Aller au contenu

Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/164

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Sire, si j’osais dire ma pensée, je voudrais que Votre Majesté eût pour agréable d’attaquer dans un quart d’heure, car, la montre en main, il suffit de ce temps pour faire avancer la troisième ligne.

— Oui, oui, c’est bon, monsieur le Cardinal ; je le pensais aussi ; je vais donner mes ordres moi-même ; je veux faire tout moi-même. Schomberg, Schomberg ! dans un quart d’heure je veux entendre le canon du signal, je le veux !

En partant pour commander la droite de l’armée, Schomberg ordonna, et le signal fut donné.

Les batteries disposées depuis longtemps par le maréchal de La Meilleraie commencèrent à battre en brèche, mais mollement, parce que les artilleurs sentaient qu’on les avait dirigés sur deux points inexpugnables, et qu’avec leur expérience, et surtout le sens droit et la vue prompte du soldat français, chacun d’eux aurait pu indiquer la place qu’il eût fallu choisir.

Le Roi fut frappé de la lenteur des feux.

— La Meilleraie, dit-il avec impatience, voici des batteries qui ne vont pas ; vos canonniers dorment.

Le maréchal, les mestres de camp d’artillerie étaient présents, mais aucun ne répondit une syllabe. Ils avaient jeté les yeux sur le Cardinal, qui demeurait immobile comme une statue équestre, et ils l’imitèrent. Il eût fallu répondre que la faute n’était pas aux soldats, mais à celui qui avait ordonné cette fausse disposition de batteries, et c’était Richelieu lui-même qui, feignant de les croire plus utiles où elles se trouvaient, avait fait taire les observations des chefs.

Le Roi fut étonné de ce silence, et, craignant d’avoir commis, par cette question, quelque erreur grossière dans l’art militaire, rougit légèrement, et, se rapprochant du groupe des princes qui l’accompagnaient, leur dit pour prendre contenance :