Aller au contenu

Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.2.djvu/336

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
2081
2082
JUSTIFICATION, LA DOCTRINE AVANT LE PÉLAGIANISME


mérites de sa passion sont la seule source de notre justice. Mais il ne s’ensuit pas nécessairement que cette œuvre divine doive s’entendre comme si elle rendait inutile les nôtres. Après avoir affirmé que nous sommes sauvés par le Christ, et seulement par lui, il faut encore savoir de quelle manière et dans quelles conditions nous est communiquée cette grâce de salut. En termes d'école, l’aspect objectif de la Rédemption ne doit pas en faire perdre de vue l’aspect subjectif et il y aurait un paralogisme évident à entendre de celuici ce qui est vrai de celui-là.

4. Moments de la justification.

On doit aussi faire

entrer en ligne de compte la diversité du concept même de justification, qui désigne, soit l’entrée en grâce, soit l’utilisation de ce premier don divin. Bien que ces deux moments de la vie surnaturelle aient quelque chose de commun, ils offrent aussi d’incontestables différences. Dans le premier s’affirme davantage l’initiative de Dieu, tandis que le second appelle plus clairement et plus largement la coopération de l’homme. On conçoit qu’il puisse y avoir des nuances dans le langage des Pères suivant qu’ils envisagent l’un ou l’autre. Mais le problème n’est-il pas de dégager le principe général latent sous ces divers cas particuliers ?

Sur tous ces points le théologien moderne est doublement servi par les habitudes et les formules d'école, qui lui fournissent, avec la notion précise des questions qui se posent, les réponses exactes qu’elles comportent. Parce qu’elles sont imposées par la nature même des choses, ces questions surgissaient aussi devant l’esprit des Pères, mais le plus souvent d’une manière fragmentaire et successive, et surtout ils n’avaient encore à leur service, pour y répondre, qu’un langage imparfait. L’esprit de finesse qui doit caractériser l’histoire consiste précisément à retrouver leur pensée réelle sous des expressions toujours dispersées et facilement inadéquates. A cette condition, il n’est pas difficile de relever chez eux, comme les protestants en conviennent de plus en plus, les traits constitutifs de la doctrine que l'Église devait plus tard consacrer en définitions solennelles de foi.

Le caractère même du sujet nous oblige à présenter cette tradition patristique plutôt sous forme de synthèse doctrinale, sans autre distinction chronologique que la controverse pélagienne, seul point de repère certainement vérifiable sur le mouvement continu des siècles primitifs.


II. Avant la controverse pélagienne. —

Fixés par les développements postérieurs de cette doctrine et par les enseignements du concile de Trente, nous sommes en droit d’interroger les Pères des quatre premiers siècles sur les conditions, la nature et les effets de la justification.

I. CONDITIONS DE LA JUSTIFICATION.

Tout

se ramène ici au rapport de la foi et des œuvres dans l’affaire de notre salut.

1° Nécessité de la foi et des œuvres. — Sans distinctions ni analyses, mais aussi sans la moindre hésitation, les Pères anciens s’accordent à réclamer l’union des deux.

G. Thomasius s’efforce encore de lire chez eux le dogme luthérien de la justification par la foi, Christi Person und Werk, 3e édit., Erlangen, 1888, t. ii, p. 418430. Mais on a vu plus haut les aveux par lesquels les protestants reconnaissent avec dépit que l'Église fut de bonne heure entachée de catholicisme. Persuadé cependant que le « paulinisme » n’a pas pu rester sans écho, A. Harnack a consacré jadis un long mémoire à rechercher les traces du sola fide chez les Pères antérieurs à saint Augustin, Zeilschri/t für Théologie und Kirche, 1891, t. i, p. 82-179. Sa conclusion est qu'à l’exception de quelques textes de portée purement

exégétique on ne trouve cette doctrine que dans des cercles restreints où l’on s’en faisait une arme au profit du relâchement moral. De sorte qu’avec la pensée incontestable de la grande Église, on touche du doigt, dans cette histoire, la préoccupation qui la guida de maintenir le sérieux de la vie chrétienne et l’importance de. l’effort spirituel.

1. Foi de la primitive Église.

a) Chez les Pères apostoliques, un texte de saint Clément de Rome a été souvent cité par les protestants comme favorable à leur thèse. « Tous (les saints de l’Ancien Testament) obtinrent gloire et grandeur, non par eux-mêmes ou par les actions justes qu’ils accomplirent, mais par la volonté de Dieu. Nous aussi, qui sommes appelés par cette même volonté dans le Christ Jésus, nous ne sommes pas justifiés par nous-mêmes, ni par notre sagesse, notre prudence, notre piété ou autres œuvres faites d’un cœur saint, mais par la foi, au moyen de laquelle le Tout-Puissant a justifié tous les siens depuis le commencement. » / Cor., xxxii, 3-4, dans Funk, Patres Apostolici, Tubingue, 1901, t. i, p. 138-140. Mais il faut se rappeler qu’au préalable l’auteur avait marqué très nettement que la foi des patriarches s’accompagnait d’obéissance et de charité, ix, 3-4 ; x, 1-2, 7 ; xi, 1 ; xii, 1 ; ibid., p. 110-114 ; qu'à leur exemple il invitait les fidèles à se justifier en œuvres et non en paroles, Ipyoïç Sixaioûfievot, xal fir) Xoyoiç. xxx, 30, p. 136. C’est la preuve que, dans le passage cité, Clément ne veut pas exclure nos bonnes œuvres, mais la tentation d’en tirer vanité comme si elles étaient dues à nos seuls mérites. Aussi continue-t-il immédiatement : « Que ferons-nous donc, frères ? Cesserons-nous de faire le bien et abandonnerons-nous la charité ? Puisse le Seigneur ne jamais permettre pareille chose parmi nous ! Hâtons-nous, au contraire, avec ardeur et application d’accomplir toute œuvre bonne. » xxxiii, 1, p. 142. Et plus loin : « Heureux sommes-nous, bien-aimés, si nous accomplissons les préceptes du Seigneur dans l’accord de la charité, afin que par la charité nos péchés nous soient remis. » l, 5, p. 164. On voit qu’il n’est pas question pour lui de salut par la seule foi.

< « Servons Dieu avec un cœur pur, dit pareillement l’auteur inconnu de la seconde aux Corinthiens, et nous serons justes. Si nous faisons la justice devant Dieu, nous entrerons dans son royaume. » // Cor., xi, 1 et 7, ibid., p. 196. « Clément, conclut très justement A. Harnack, loc. cit., p. 101, veut rappeler à la communauté une vérité qui lui est familière, savoir que sans l’accomplissement de la justice il n’y a pas de justification. »

Un autre écrit pseudo-clémentin, mais qui remonte à la plus haute antiquité, fait entendre la même note : Nomen autem (fldelis) solum sine operibus non inlro' ducel in regnum cœlorum ; si guis autem fueril fldelis in veritate, is salvari poterit. Ps. Clem., De virgin., i, 3, Funk, t. ii, p. 2.

De même le pseudo-Barnabe, s’il dit qu’Abraham fut justifié comme [i.6voç TuaTeûaxç, Epist., xiii, 7, dans Funk, 1. 1, p. 80, sait que notre justification n’est acquise qu’au dernier jour, xv, 7, p. 84, et que chacun y recevra suivant ses œuvres, iv, 12, p. 48. Saint Ignace ne veut pas séparer la foi de la charité, celle-là étant le principe, celle-ci le terme de la vie. Eph., xiv, 1, Funk, p. 224 ; cf. Smi/rn., vi, 1, p. 280. Lorsque saint Polycarpe écrit aux Philippiens, d’après saint Paul, Eph., ii, 8-9 : « Vous avez été sauvés par la grâce, non d’après vos œuvres, mais par la volonté de Dieu en Jésus-Christ, » Philipp., i, 3, Funk, p. 296, il pense à o la grâce » de la rédemption. Mais l’application ne nous en est pas faite sans notre part d’activité personnelle : la preuve, c’est que le saint évêque de Smyrne invite