Trois chrétiens avaient confessé leur foi sans défaillance dans une première épreuve. Puis, soumis de nouveau à la torture, ils avaient cédé à sa violence. Depuis lors ils avaient vécu dans une pénitence continuelle. A ses collègues qui le consultent sur leur cas, saint Cyprien répond qu’on ne saurait, à son avis, leur refuser la communion avec l'Église, car trois ans d’une pénitence extrême et continue ont dû les rendre dignes de la miséricorde divine. D’ailleurs, il examinera l’alîaire de plus près avec chacun de ses frères dans l'épiscopat, lorsqu’il pourra les voir après les solennités pascales : non tumen debcre nos eis et veniæ locum clniidere alqiie eos a palerna pielale et a noslra cummunicatione primire : quibus exisiinuimus ad deprecandam clementiam Domini passe sufficere quod triennio jugiler et dolenter, ut scribitis, cum summa pienitenliæ lamenl<dione planxerunt. Episl., lii, n. 2, P. L., t. iv, col. 357, Epist., Lvi, de l'édition Hartel.
L’attitude miséricordieuse de saint Cyprien fut, en partie du moins, adoptée par le concile réuni à Carthage les premiers jours d’avril 251. On y décida qu’après une longue pénitence, les lapsi pourraient être réconciliés à condition de recourir à l'évéque qui aurait à se prononcer sur chaque cas en particulier : < Nous nous étions réunis un grand nombre d' évoques, écrit saint (Cyprien lui-même, … et nous avons déterminé des mesures d’une modération salutaire, de telle façon que l’espoir de la vie en connnunion avec l'Église et de la paix ne fût pas refusé totalement aux faillis. Nous ne voulions pas que le désespoir les conduisit à une chute encore plus profonde et qu’ils vécussent selon le siècle et comme des païens, parce que la porte (le rentrée dans l'Église leur était fermée. D’autre part, nous nous refusions à abolir les condamnations portées par l'Évangile et à autoriser la témérité de réconciliaLions hâtives. Nous avons donc imposé une longue pénitence, l’obligalion de solliciter avec contrition la clémence paternelle, ainsi que l’examen de la situation, des dispositions et des nécessités de chacun… Nous avons écrit sur ce sujet à Rome à notre collègue Corneille qui, après un concile tenu avec plusieurs de ses coévêques, s’est rangé ; i notre avis. » Episl., lv, n. 6, edit. Hartel ; E]>isl., x, inicr Cornelii papiv epislolas, P. L., t. III, col. 791-792.
Le concile précisa « qu’après avoir étudié chaque cas en particulier on pourrait parfois admettre les libcUatici plus rapidement à la réconciliation, mais qu’on ne viendrait ensuite aux sacrificati qu'à l’article de la mort, parce qu’il n’y a pas d’exomologèse possible en enfer et qu’on ne peut pas contraindre quelqu’un à la pénitence en lui refusant ses fruits. De cette façon si l’heure de la lutte survient, réconforté par nous, le pénitent se trouvera armé pour le combat, et si avant la lutte une inlirmité mortelle le presse, il quittera ce monde avec la consolation d'être en paix et en communion avec l'Église. » Ibid., n. 16, P. L., t. iii, col. 808.
Quant à ceux qui ne veulent pas faire pénitence, la réconciliation leur sera refusée, s’ils attendent d'être en danger de mort pour solliciter leur pardon ; on est indigne de recevoir les consolations de la religion quand on n’a pas pensé qu’on devait mourir : Et idcirco /rater charissime, pirnilentiam non a génies, nec dolorcni deliclorum suornrn loto corde et martifesla lamentationis snaz professione lesluntes, proliibendos oninino ccnsiiiruiis a spe conimunicationis et pacis, si in infirmilate alque periculo cœperinl deprecari, quia rogare illos non delicli pirnilenlia, sed morlis urgentis admonilio compellil, nec dignus est in morte accipere solalium qui se non cogitavil esse moriturum. Ibid., col. 814, n. 23 de la même épître à Antonianus.
L’année suivante, un concile de 42 évêques se montra plus large et une amnistie générale fut accordée aux
lupsi qui auraient accepté la pénitence. Une nouvelle persécution est imminente. « Sous la pression de cette nécessité, narre saint Cyprien, rédacteur d’une épître synodale au pape Corneille, nous avons estimé qu’il fallait accorder la paix à ceux qui ne se sont pas retirés de l'Église et qui depuis le premier jour de leur chute n’ont pas cessé de faire pénitence, de se l’amenter et de supplier le.Seigneur, pensant qu’il fallait les armer et les équiper pour le combat qui menace, » Epistola sijnodica inler concilia Carlhageniensia, P. L., t. iii, col. 884. « S’il se trouve, conclut la lettre, un de nos collègues qui à la veille de la lutte pense qu’il ne faut pas donner la paix à nos frères et à nos sœurs, il rendra compte au Seigneur, au jour du jugement, de sa censure inopportune ou plutôt de sa dureté inhumaine. » Ibid., ii, 5, col. 888.
Les évêques pouvaient donc réduire la durée normale de la pénitence. Quelle était la valeur de cette rémission ? N’avait-elle d’efficacité qu’au point de vue de la discipline ecclésiastique, au seul for externe ? Nullement, car une telle condonation était faite, souvent, en considération des mérites des martyrs dont on affirmait la valeur d’intercession auprès de Dieu lui-même : « Nous croyons, écrit saint Cyprien dans son De lapsis, que les mérites des martyrs et les œuvres des justes ont une grande puissance auprès du souverain juge. « N. 17, P. L., t. IV, col. 95. « Le Seigneur, déclaret-il plus loin, peut pardonner dans sa clémence à celui qui fait pénitence, et le prouve par ses actes comme par ses supplications. Il peut ratifier ce que les martyrs ont demandé et ce que les évêques ont fait. » ibid., n. 36, col. 508.
Dans quelle mesure d’ailleurs Dieu accorde-t-il une telle ratification ? C’est son secret. Lui seul sait comment il traitera ces réconciliés et de quel œil il considérera les poids de la balance lors de son jugement : Deo ipso sciente qnid de lalibus facial et qualiler judicii sui examinel pondéra. Lettre du clergé romain à saint Cyprien, Episl., xxxi, inler Cijprianas, P. L., t. iv, col. 323 ; édit. Hartel, Episl., xxxvi. Le pardon est une chose, l’admission dans la gloire, une autre chose et, surtout à l’article de la mort, l'Église ne peut assurer celle-ci en même temps que celui-là. < Autre chose, écrit l'évéque de Cartilage à Antonianus, est d'être arrivé au pardon, autre chose de parvenir à la gloire ; autre chose d'être emprisonné sans pouvoir sortir avant d’avoir payé le dernier quadrans ; autre chose de recevoir aussitôt la récompense de la foi et de la vertu ; autre chose de souffrir de longs tourments en expiation de ses péchés et d'être lentement purifié par le feu ; autre chose d’avoir complètement satisfait pour ses fautes par la soulïrance ; autre chose de rester en suspens et d’attendre la sentence du Seigneur au jour du jugement ; autre chose d'être couronné par lui sans retard. » Episl., x, 171/er Cornelianas, P. L., t. iii, col. 810-811.
2. Au début du iv<e siècle, les conciles d’Ancyre (314) et de Nicée (325) reviennent encore sur la question des lapsi. Ils affirment à nouveau et très nettement le pouvoir qu’a l'évéque de mitiger la pénitence et surtout de hâter la réconciliation finale. Des mesures de miséricorde seront prises généralement en faveur des pécheurs bien disposés et qui expient leurs fautes avec zèle, mais le nfisérable état des coupables pourra parfois justifier à lui seul un adoucissement. Le 2° canon d’Ancyre s’exprime ainsi au sujet des diacres qui ont sacrifié : « Que si quelques évoques, ayant égard à leur effort et à leur humiliation, veulent leur accorder davantage, et de même s’ils veulent les humilier davantage, ils y sont autorisés. » Hefcle, Histoire des conciles, trad. Leclercq, t. i, p. 303-304. Le même concile prévoit également des mitigations, quand il parle des chrétiens qui n’ont pris part aux banquets sacrificiels des païens