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JANSÉNISME, L’AUGUSTINUS, T. III. LE L IBRE ARB ITRE


de l’objet est nécessaire, mais ne suffit pas ; il faut la délectation, la complaisance dans l’objet. Saint Augustin répète souvent que c’est l’absence de délectation qui fait que la volonté ne se meut pas, ne peut pas se mouvoir. Ainsi le péché vient de la délectation que la volonté a pour le mal et le bien de la délectation pour la justice. La volonté ne peut consentir sans une telle délectation, sine prseeunte delectatione. La volonté ne peut être déterminée et mue autrement que par la délectation. Qu’on demande à quelqu’un pourquoi Il a fait et voulu tel acte ; à travers des détours, il arrivera à répondre : parce que cela m’a plu, me faisait plaisir. Si on va plus loin et si on demande pourquoi cela plaît, on regarde cette nouvelle question comme Inepte et ridicule. Si la coaction est opposée à la volonté et à la liberté, c’est uniquement parce qu’elle déplaît, parce qu’elle s’exerce contre ce qui plaît, cm.

L’École prétend que la liberté apparaît surtout dans le choix des moyens. Contrairement à cette thèse, saint Augustin déclare que la liberté se rapporte à la fin plus qu’aux moyens. Nous voulons la fin pour elle-même et une chose est libre dans la mesure où nous la voulons. Or nous voulons surtout la fin ; c’est donc la fin qui est particulièrement envisagée par la volonté. C’est surtout dans la poursuite de la fin qu’est la liberté, car il n’y a rien de si libre que ce qui est désiré pour soi-même. Rien de plus agréable que le mouvement vers la fin elle-même, car les mouvements vers les moyens sont plus ou moins mélangés de tristesse, plus ou moins nécessaires pour arriver à la fin. La fin est désirée avec une liberté entière, parce que nous la voulons pour elle-même ; les moyens, considérés en tant que moyens, sont plus nécessaires que volontaires et spontanés, car ils ne sont voulus que pour obtenir autre chose qu’eux. Le mouvement vers la fin désirée pour elle-même provoque surtout de la délectation et il est volontaire et spontané, car il n’est point arraché par une considération étrangère à elle ; la fin meut la volonté elle-même ; donc le mouvement vers la fin est particulièrement libre ; au contraire, le mouvement de la volonté vers les moyens est surtout nécessaire, parce qu’il n’est voulu qu’en vue de la fin. Ce que nous faisons par amour ou par crainte d’autre chose, nous ne le faisons pas librement, car nous ne le faisons pas pour soi. De ces principes, Jansénius tire les conclusions suivantes : Dieu est la fin dernière et la volonté, fortifiée par la grâce, se porte vers Lui d’une manière constante et par une délectation extrême ; dès lors, les actions qui tendent vers Dieu immédiatement, comme l’amour des bienheureux, sont les actions les plus libres, quoiqu’elles soient immuables et infaillibles, c. iv.

2. L<’s diverses sortes de liberté (c. v). — Jansénius distingue plusieurs sortes de libertés : a) la liberté de nécessité ou de coaction, libertas a necessilate, a coactionc, ou encore liberté de nature ; c’est un terme général qui indique la condition fondamentale de toute liberté vraie ; elle consiste à n’être ni contraint ni violenté, b) La liberté de péché ou de misère, a peccato, a miseria, est la vraie liberté ; elle consiste à être délivré du péché, c’est-à-dire, à être en état de grâce. Enfin c) la liberté de justice, a iustitia, qui est plutôt un esclavage ; elle consiste à être sans justice, sans grâce. Esclaves du péché, vous êtes affranchis de la justice, écrit saint Paul ; délivrés du péché, vous êtes serviteurs de Jésus-Christ. La volonté, dit saint Augustin, est toujours libre, mais elle n’est pas toujours bonne : elle est affranchie de la justice, lorsqu’elle est esclave du péché, donc mauvaise ; par contre, lorsqu’elle est délivrée du péché, elle sert la justice, elle est bonne, l’as de milieu possible entre ces deux libertés, parce qu’il n’y a pas de milieu entre le bien et le mal : le bien, c’est la justice ; le mal, c’est le péché.

La volonté qui est essentiellement libre, se porte, suivant la délectation dominante, vers le bien ou vers le mal, vers la justice ou vers le péché, vers le créateur ou vers la créature. Si la volonté est délectée par la justice, il y a affranchissement du péché, car la volonté ne peut aimer la justice, avant d’avoir été délivrée de l’amour du péché qui arrête le mouvement de la volonté vers le bien. Si la volonté est délectée par les créatures, il y a liberté de la justice, pour la même raison. Celui qui est libre de la justice est esclave du péché et celui qui est libre du péché est serviteur de Dieu et de la justice. On est délivré du péché (terme initial, a quo) pour servir la justice (terme final, ad quem). Le péché place l’acte bon en dehors de notre pouvoir, tandis que la grâce place le bien en notre puissance, donc nous rend libres ; par suite, la grâce rend libre pour le bien, parce qu’elle nous affranchit et nous arrache à la servitude du péché.

On peut ainsi connaître quelle est la cause du plaisir qui nous fait agir et qui met les actions en notre pouvoir. C’est la délectation du péché qui nous fait aimer le mal et les créatures ; ou la délectation de la grâce qui nous fait aimer la justice et le créateur.

Dans les deux cas, nous sommes libres, puisque c’est la volonté qui agit, puisque nous faisons ces actes, quand nous voulons, soit que nous soyons attirés par la concupiscence qui nous conduit au péché, soit que nous soyons déterminés par la grâce qui nous conduit au bien, c. V.

3. La LIBERTAS A PECCATO ou affranchissement du péché (c. vi-ix). — Par quoi est produite cette délivrance du péché ? Cette délivrance ne consiste point, comme l’affirme Suarez à la suite de Julien, seulement dans la rémission du péché avec l’effacement de la coulpe, car, le péché une fois remis, nous restons toujours faibles et cette rémission n’apporte aucun remède à nos infirmités. Saint Augustin distingue, dans le péché, un double mal : a) la faute, la tache, qui fait l’homme ennemi de Dieu et le rend digne d’un châtiment ; b) lemalde la concupiscence qui vient du péché originel et qui, semblable à une habitude, est fortifié par les péchés actuels ; il forme comme une seconde nature. Ce mal domine notre volonté et produit une véritable nécessité de pécher, à moins que n’intervienne le secours de Dieu. Ainsi l’âme, même délivrée de la faute, par la rémission des péchés, reste prise par cette délectation de la concupiscence à laquelle elle ne peut s’arracher et elle demeure esclave du péché.

Il faut donc à ce double mal un double remède : la grâce habituelle qui est une grâce de rémission des péchés et la grâce actuelle qui arrache l’âme à la servitude du péché et la rend maîtresse de la concupiscence. La première pardonne ce que la volonté a fait en consentant au péché ; la seconde empêche d’y consentir. La première remet ce qui a été fait par ignorance ou par infirmité ; la seconde donne la lumière et la force pour bien faire à l’avenir. La première ne regarde que le péché passé ; la seconde est une vraie grâce libératrice qui met le bien en notre puissance et nous donne le pouvoir de faire le bien.

Bref, après la chute, la volonté n’a conservé que le pouvoir de faire le mal ; mais la grâce du Rédempteur, grâce libératrice, brise les liens de la concupiscence et redonne a l’homme le pouvoir de faire le bien. Par elle, la concupiscence est vaincue et tout est soumis à la grâce victorieuse qui nous a affranchis et libérés du péché. Telle est, conclut Jansénius, l’explication de saint Augustin qui s’appuie non point sur une philosophie humaine, comme l’École, mais sur les paroles de l’Écriture qui, sans cesse, nous parle de l’esclavage du péché, c. vi.

Le terme final (ad quem) de cette délivrance est la liberté vraie pour faire le bien ; les effets de cette déli I