Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/153

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avait le pied pris dans l’étrier et jurait comme s’il n’eût jamais étudié autre chose que le langage des camps : il avait le nez et les mains tout en sang de sa chute et de ses efforts pour s’accrocher au gazon, et voyait avec assez d’humeur son cheval, que son pied chatouillait bien malgré lui, se diriger vers le fossé rempli d’eau qui entourait le bastion, lorsque heureusement Cinq-Mars, passant entre le bord du marécage et le cheval, le saisit par la bride et l’arrêta.

— Eh bien ! mon cher abbé, je vois que vous n’êtes pas bien malade, car vous parlez énergiquement.

— Par la corbleu ! criait Gondi en se débarbouillant de la terre qu’il avait dans les yeux, pour tirer un coup de pistolet à la figure de ce géant, il a bien fallu me pencher en avant et m’élever sur l’étrier ; aussi ai-je un peu perdu l’équilibre ; mais je crois qu’il est par terre aussi.

— Vous ne vous trompez guère, monsieur, dit de Thou, qui arriva ; voilà son cheval qui nage dans le fossé avec son maître, dont la cervelle est emportée ; il faut songer à nous évader.

— Nous évader ? c’est assez difficile, messieurs, dit l’adversaire de Cinq-Mars survenant, voici le coup de canon, signal de l’attaque ; je ne croyais pas qu’il partît sitôt : si nous retournons, nous rencontrerons les Suisses et les lansquenets qui sont en bataille sur ce point.

— M. de Fontrailles a raison, dit de Thou ; mais, si nous ne retournons pas, voici des Espagnols qui courent aux armes, et nous feront siffler des balles sur la tête.

— Eh bien ! tenons conseil, dit Gondi ; appelez donc M. de Montrésor, qui s’occupe inutilement de chercher le corps de ce pauvre de Launay. Vous ne l’avez pas blessé, monsieur de Thou ?

— Non, monsieur l’abbé, tout le monde n’a pas la main si heureuse que la vôtre, dit amèrement Montrésor, qui