Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/217

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Pour le capucin, il s’acheminait vers sa tente, méditant comment il tirerait parti de tout ceci pour la meilleure vengeance possible, lorsqu’il rencontra Laubardemont traînant par ses mains liées la jeune insensée. Ils se racontèrent leurs mutuelles et horribles aventures.

Joseph n’eut pas peu de plaisir à retourner le poignard dans la plaie de son cœur en lui apprenant le sort de son fils.

— Vous n’êtes pas précisément heureux dans votre intérieur, ajouta-t-il ; je vous conseille de faire enfermer votre nièce et pendre votre héritier, si par bonheur vous le retrouvez.

Laubardemont rit affreusement : — Quant à cette petite imbécile que voilà, je vais la donner à un ancien juge secret, à présent contrebandier dans les Pyrénées, à Oloron : il la fera ce qu’il voudra, servante dans sa posada, par exemple ; je m’en soucie peu, pourvu que monseigneur ne puisse jamais en entendre parler.

Jeanne de Belfiel, la tête baissée, ne donna aucun signe d’intelligence ; toute lueur de raison était éteinte en elle ; un seul mot lui était resté sur les lèvres, elle le prononçait continuellement : — Le juge ! le juge ! le juge ! dit-elle tout bas. Et elle se tut.

Son oncle et Joseph la chargèrent, à peu près comme un sac de blé, sur un des chevaux qu’amenèrent deux domestiques ; Laubardemont en monta un, et se disposa à sortir du camp, voulant s’enfoncer dans les montagnes avant le jour.

— Bon voyage ! dit-il à Joseph, faites bien vos affaires à Paris ; je vous recommande Oreste et Pylade.

— Bon voyage ! répondit celui-ci. Je vous recommande Cassandre et Œdipe.

— Oh ! il n’a ni tué son père ni épousé sa mère…

— Mais il est en bon chemin pour ces gentillesses.