit ; en 1776, parut cette réfutation : Les arguments de la raison en faveur de la philosophie, de la religion et du sacerdoce ou examen de l’Homme, a" Helvétius. par l’abbé Pichon, Londres et Paris, in-12. Au t. n des Œuvres de Diderot, édit. Garnier, 1875, se trouve une Réfutation suivie de l’ouvrage d’Helvétius, intitulé de l’Homme. Les philosophes ne lui ménagèrent pas leurs critiques, mais il grandit encore la gloire d’Helvétius. On donna de l’Homme plusieurs éditions françaises successives ; deux à Londres et La Haye, 1773 et 1776 ; une à Amsterdam, 1774 ; une à Paris, 1776 ; deux traductions allemandes, l’une par H. August Otto Reichard, Gotha, 1773, l’autre anonyme, Rreslau, 1774, et une traduction anglaise par William Houper, Londres, 1777. Une nouvelle traduction allemande a paru en 1877 : Von Menschen, mit Einleitung und Commentar, par G. A. Linden, Vienne

On a encore d’Helvétius deux Lettres à Lefebvre-Laroche, l’une sur la constitution d’Angleterre, l’autre sur l’instruction du peuple, Œuvres complètes, édit. Didot, 1795, t. xiv, p. 77 et 97 ; des Pensées et réflexions, ibid., p. 113-200, du même esprit que l’Homme. On a publié comme « ouvrages posthumes de M. Helvétius » plusieurs écrits apocryphes : Les progrès de la raison dans la recherche du vrai, in-8°, Londres, 1773 ; Le vrai sens du système de la nature, in-8°, Londres, 1774, etc.

Helvétius mourut à Paris, le 26 décembre 1771, après avoir, semble-t-il, refusé les secours de la religion. Il fut inhumé le 27 à Saint-Roch. Il faisait partie de la célèbre loge des Neuf sœurs. Il n’était pas de l’Académie française : elle lui avait préféré, en 1743, Bignon, secrétaire du roi, et en 1754, le comte de Clermont, cf. Houssaye, Histoire du 41" fauteuil, Paris, 1861, mais depuis 1764 il était de l’Académie de Berlin. Sa bonté naturelle permit au parti philosophique de créer la légende du « bon Helvétius » . Cf. Helvétius à Voré, fait historique en un acte et en prose, représenté pour la première fois à Paris sur le théâtre des Amis des arts… le 19 messidor, sans nom d’auteur, mais qui est de Ladoucette, Paris, thermidor an II ; Trait d’Helvétius, comédie en un acte, an IV ; Helvétius ou vengeance du sage, comédie d’Andrieux, an IX.

Il laissait ses manuscrits à Lefebvre-Laroche. Déjà ses Œuvres complètes avaient été publiées à

Liège, 4 in-8°, 1774 ; à Londres, 4 in-8° et 2 in-4°, 1777 ; à Londres également, 5 in-8° et 2 in-4°, 1781 ; à Deux-Ponts, 7 in-12, 1784, lorsque Laroche publia son édition « d’après les manuscrits » de l’auteur, 41n-18, Paris, Didot. 1795. Une nouvelle édition fut encore donnée en 1818, 3 in-8°, Paris. Des lettres inédites d’Helvétius ont été publiées dans le Carnet historique et littéraire des 15 novembre et 15 décembre 1900. Les plus belles pages de ses œuvres ont été publiées par A. Keim sous ce titre : Helvétius. De l’Esprit, de l’Homme. Notes, maximes et pensées. Le bonheur. Lettres, édition du Mercure de France, in-12, Paris, 1909,

La vosue d’Helvétius se prolongea pendant la Révolution. Sa femme ne fut pas inquiétée, même pendant la Terreur ; et ses deux filles furent proclamées « filles de la Nation » . Un arrêté du Conseil général de la commune de Paris donna son nom à la rue Sainte-Anne, le 21 septembre 1792. Son buste figura au club des Jacobins du 4 mars 1792 au 5 décembre de l’an I de la République. A l’exception de Marat et de Robespierre, admirateurs de Rousseau, les hommes de la Révolution apparaissent hantés, comme lui, de l’idée que le principe de tous les maux et de tous les vices est dans la mauvaise organisation du gouvernement ou de la société et que, pour être heureux et bons, les hommes n’ont que des lois à renverser et à créer. Il fut un philosophe médiocre, mais « dans la formation de l’esprit de nos démocraties autoritaires, ni Voltaire, ni Rousseau, ni Montesquieu, ni Diderot n’ont exercé d’influence comparable à celle d’Helvétius » . Brunetière, Sur les chemins de la croyance, 1905, p. 79. Voir également sur la valeur et l’influence d’Helvétius, Histoire de la littérature française classique, t. iii, Le.XVIIIe siècle, du même auteur, p. 388-389. Il fut un des maîtres des Idéologues et la Décade le loue à l’égal de Voltaire, de Montesquieu, de Bu lion et de Diderot. Cf. Picavet, Les idéologues, in-8°, Paris, 1891. Toutes les mesures religieuses de la Révolution, depuis la confiscation des biens ecclésiastiques jusqu’à la séparation de l’Église et de l’État, et toutes les raisons par lesquelles la Révolution a prétendu justifier ces mesures, sa conception du prêtre officier de morale, ses religions laïques, se trouvent dans Helvétius, comme aussi du reste plusieurs des préjugés actuels contre l’Église, sinon tous.

Sa conception de la morale a fait d’Helvétius un des maîtres de la morale utilitaire : Bentham relève de lui, et le loue en ces termes : « Ce que Bacou fut pour le monde physique, Helvétius le fut pour le monde moral » , cf. L. Carrau, La morale utilitaire, Paris, 1875, et L. Halévy, La formation du radicalisme philosophique. I. La jeunesse de Bentham, II. L’évolution de la doctrine utilitaire, 1789-1815, Paris, 1900 ; d’ailleurs, on sait quelle fortune ces idées qu’il proclame, « que les faits moraux ne sont que des faits sociaux » et « que la morale devrait être traitée comme une physique expérimentale » , ont ereànotre époque. Il faut signaler aussi l’influence sur Beccaria de sa théorie sur la toute-puissance d’un système bien ordonné de récompenses et de châtiments : Beccaria fut comme Bentham le disciple direct d’Helvétius ; et de sa théorie de l’amour de soi, sur Nietzsche. Cf. E. Seillière, Apollon ou Dionysos, étude critique sur F. Nietzsche et l’utilitarisme impérialiste, Paris, 1905.

Archives du château de Voré, Documents et correspondance ; Saint-Lambert, Essai sur la vie et les ouvrages de M. Helvétius, publié pour la première fois sans nom d’auteur dans la première édition du poème Le bonheur et qui a servi d’introduction à presque toutes les éditions des Œuvres complètes ; Chastellux, Éloge de M. Helvétius, 28 p., s. 1. n. d. (1772) ; Mémoires de l’abbé Morellet, deMarmontel ; Journal de Collé, de Barbier ; Grimm, Correspondance, Garnier, 1877, t. ix et x ; Voltaire, Diderot, Condorcet, Turgot, d’Alem-