Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/152

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— Nous sommes prêts, monsieur, dit Cinq-Mars ; et, quant à nous choisir, je serai bien aise de me trouver en face de vous ; car je n’ai point oublié le maréchal de Bassompierre et le bois de Chaumont ; vous savez mon avis sur votre insolente visite chez ma mère.

— Vous êtes jeune, monsieur ; j’ai rempli chez madame votre mère les devoirs d’homme du monde ; chez le maréchal, ceux de capitaine des gardes ; ici, ceux de gentilhomme avec monsieur l’abbé qui m’a appelé ; et ensuite j’aurai cet honneur avec vous.

— Si je vous le permets, dit l’abbé déjà à cheval.

Ils prirent soixante pas de champ, et c’était tout ce qu’offrait d’étendue le pré qui les renfermait ; l’abbé de Gondi fut placé entre de Thou et son ami, qui se trouvait le plus rapproché des remparts, où deux officiers espagnols et une vingtaine de soldats se placèrent, comme au balcon, pour voir ce duel de six personnes, spectacle qui leur était assez habituel. Ils donnaient les mêmes signes de joie qu’à leurs combats de taureaux, et riaient de ce rire sauvage et amer que leur physionomie tient du sang arabe.

À un signe de Gondi, les six chevaux partirent au galop, et se rencontrèrent sans se heurter au milieu de l’arène ; à l’instant six coups de pistolet s’entendirent presque ensemble, et la fumée couvrit les combattants.

Quand elle se dissipa, on ne vit, des six cavaliers et des six chevaux, que trois hommes et trois animaux en bon état. Cinq-Mars était à cheval, donnant la main à son adversaire aussi calme que lui ; à l’autre extrémité, de Thou s’approchait du sien, dont il avait tué le cheval, et l’aidait à se relever ; pour Gondi et de Launay, on ne les voyait plus ni l’un ni l’autre. Cinq-Mars, les cherchant avec inquiétude, aperçut en avant le cheval de l’abbé qui sautait et caracolait, traînant à sa suite le futur cardinal, qui