Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/188

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pressentiment des chagrins que lui causerait un jour ce jeune homme.

Le maître des requêtes reprit :

— J’ai su, par le vieil abbé sourd qui était à dîner chez la maréchale d’Effiat, et qui a tout entendu, que ce jeune Cinq-Mars montrait plus d’énergie qu’on ne l’imaginait, et qu’il tenta de délivrer le maréchal de Bassompierre. J’ai encore le rapport détaillé du sourd, qui a très-bien joué son rôle ; l’éminentissime Cardinal doit en être satisfait.

— J’ai dit à monseigneur, recommença Joseph, car ces deux séides farouches alternaient leurs discours comme les pasteurs de Virgile ; j’ai dit qu’il serait bon de se défaire de ce petit d’Effiat, et que je m’en chargerais, si tel était son bon plaisir ; il serait facile de le perdre dans l’esprit du Roi.

— Il serait plus sûr de le faire mourir de sa blessure, reprit Laubardemont ; si Son Éminence avait la bonté de m’en donner l’ordre, je connais intimement le médecin en second, qui m’a guéri d’un coup au front, et qui le soigne. C’est un homme prudent, tout dévoué à monseigneur le Cardinal-Duc, et dont le brelan a un peu dérangé les affaires.

— Je crois, repartit Joseph avec un air de modestie mêlé d’un peu d’aigreur, que si Son Éminence avait quelqu’un à employer à ce projet utile, ce serait plutôt son négociateur habituel, qui a eu quelque succès autrefois.

— Je crois pouvoir en énumérer quelques-uns assez marquants, reprit Laubardemont, et très-nouveaux, dont la difficulté était grande.

— Ah ! sans doute, dit le père avec un demi-salut et un air de considération et de politesse, votre mission la plus hardie et la plus habile fut le jugement d’Urbain