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    1. MAHOMÉTISME##


MAHOMÉTISME, SOUNNISME, GÉNÉRALITÉS

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djite. « Veux-tu voir le mourdjite frappé d’un trépas prématuré, répète devant lui le nom de 'Ali et invoque les bénédictions de Dieu sur le prophète et sa famille. » A quoi Ibrahim répondait sur le même ton : « Veux-tu, quand le chiite blasphème, le faire mourir sur le coup, prie pour le Prophète et ses deux Compagnons (Aboû Bakr et 'Oumar), ses deux vizirs dont les tombes sont voisines de la sienne. » On pourrait reproduire exactement ce duel poétique aujourd’hui en changeant seulement mourdjite en sounnite. Sur ce point, au moins, on voit que l’assimilation entre le mourdjisme ancien et le sounnisme moderne est légitime. Mais quelle est la cause de cette opposition ? Il semble bien qu’elle doive être cherchée dans ce qui est la caractéristique du chiïsme : la croyance à l’imminence de la fin du monde. C’est cette croyance que le mourdjite devait rejeter et, par conséquent, c’est cette fin du monde qu’il ajournait. Il n’y avait, comme nous l’avons vii, depuis la mort du Prophète, que deux attitudes possibles à prendre pour les musulmans : ou bien attendre « l’heure » avec le retour d" Mahomet (ou avec l’arrivée du Mahdî son susbtitut). ou bien l’ajourner et se préoccuper davantage de la vie terrestre. Les partisans de cette seconde attitude se trouvaient mêlés tout naturellement aux incrédules et surtout à ceux des Arabes qui avaient une tendance naturelle à revenir aux pratiques d’autrefois et par suite classés parmi les tièdes. Chez ceux qui redoutaient l’approche du jugement, il y avait nécessairement crainte et ferveur, et chez beaucoup rigorisme farouche. C’est parmi les partisans les plus exaltés de 'Al ! que naquit la secte des khâridjites, dont nous parlerons plus tard.

Il n’y a plus aujourd’hui de mourdjisme parce qu’il s’est fondu dans le sounnisme. On a rangé dans cette secte primitive des hommes comme Aboû Hanîfa et comme al Ach’arî qui appartiennent sans conteste au sounnisme. Quant aux divisions que les auteurs arabes ont voulu y reconnaître, nous verrons combien le caractère en est factice.

Une autre forme du sounnisme primitif, d’origine plus politique que religieuse est celle qui, pendant très lontemps, a porté le nom de 'outhmanisme et qui est opposé à T’alisme. Tandis que ce dernier maintient les droits exclusifs de 'Ali et de ses descendants à la souveraineté parce qu’ils sont la famille du Prophète et à ce titre doivent en exercer le pouvoir à la fois temporel et spirituel, le parti opposé déclare que la succession de Mahomet appartient non à sa famille immédiate, mais à sa tribu, les Koreïchites et que le souverain y peut être pris à volonté par le libre choix des musulmans. L’opposition violente des deux partis se manifesta, comme nous l’avons déjà vii, à la mort du khalife 'Outhmân. Élu contre 'Alî dans des conditions peut-être peu régulières, il avait soulevé de grandes colères contre lui et finalement, il avait été assassiné par des fanatiques appartenant au parti de 'Alî. On accusa ce dernier d’avoir été leur complice, et il s’ensuivit des guerres civiles dont nous avons déjà parlé. Ce qui nous intéresse ici, c’est la théorie de la souveraineté musulmane mise en cause dans ces querelles et qui, tout en gardant un caractère spécialement politique, n’en a pas moins une origine religieuse. Le fondateur de l’islam ayant exercé à la fois les deux pouvoirs temporel et spirituel, ses successeurs les ont également exercés ensemble, avec des fortunes diverses. En fait, ils ont toujours conservé le second, plus ou moins effectivement, mais ont dû souvent, sous la pression des événements, abandonner le premier entièrement. En théorie, dans l’islam primitif, il ne pouvait y avoir séparation, et il n’y en eut pas. La question se posa sous une tout autre forme. Si la théorie 'alide a pour elle le mérite de la netteté et de la logique.

la théorie 'outhmânide, devenue la sounnite, est beaucoup plus contestable au point de vue musulman pur. Elle a été exposée par le grand historien arabe Ibn Khaldoûn et il convient de s’y arrêter. « L’erreur des imâmiens, dit-il, provient d’un principe qu’ils ont adopté comme vrai et qui ne l’est pas ; ils prétendent que l’imamat est une des colonnes de la religion, tandis que, en réalité, c’est un office institué pour l’avantage général et placé sous la surveillance du peuple. S’il était une des colonnes de la religion, le Prophète aurait eu soin d’en déléguer les fonctions à quelqu’un de même qu’il l’avait fait pour la prière publique, dont il confia la présidence à Aboû Bakr : el il aurait ordonné de publier le nom de son successeur désigné, ainsi qu’il l’avait déjà fait pour le chef de la prière. Le Prophète, dirent-ils, l’avait choisi pour veiller à nos intérêts spirituels ; pourquoi n’en voudrions-nous pas pour nos intérêts mondains Cela montre que le Prophète n’avait légué I’imâmal à personne et qu’on attachait à cet office et à sa transmission beaucoup moins d’importance que de nos jours. »

La conclusion de ce raisonnement est que les musulmans peuvent choisir un imâm quelconque, même en dehors des Arabes, même à tout prendre en dehors des musulmans. Quelques-uns allèrent jusqu'à la première partie de cette conclusion ; nul, à notre connaissance n’osa aller jusqu'à la seconde. Ibn Khaldoûn défend le point de vue de son temps, appuyé sur une tradition de Mahomet, que le pouvoir devait appartenir à la tribu de Koureïch ; un siècle après lui, c’est à la race turque qu'échut la souveraineté.

En fait, ni le Coran, ni le l 'ad Un, qui règlent par un détail souvent très minutieux, non seulement les croyances, mais les mœurs, le droit, le statut familial ne parlent de la succession. Si, dans les traditions chiites, il en est qui attribuent à Mahomet des paroles dans ce sens, d’ailleurs assez vagues, sur la prééminence de 'Alî, tout dans les traditions sounnites s’y oppose.

Il reste donc établi que Mahomet n’a attaché aucune importance à cette question, pas plus qu'à l’exercice de la souveraineté. On ne cite de lui que quelques paroles sur l’obéissance, venant corroborer le texte du Coran où il est parlé de l’obéissance due à Dieu, au Prophète et à ceux qui ont le commandement (iv, 62). Mais sounnites et chiites sont d’accord pour reconnaître que l’imamat supplée le prophétisme pour la sauvegarde de la religion et l’administration des intérêts terrestres (.Vawerdi). Voilà pourquoi il prend le nom de khalife, khali/a, qui signifie : suppléant, lieutenant ou vicaire. Les sounnites disent que le titre de khalija(l) Allah, proprement « vicaire de Dieu » fut offert à Aboû Bakr qui le rejeta et ne voulut être que le suppléant du Prophète, que 'Oumar, à son tour, se déclare le suppléant du suppléant du Prophète et qu’enfin par abréviation, on appela tous les souverains « suppléants ». Mais, il semble bien que le titre réel fut « vicaire de Dieu », titre qui est donné au Mahdî dans certaines traditions, qui convient fort bien à celui-ci et en général à l’imàm chiite, mais beaucoup moins bien au souverain sounnite. Il n’en est pas moins resté à ce dernier et renforcé d’une expression plus caractéristique « ombre de Dieu sur la terre <>. Donc par la force des choses, même chez les sounnites, l’idée de souveraineté est étroitement liée à celle de Dieu. Son rôle est d’abord de maintenir la religion selon ses principes et l’accord des premiers musulmans, de s’opposer à toute hérésie, d’appliquer les peines légales prévues par le code musulman, toutes les prescriptions juridiques qui sont dans l’islam d’obligation religieuse. Voilà pourquoi il n’y a pas de clergé à proprement parler dans l’islam, les affaires de la religion