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2079 JUSTIFICATION CHEZ LES PÈRES : REMARQUES PRÉLIMINAIRES

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neque quid fides, neque quid gratia, neque quid justitia sit intelligant, misère contaminant hune locum. Cette constatation agressive de Mélanchthon, Apologia Confess. Aug., iv, 1, est tout au moins la preuve des lourdes équivoques qui ont longtemps pesé sur le débat et qui sont encore loin d’avoir entièrement disparu. On ne les trouve pas moins dans l’intelligence historique des textes que dans la solution doctrinale du problème. D’où la nécessité de claires explications pour k-s prévenir ou les dissiper. Ce qui revient à définir les traits essentiels de la méthode qui doit présidt r à ce cas.

Principes d’ordre logique.

Il n’est pas inutile

de rappeler d’abord en cette matière les règles qui tiennent aux lois générales de la pensée.

1. La question de fond.

Dès lors que notoirement la doctrine de la justification n’est pas encore systématisée chez les Pères, il n’y a pas lieu d'être surpris s’il lui manque parfois ces suprêmes précisions que feront surgir plus tard les progrès de l’analyse ou les exigences de la controverse. C’est ainsi que le pélagianisme eut certainement pour effet de faire mieux marquer les droits de la grâce divine dans la genèse de la foi, tandis que les soucis tout pratiques de la morale et de l’apostolat avaient fait jusqu’alors envisager de préférence ce qui, dans cet acte, relève de notre bonne volonté. Sans oublier que, des éléments divers qui entrent dans ce problème, la synthèse doit forcément être inégalement parfaite suivant les auteurs.

Il est élémentaire pour l’historien, sans perdre de vue l'état actuel du problème, de faire entrer en ligne de compte, quand il lit les anciens, la différence des temps et des milieux.

2. La question de forme. — A ces contingences du fond s’ajoutent celles de l’exposition qui les viennent aggraver.

La justification n'étant pas encore l’objet d’une étude ex professo, c’est au cours d’autres développements, spécialement de leurs commentaires bibliques, que les Pères y touchent par occasion. Dans ces conditions, il faut s’attendre à rencontrer des formules excessives ou incomplètes, et qui demandent, en tout cas, à être équilibrées par celles que d’autres circonstances leur suggèrent ailleurs. Par exemple, lorsqu’un même auteur attribue successivement la justification à la foi et aux œuvres, n’est-il pas tout indiqué, pour qui veut juger sans parti pris, d’entendre qu’il réclame également les deux ?

A ce propos, quand ils ne sont pas entièrement fermés aux données de l’histoire, les théologiens protestants parlent volontiers de flottement dans la doctrine des Pères. En quoi ils traduisent plutôt cette impuissance souvent constatée, et qu’on peut dire congénitale à tous les sectaires, de prendre un autre critérium que celui de leur propre dogmatisme. Le devoir de l’historien est, au contraire, de réaliser l’harmonie intime d’une pensée dont l’unité fondamentale se laisse entrevoir jusqu'à travers le morcellement de ses disjecta membra.

Principes d’ordre ecclésiastique.

Rien n’est plus

contraire aux faits que d’attribuer à tous les témoignages le même poids.

1. Application aux auteurs.

On fausserait du tout au tout la position des Pères en les regardant comme des penseurs isolés. Il importe, au contraire, de ne point perdre de vue qu’ils sont les membres d’une Église, les témoins d’une tradition, et que toute leur Importance pour nous tient à la mesure dans laquelle ils nous en apparaissent les représentants. Avec la physionomie intégrale de leur pensée, l’histoire doit en restituer la portée relative dans le milieu dont elle procède et où elle revient. Tout autre est évi demmeiit l’autorité d’un évêque qui enseigne son

peuple et celle d’un spéculatif qui disserte dans son cabinet.

2. Application aux ouvrages.

De là découlent

quelques règles d’exégèse fécondes en conséquences. Plus significatives que les textes rares où s’atnrment des vues personnelles sont les déclarations banales, qui ont chance de mieux correspondre à la foi de tous. Ce principe est particulièrement opportun quand il s’agit de matières qui intéressent la pratique de la vie. Il s’ensuit, à la différence d’autres problèmes où la spéculation tient plus de place, que, parmi les ouvrages des Pères, les plus précieux ici ne sont pas les plus savants, mais, si l’on peut dire, les plus représentatifs, c’est-à-dire ceux qui atteignirent un plus large public. Voilà pourquoi l’observation a été justement faite que si, dans leurs commentaires de l'Écriture, tels ou tels exégètes, à la suite de saint Paul, arrivent parfois à parler d’une justification par la foi sans les œuvres, ce n’est pas une preuve que l'Église, ni sans doute ces auteurs eux-mêmes, aient parlé aux fidèles un semblable langage sans y apporter les correctifs ou les compléments nécessaires. En rétablissant ces compensations, l’historien se remet tout simplement sur le chemin de la vérité.

Par application du même principe, on peut et doit recourir au témoignage collectif des institutions et des rites. Des faits aussi importants que la préparation baptismale ou la discipline pénitentielle montrent mieux que toutes les paroles la manière dont l'Église concevait la justification, soit des infidèles, soit des pécheurs.

Principes d’ordre théologique.

Enfin, puisqu’il

s’agit d’un problème doctrinal, il importe d’en avoir simultanément présentes à l’esprit toutes les données. 1. Complexité de la justification. — S’il est vrai que, dans la pensée de l'Église, la justification requiert diverses conditions et se compose d'éléments complexes, accumuler des témoignages qui soulignent l’un d’entre eux est peine perdue ou manœuvre tendancieuse, tant qu’on n'établit pas qu’ils vont jusqu'à supprimer l’autre. Il n’y a donc, par exemple, rien à conclure des passages patristiquas où il est dit que nous sommes justifiés par la foi, puisque catholiques et protestants sont d’accord sur la nécessité de cette disposition. Le problème ne commence qu’avec les textes qui parleraient de justification par la foi seule. Mais cette expression en apparence restrictive est elle-même loin d'être univoque. Elle a certainement une portée exclusive ; mais il s’agit de savoir si elle exclut proprement les œuvres de l’homme ou si elle n’oppose pas à l’infidélité des païens la profession de la foi chrétienne, suivant l’adage commun à tous les croyants : « Hors du Christ et de l'Église point de salut. »

De même rien n’est tranché si l’on dit que notre justice est celle du Christ, quand il s’agit de savoir si cette justice devient nôtre ou si elle nous reste étrangère.

2. Diverses acceptions de la foi.

Il y a lieu de préciser également la notion même de foi. Dans le protestantisme, elle traduit un état psychologique et devient synonyme de confiance. Pour l'Église, au contraire, elle est d’ordre dogmatique et signifie l’adhésion au contenu de la révélation divine. Dans les deux cas on peut dire que nous sommes justifiés par la foi ou même par la foi seule ; mais c’est évidemment dans un tout autre sens. Il ne sullit pas de s’arrêter au son matériel des formules quand planent de tels doutes sur l’identité formelle de leur signification.

3. Aspect objectif et subjectif de la justification. — I.e rôle du Christ rédempteur n’est pas moins fertile en malentendus. C’est un article élémentaire de la foi que toute grâce vient de lui, que, par conséquent, les