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417 JANSÉNISME, L* AUGUSTINUS, T. III. LE LIBRE ARBITRE

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ment, constamment, on juge devoir être voulu et aime. On continue toujours de vouloir et d’aimer, parce qu’on n’a aucune raisonde changerune volonté éclain se et prudente. Les bienheureux pourraient changer, s’ils voulaient, mais jamais ils n’auront des raisons de changer : aussi, quoiqu’ils puissent changer, en fait, ils ne changent pas : ils ont fait un choix libre qui dure éternellement, c. xxxv.

Mais alors comment comprendre les propositions de Baius condamnées par Pie V et Grégoire XIII : Quod voluntarie fit, etiamsi necessitate fiai, libère tamen fit…. Sola t’iolentia répugnât liberlati hominis naturali. Il n’est pas possible, répond Jansénius, que ces deux papes aient condamné la doctrine de tant d’hommes savants et saints ; d’ailleurs ces termes ne se rencontrent pas chez Baius. Dans cette condamnation, les papes ont seulement tenu compte de la signification de ces termes au temps où les scolastiques ne regardent comme libres que les actes qu’on fait avec l’indifférence de contradiction ; c’est le sens vulgaire du mot et, dans ce cas, les deux propositions condamnées sont réellement fausses. On a voulu seulement affirmer que les mouvements indélibérés de la concupiscence qui précédent la raison et la réflexion ne sont pas libres. D’ailleurs, chez l’homme voyageur, il reste toujours une certaine indifférence de contradiction ou même de contrariété dans les actes libres. En résumé, la condamnation des propositions 48, 49, 66 de Baius signifie que les mouvements indélibérés qui précèdent la connaissance ne sont pas des péchés, car la connaissance est une circonstance essentielle pour qu’un acte soit libre, c. xxxvt.

Les scolastiques insistent : les puissances raisonnables sont capables de se porter aux extrémités opposées se habent ad opposila ; or, l’entendement peut considérer le vrai et le faux, donc la volonté, elle aussi, doit pouvoir aimer et vouloir le bien et le mal, c’est-à-dire, être indifférente.

Jansénius distingue deux sortes de nécessités : l’une prévenante et dominante qui atteint son sujet à l’un des termes opposés. Telle est la nécessité des agents naturels. L’autre est subséquente : elle procède de la volonté et lui demeure toujours soumise comme à un joug qu’elle s’est imposé. Ces deux nécessités se distinguent comme se distinguent la nature et la volonté : celle-là n’est point libre ; celle-ci s’accorde toujours avec la liberté. La volonté ne s’oppose point à la nécessité, mais à la nature. Celle-ci conserve son mode propre d’agir qui est d’être déterminée à un acte par un autre ; celle-là conserve également son mode propre d’agir qui est d’agir vraiment et non point « d’être agie », de se mouvoir, de se déterminer elle-même et non point d’être mue et déterminée par une force étrangère, d’agir librement, que ce soit par contingence ou par nécessité.

Le raisonnement des scolastiques s’applique à la liberté spécifique, à la liberté de l’homme voyageur et non point à la liberté en général, à la liberté de Dieu, des anges, des bienheureux, des démons qui agissent librement, quoique nécessairement. La nécessité qui prévient la raison et la volonté détruit certainement la liberté ; mais celle qui accompagne ou qui suit la volonté n’est que la détermination à l’acte et ne détruit point la liberté. Cette dernière nécessité se rencontrerait chez l’homme voyageur lui-même qui continuerait d’être libre, si Dieu dissipait les ténèbres de son entendement et l’éclairait par les lumières de sa grâce de telle sorte que l’homme n’apercevrait plus que le bien qui se trouve dans la vertu et le mal qui se trouve dans le vice. En résumé, il est vrai que les puissances raisonnables doivent pouvoir se porter à des actes opposés ; mais, dans leur exercice concret et réel, elles se portent à un acte ou à un autre par des

DICT. DE THÉOL CATHOI.

raisons particulières qui les déterminent, c. xxxvii.

Les anciens scolastiques et les écrivains jusqu’à saint Augustin sont d’accord sur ce point : la volonté en général, peut se rencontrer avec la nécessité simple et volontaire ; la volonté, lors même qu’elle veut d’une manière fixe et nécessaire, veut toujours, se meut et se détermine toujours elle-même ; elle veut toujours par mode d’élection et elle n’est point mue et déterminée. La volonté est et reste libre, par le fait qu’elle est volonté. Aussi les anciens, quand ils parlent de nécessité immuable, ne concluent pas qu’elle supprime la volonté ; seules, la contrainte, la violence, la coaction sont contraires à la liberté, c. xxxviii.

7° Le concept positif de liberté (livre VII). — On a vu ce que n’est pas la liberté ; il reste à montrer ce qu’elle est en elle-même, ce qui la constitue essentiellement et la rend capable de produire toutes sortes d’actes. La seule exemption de la coaction ne fait pas la liberté : elle écarte les obstacles à la liberté, mais ne la fait pas. Parfois la volonté est impuissante à faire certains actes, bien qu’elle ne soit pas contrainte à en faire certains autres ; en d’autres termes, bien que libres, nous n’avons pas le pouvoir de faire tous les actes possibles. Dès lors, deux questions se posent : a) Qu’est-ce qui rend la volonté capable de faire des actes libres ; qu’est-ce qui fait que ces actes sont en notre puissance ? b) A l’égard de quels actes, de quels objets, la volonté s’exerce-t-elle ? sur la fin ou sur les moyens ? sur le bien ou sur le mal ? Quelle indifférence est exigée pour ces actes, c. I.

1. Les ressorts intimes de la volonté : connaissance et plaisir (c.n-iv). — Qu’est-ce qui nous fait vouloir ou pas vouloir ?Qu’est-ce qui met un acte en notre pouvoir ? Si la volonté était absolument maîtresse d’elle-même et de tous ses actes, rien n’empêcherait Dieu de vouloir et de faire le mal ; rien n’empêcherait les démons d’aimer Dieu. C’est que la volonté ne se suffit pas à elle-même ; il faut quelque chose qui la détermine, quelque chose d’étranger et d’extérieur à la volonté qui puisse la mouvoir. Sans cela, elle est impuissante et inerte. La foi chrétienne nous apprend que nous ne pouvons rien de nous-mêmes, que nous ne pouvons rien faire de bon sans la grâce et la prière, parce qu’il y a des obstacles, qui, s’ils ne sont pas renversés, empêchent la volonté non seulement de vouloir fortement et efficacement le bien, mais même de le vouloir faiblement et de le désirer. L’expérience confirme la foi : il y a des liens qui enchaînent la volonté au point que, malgré tous ses efforts, elle ne peut vouloir. Saint Augustin, dans ses Confessions, parle de la volonté nouvelle qui était incapable de vaincre l’ancienne. Les pécheurs, sans la grâce, ne peuvent s’arracher aux voluptés de la chair ; il y a parfois des liens tels que la volonté ne peut vouloir certains actes, à moins que ce pouvoir ne lui soit accordé de l’extérieur. Quelle est cette chose qui, présente, fait qu’un acte est en notre pouvoir, et absente, fait que cet acte nous est impossible ? Quelle est cette chose dont la présence fait vouloir et dont l’absence fait ne pas vouloir ? c. il.

Ce qui fait que nous voulons ou ne voulons pas, c’est la connaissance et le plaisir. Il faut d’abord la connaissance, car il est bien évident qu’on ne saurait vouloir ce qu’on ne connaît pas ; puis il faut le plaisir, car, d’après saint Augustin, le plaisir est la source de tous les bons mouvements de l’âme et c’est lui qui délivre par la grâce : celle-ci désille les yeux et répand en nous cette suavité qui rend les choses divines agréables ; elle rompt les chaînes de la concupiscence. Il n’y a rien qui nous rende si libres que le plaisir, parce qu’il n’y a rien dans la nature qui soit plus fort. On fait une chose, parce qu’elle pla’t.

C’est, cette délectation qui fait la volonté et la liberté, qui fait vouloir et vouloir librement. La connaissance

VIII.

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