Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/117

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tions qu’il a quelquefois, et n’exécute bien que ses sorties du royaume ; il en est à la troisième. Je lui procurerai la quatrième quand il voudra ; il ne vaut pas le coup de pistolet que tu fis donner au comte de Soissons. Ce pauvre comte n’avait cependant guère plus d’énergie.

Ici le Cardinal, se rasseyant dans son fauteuil, se mit à rire assez gaiement pour un homme d’État.

— Je rirai toute ma vie de leur expédition d’Amiens. Ils me tenaient là tous les deux. Chacun avait bien cinq cents gentilshommes autour de lui, armés jusqu’aux dents, et tout prêts à m’expédier comme Concini ; mais le grand Vitry n’était plus là ; ils m’ont laissé parler une heure fort tranquillement avec eux de la chasse et de la Fête-Dieu, et ni l’un ni l’autre n’a osé faire un signe à tous ces coupe-jarrets. Nous avons su depuis par Chavigny qu’ils attendaient depuis deux mois cet heureux moment. Pour moi, en vérité, je ne remarquai rien du tout, si ce n’est ce petit brigand d’abbé de Gondi qui rôdait autour de moi, et avait l’air de cacher quelque chose dans sa manche ; ce fut ce qui me fit monter en carrosse.

— À propos, monseigneur, la Reine veut le faire coadjuteur absolument.

— Elle est folle ! il la perdra si elle s’y attache : c’est un mousquetaire manqué, un diable en soutane ; lisez son Histoire de Fiesque, vous l’y verrez lui-même. Il ne sera rien tant que je vivrai.

— Eh quoi ! vous jugez si bien, et vous faites venir un autre ambitieux de son âge ?

— Quelle différence ! Ce sera une poupée, mon ami, une vraie poupée, que ce jeune Cinq-Mars ; il ne pensera qu’à sa fraise et à ses aiguillettes ; sa jolie tournure m’en répond, et je sais qu’il est doux et faible. Je l’ai préféré pour cela à son frère aîné ; il fera ce que nous voudrons.

— Ah ! monseigneur, dit le père d’un air de doute, je