Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/207

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calme et d’espoir qui viennent en quelque sorte rafraîchir l’âme en même temps que le sang ; la main qu’il ne donnait pas à son ami pressait en secret la croix d’or attachée sur son cœur, en attendant la main adorée qui l’avait donnée, et qu’il allait bientôt presser elle-même. Il n’écoutait qu’avec le regard et le sourire les conseils du jeune magistrat, et rêvait au but de son voyage, qui était aussi le but de sa vie. Le grave de Thou lui disait d’une voix calme et douce :

— Je vous suivrai bientôt à Paris. Je suis heureux plus que vous-même de voir le Roi vous y mener avec lui ; c’est un commencement d’amitié qu’il faut ménager, vous avez raison. J’ai réfléchi bien profondément aux causes secrètes de votre ambition, et je crois avoir deviné votre cœur. Oui, ce sentiment d’amour pour la France, qui le faisait battre dans votre première jeunesse, a dû y prendre des forces plus grandes ; vous voulez approcher le Roi pour servir votre pays, pour mettre en action ces songes dorés de nos premiers ans. Certes, la pensée est vaste et digne de vous ! Je vous admire ; je m’incline ! Abordez le monarque avec le dévouement chevaleresque de nos pères, avec un cœur plein de candeur et prêt à tous les sacrifices. Recevoir les confidences de son âme, verser dans la sienne celles de ses sujets, adoucir les chagrins du Roi en lui apprenant la confiance de son peuple en lui, fermer les plaies du peuple en les découvrant à son maître, et, par l’entremise de votre faveur, rétablir ainsi ce commerce d’amour du père aux enfants, qui fut interrompu pendant dix-huit ans par un homme au cœur de marbre ; s’exposer pour cette noble entreprise à toutes les horreurs de sa vengeance, et bien plus encore braver les calomnies perfides qui poursuivent le favori jusque sur les marches du trône : ce songe était digne de vous. Poursuivez, mon ami, ne soyez jamais