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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.1.djvu/352

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JEAN CHRYSOSTOME (SAINT), LE PRÉDICATEUR ET LE MORALISTE

ner par les circonstances : nul aussi bien que lui ne sait profiter des occasions pour ranimer une attention défaillante, ou pour adapter ses leçons morales aux exigences immédiates de son auditoire. Un jour des paysans de la campagne environnante assistent à l’une de ses homélies : il les félicite de leur présence à l’église, Hom. xix, de stat., 1, P. G., t. xix, col. 187 sq. ; un autre jour, il voit parmi son auditoire des étrangers, de passage à Antioche : pour eux, il résume en un long exorde, l’objet de ses précédentes instructions, Hom. iii, de Lazaro, 1. t. xlviii, col. 991 : une autre fois encore il remarque que ses auditeurs ne l’écoutent plus guère : « Mais faites donc attention, leur dit-il ; ne soyez pas ainsi distraits. Pourquoi vous parlé-je ainsi ? nous vous parlons des saintes Écritures, et vous détournez vos yeux vers les lampes ou vers ceux qui les allument. C’est bien de la légèreté de faire plus attention aux allumeurs qu’au prédicateur. Moi aussi, j’allume une lumière, la lumière des saintes Écritures, et sur notre langue brille le flambeau du saint enseignement. » Hom. iv, in Gen., 3, t. liv, col. 597. On comprend sans peine l’impression que devait produire une parole aussi vivante.

Aujourd’hui, nous trouvons les homélies de Chrysostome un peu longues ; volontiers nous leur reprochons de manquer d’ordre, et de passer trop facilement d’une idée à l’autre. Du temps de l’orateur, quelques esprits chagrins faisaient déjà la même remarque, et Jean s’excusait auprès d’eux : « Si je traite de tant de choses dans chacun de mes discours, si je les varie sans cesse, c’est que je veux que chacun ait son mot, trouve son butin, et que nul ne retourne à la maison les mains vides. » Hom. xxiii, in Joan., 1, t. lix, col. 137 sq. Mais une telle prédication plaisait à l’esprit mouvant des gens d’Antioche ou de Constantinople. Les amateurs de beau langage ne se lassaient pas d’entendre un orateur qui s’exprimait dans un style si coulant, si pur, si harmonieux ; ces intelligences, curieuses de nouveauté, guettaient avec avidité la comparaison inattendue, l’image pittoresque, l’anecdote plaisante, par où Jean excellait à retenir l’attention. On ne trouve guère chez lui, comme chez Augustin, de jeux de mots, d’antithèses, de pointes brillantes : bien plutôt qu’à ces procédés un peu artificiels de la rhétorique, il se contente de faire appel à l’imagination et au cœur des fidèles qu’il charme et qu’il entraîne.

C’est tout un tableau de la société à la fin du ive et au commencement du ve siècle, que l’on trouve dans les homélies de Jean, tableau animé et puissant. Les mœurs de son temps ne sont pas flattées par ce prédicateur austère qui voudrait corriger tous les abus, et réaliser l’idéal d’une société parfaitement chrétienne. De cette société, ni Antioche, ni surtout Constantinople n’offraient alors le spectacle, avec leur clergé mondain, leurs bandes de moines gyrovagues et intrigants, leurs veuves coquettes et jalouses, leurs riches aux f<.-tunes immenses, parfois mal acquises et plus souvent mal employées, leur amour immodéré des jeux, des spectacles, des courses de char, leur luxe souvent immodeste. Trop fréquemment, les chrétiens gardaient des mœurs païennes et l’on pouvait se demander quelle transformation l’Évangile avait introduite dans leurs âmes. Jean s’attristait en face de pareils spectacles ; il dénonçait sans trêve le danger des richesses, la vanité de tous les biens humains, la nécessité d’un retour complet aux sentiments et aux habitudes chrétiennes. Parfois, on a voulu voir en lui un tribun plus ou moins révolutionnaire. En réalité, il se contentait de rappeler sans cesse les principes de la morale chrétienne, et il avait un sens trop aigu « les réalités pour vouloir le bouleversement du vieux monde et l’apparition d’une société entièrement renouvelée.

Parmi les vertus que Jean exige de ses auditeurs l’une de celles qu’il recommande le plus fréquemment, et avec les accents les plus entraînants, c’est la charité. À côté des immenses richesses accumulées dans quelques familles puissantes, il y avait tant et de si grandes pauvretés ! Jean aurait voulu voir les riches distribuer abondamment de leur superflu. Il fait parler le Christ, à nouveau incarné dans ses pauvres : i Certes, je pourrais me nourrir moi-même, mais j’aime mieux errer en mendiant, tendre la main devant la porte, pour être nourri pur toi ; c’est par amour pour toi que j’agis ainsi. J’aime donc la table comme l’aiment tes amis ; je me glorifie d’y être admis, et, à la face du monde, je proclame tes louanges, je te montre à tous comme mon nourricier. » Hom. xv, in Ep. ad Rom., 6, t. lx, col. 518. Ailleurs, il insiste davantage encore : « Ce que je vais dire est douloureux et horrible : cependant il faut que je le dise. Mettez Dieu au même rang que vos esclaves. Vous donnez par testament la liberté à vos esclaves : libérez le Christ de la faim, de la nécessité, des prisons, de la nudité. Ah ! vous frémissez à mes paroles… » Hom. xviii, in Ep. ad Rom., 7, t. lx, col. 582.

Parmi toutes les pratiques de la charité, l’hospitalité est une de celles qui lui tiennent le plus à cœur : « Combien peu sont les hôtes de leurs frères ? On sait trop bien qu’il y a une maison commune de l’Église qu’on appelle l’hôpital. Mais l’on devrait agir soi-même, aller s’asseoir aux portes de la ville, accueillir spontanément les arrivants. Au contraire, on compte sur les ressources de l’Église. On oublie que la charité a un double but : elle doit profiter autant à celui qui l’exerce qu’à celui qui la reçoit. A raisonner comme le font ceux qui se refusent à pratiquer l’hospitalité eux-mêmes, en leur propre domicile, on devrait conclure qu’il faut laisser les prêtres prier pour les communautés et renoncer soi-même à la prière. Cependant on loge sans difficulté les soldats, sur la réquisition des autorités civiles. On ne veut pas en faire autant pour les pauvres, sur la réquisition du Christ. Les pauvres cependant sont nos défenseurs contre les démons, comme les soldats contre les barbares.. Ayez donc chacun à domicile un xenodocliium proportionné à vos ressources ; réservez dans votre maison une chambre pour l’hôte, c’est-à-dire pour le Christ. Chargez un de vos serviteurs, et ne craignez pas de choisir le meilleur pour cet office, d’y recevoir et d’y soigner les mendiants et les infirmes. Sinon, si vous vous refusez à faire ce sacrifice, si vous ne voulez pas introduire Lazare à votre foyer domestique, recevez-le du moins à l’écurie. Oui, recevez le Christ à l’écurie. Vous frémissez : c’est bien pis de lui refuser votre porte. » Hom. xlv, in Ad. Ap., t. lx, col. 319, trad. A. Puech, Saint Jean Chrysostome, p. 66.

On ne saurait rien concevoir de plus vivant qu’une telle prédication, et l’on comprend sans peine l’enthousiasme qu’elle excitait parmi les pauvres, la mauvaise humeur avec laquelle elle était reçue par les riches. Parfois Jean fut obligé de s’en excuser auprès d’eux : « Beaucoup me font ce reproche : tu attaques sans cesse les riches. Oui certes, car sans cesse ils attaquent les pauvres ; d’ailleurs je n’attaque pas les riches, mais ceux qui usent mal de la richesse. Je le dis toujours, ce ne sont pas les riches que j’accuse, ce sont les avares : autre chose est la richesse, autre l’avarice. » Hom. ii, in Eutrop., 3, t. lii, col. 399. Ces excuses ne suffirent pas à le sauver de la haine que lui avaient voué adversaires : c’est bien peu de temps après avoir prononcé les paroles qu’on vient de rappeler qe Jean tomba sous leurs coups.

Et pourtant, la morale prêchée par Chrysostome, n’est pas autre chose que la morale de l’Évangile. Il ne cherche pas à imposer à ses auditeurs d’insuppor-