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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.2.djvu/579

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LANFRANC


est identique au corps né de la vierge Marie. Cependant cette identité foncière se cache sous des modalités d’être différentes.

Lanfranc justifie cette doctrine par l’Écriture et le témoignage des Pères. Il n’a pas de dilliculté à la trouver chez saint Ambroise ; il appelle aussi en témoignage de la tradition saint Augustin dont il a cité un certain nombre de textes, la plupart connus déjà de Paschase Radbert. S’il lui arrive d’en citer, comme ce dernier, d’inauthentiques, c. ix, sermo ad neophylos il en signale d’autres qui seront retenus désormais par les théologiens en faveur du dogme eucharistique : ainsi les textes de l’Homélie sur le Ps. xcvm et le Ps. xxxiii. Cf. c. xviii, col. 452 sq. Lanfranc se rend compte cependant que le commentaire de saint Augustin sur le texte Terra scabellum pedum meorum implique bien quelques difficultés : Saint Augustin n’a t il pas écrit à cette occasion : Spiritualiter intclligile quod locutus sum : Non hoc corpus quod videtis manducaturi estis, et bibiluri illum sanguinem quem fusuri sunt qui me cruci figent, c. xviii, col. 433 C. Lanfranc sait que Bérenger s’appuie sur ce texte pour trouver dans le docteur d’Hippone un négateur de la présence réelle. Saint Augustin, répond-il, doit être interprété par saint Augustin : il ne s’est pas contredit ; or il a affirmé la manducation réelle du corps né la Vierge : Qui enim superius testatus est quod carnem quam de maire virgine sumpsit et in qua in terris ambulavit ad manducandum nobis salubrilcr tribuil, quomodo huic tam præclaræ sententiæ aliqua contraria sententia l otuil obviare, c. xviii, col. 433 D.

Saint Augustin a condamné la manducation capharnaïtique, non la manducation réelle du corps et du sang du Christ.

Peu importe que les Pères avec saint Augustin aient parlé de species, simililudo, figura, signum, myslcrium, sacramentum, à propos de l’eucharistie ; cela prouve simplement qu’il y a dans ce sacrement un aspect symbolique : mais cet aspect n’est pas tout ; le symbole n’est pas vide. Cf. c. xx, col. 436. Affirmer avec Bérenger la permanence du pain et du viii, et faire de l’eucharistie un pur mémorial serait mettre le sacrement chrétien au-dessous des rites de l’ancienne loi. Cf.c. xxii, col. 440.

b. Sur le comment de la conversion. — Mais, objecte Bérenger, la doctrine de Lanfranc est inintelligible ; le miracle qu’il réclame au nom de la foi est en contradiction avec d’autres affirmations de cette foi : l’incorruptibilité du corps glorieux du Christ, sa présence localisée au ciel jusqu’à la fin des temps.

La meilleure réfutation de Bérenger sera encore ici l’exposé de la foi catholique que le novateur défigure ou ne comprend pas : nous croyons à une présence et une manducation réelle du Christ sur nos autels, et nous affirmons en même temps que le corps du Christ est incorruptible dans les deux. Ce n’est pas plus inintelligible que le miracle de la multiplication de l’huile chez la veuve de Sarepta. C’est un mystère qu’il faut scruter avec humilité ; à cette condition, on distingue ce qu’il faut entendre suivant la lettre, ou en esprit, on établira une différence entre la communion corporelle et la communion spirituelle. Dans la première, on reçoit par la bouche du corps la chair du Seigneur qui est immolée sur l’autel ; la chair est prise à part ; et le sang est reçu à part non sans une certaine signification mystérieuse, c. xv, col. 425.

Cette communion corporelle nous donne le Dominicain corpus, c. xvii, col. 42 !). Par la bouche du cœur, se fait la communion spirituelle quand avec— suavité et efficacité nous nous rappelons l’incarnation, la mort sur la croix, la résurrection, la venue du Christ tout entier. Quamvis alio locutionis modo totus Clirisftu manducari dicatur et credutur, sciliect cum vita

selerna, quæ ipse est, spirituali desiderio appetitur r c. xv, col. 425 C. L’une et l’autre manducation est nécessaire, l’une et l’autre est fructueuse.

Les indignes reçoivent la vraie chair et le vrai sang du Christ, mais il n’en tirent.aucune efficacité : Est quidem etiam peccatoribus et indigne sumentibus vera christi caro, verusque sanguis, sed essenlia, non salubri efficientia, c. xx, col. 436 D.

Ainsi Lanfranc se contente d’exposer nettement l’objet de la foi. Quant à chercher quelle est la nature de la conversion substantielle du pain et du viii, comment elle se fait, il croit la chose inutile ; le croyant n’a pas à se préoccuper de scruter un tel mystère : Si quæris modum quo id ficri possit, breviler ad præsens respondeo : mysterium fidei credi salubriter potest ; vestigari utililer non potest, c. x, col. 421 ; c. xvii. col. 427.

2. Appréciation. — Le premier mérite de Lanfranc est d’avoir démasqué les tendances rationalistes qui étaient à la base de l’interprétation eucharistique de Bérenger. Sans contester absolument l’usage de la dialectique dans les choses de la foi, il rappelle avec raison à l’adversaire que la science sacrée se fonde avant tout sur les autorités, c. vii, col. 416 ; c. xvii, col. 427.

On peut regretter que, par réaction contre la confiance exagérée de Bérenger en la dialectique, l’abbé de Saint-Élienne ait usé si parcimonieusement de celle ci pour expliquer, défendre ou interpréter sa foi : en face du « comment » du mystère et du miracle, il se contente d’en appeler à un autre miracle, de prendre une attitude d’humble réserve et de confesser l’inutilité de la spéculation. En cela, il est de son temps et Hugues de Saint— Victoi, un siècle plus tard, tiendra encore le même langage. P. L., t. cixxvi, col. 462 : la philosophie qui permettra à saint Thomas de proposer une interprétation rationnelle du dogme eucharistique n’est point encore connue. Mais ce qui importait alors, c’était d’opposer à un raisonnement individualiste la voix de la tradition. Lanfranc est le témoin de la tradition : c’est là son principal mérite : sans doute la plupart des textes de son dossier patristique sont déjà connus, sans doute il apporte certains témoignages apocryphes ou sans portée ; mais il en signale d’autres qui jusque-là n’avaient point été utilisés, et qui le seront désormais. Il ne se contente pas toujours de citer les textes ; il les explique. L’exégèse qu’il donne de saint Ambroise est juste et n’a pas vieilli ; elle est de beaucoup supérieure à celle de Bérenger qui est obligé de violenter les textes ambrosiens pour les faire déposer en faveur de son idée. On ne peut en dire autant de l’explication qu’il fournit de certaines paroles de saint Augustin. Son exégèse de la Lettre à Bon : face, est loin d’être satisfaisante, c. xiv. Lanfranc confesse l’obscurité de plusieurs textes et demande qu’on les éclaire à la lumière d’enseignements plus nets d’Augustin. Le principe est juste. Peut être ne suffisait-il pas de l’énoncer pour lever toutes difficultés. Guitmond d’Aversa et Durand de Troarn trouveront des réponses plus topiques aux arguments de Bérenger et de ses disciples. A ceux-ci Guitmond rappellera qu’ils ne sont qu’une poignée cl qu’ils ont l’Église contre eux et il ajoutera : i Si vous êtes, comme vous le dites, les vrais disciples de saint Augustin, inclinez-vous donc devant la croyance du monde chrétien. C’est votre maître qui vous en fait un devoir. » De corporis et sanguinis Domini » critate, I. III, P. L., t. cxi.ix, col. 1487 D.

Et Durand de Troarn, après avoir montré que saint Augustin a affirmé d’une façon catégorique la pré sence réelle en plusieurs textes, ajoute cette remarque : « Le saint Docteur d’Hippone, fatigué par les labeurs de la composition n’a pas toujours suffisamment