Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/189

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Grandier, le magicien. Mais, avec l’aide de Dieu, on peut faire d’aussi bonnes et fortes choses. Il n’est pas sans quelque mérite, par exemple, ajouta-t-il en baissant les yeux comme une jeune fille, d’extirper vigoureusement une branche royale de Bourbon.

— Il n’était pas bien difficile ; reprit avec amertume le maître des requêtes, de choisir un soldat aux gardes pour tuer le comte de Soissons ; mais présider, juger…

— Et exécuter soi-même, interrompit le capucin échauffé, est moins difficile certainement que d’élever un homme, dès l’enfance, dans la pensée d’accomplir de grandes choses avec discrétion, et de supporter, s’il le fallait, toutes les tortures pour l’amour du ciel, plutôt que de révéler le nom de ceux qui l’ont armé de leur justice, ou de mourir courageusement sur le corps de celui qu’on a frappé, comme l’a fait celui que j’envoyai ; il ne jeta pas un cri au coup d’épée de Riquemont, l’écuyer du prince ; il finit comme un saint : c’était mon élève.

— Autre chose est d’ordonner ou de courir les dangers.

— Et n’en ai-je pas couru au siège de la Rochelle ?

— D’être noyé dans un égout, sans doute ? dit Laubardemont.

— Et vous, dit Joseph, vos périls ont-ils été de vous prendre les doigts dans les instruments de torture ? et tout cela parce que l’abbesse des Ursulines est votre nièce.

— C’était bon pour vos frères de Saint-François, qui tenaient les marteaux ; mais moi, je fus frappé au front par ce même Cinq-Mars, qui guidait une populace effrénée.

— En êtes-vous bien sûr ? s’écria Joseph charmé ; osa-t-il bien aller ainsi contre les ordres du Roi ?

La joie qu’il avait de cette découverte lui faisait oublier sa colère.