Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/180

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en joue, et il n’a jamais manqué un isard dans les montagnes de Léon.

— Soit, dit Cinq-Mars, descendez.

Il entrait dans son caractère d’être toujours avec les autres tel qu’ils se montraient dans leurs relations avec lui, et cette rudesse le rendit de fer.

— Voilà un fier gaillard, monsieur, dit Grandchamp ; à votre place certainement M. le maréchal l’aurait laissé sur son échelle. Allons, Louis, Étienne, Germain, venez garder les prisonniers de monsieur et les conduire ; voilà une jolie acquisition que nous faisons là ; si cela nous porte bonheur, j’en serai bien étonné.

Cinq-Mars, souffrant un peu du mouvement de son cheval, se mit en marche assez lentement pour ne pas dépasser ces hommes à pied ; il suivit de loin la colonne des Compagnies qui s’éloignaient à la suite du Roi, et songeait à ce que ce prince pouvait lui vouloir dire. Un rayon d’espoir lui fit voir l’image de Marie de Mantoue dans l’éloignement, et il eut un instant de calme dans les pensées. Mais tout son avenir était dans ce seul mot : plaire au Roi ; il se mit à réfléchir à tout ce qu’il a d’amer.

En ce moment il vit arriver son ami M. de Thou, qui, inquiet de ce qu’il était resté en arrière, le cherchait dans la plaine, et accourait pour le secourir s’il l’eût fallu.

— Il est tard, mon ami, la nuit s’approche ; vous vous êtes arrêté bien longtemps ; j’ai craint pour vous. Qui amenez-vous donc ? Pourquoi vous êtes-vous arrêté ? le Roi va vous demander bientôt.

Telles étaient les questions rapides du jeune conseiller, que l’inquiétude avait fait sortir de son calme accoutumé, ce que n’avait pu faire le combat.

— J’étais un peu blessé ; j’amène un prisonnier, et je songeais au Roi. Que peut-il me vouloir, mon ami ? Que