Page:Alfred de Vigny - Cinq-Mars, Lévy, 1863.djvu/222

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de printemps ; ce jour-là même un vaisseau partit pour une traversée de deux ans ; le navigateur revint ; ils étaient sur leur trône : rien ne semblait s’être passé dans son absence ; et pourtant Dieu leur avait ôté cent jours de règne.

Mais rien n’était changé pour la France en 1642, époque à laquelle nous passons, si ce n’était ses craintes et ses espérances. L’avenir seul avait changé d’aspect. Avant de revoir nos personnages, il importe de contempler en grand l’état du royaume.

La puissante unité de la monarchie était plus imposante encore par le malheur des États voisins ; les révoltes de l’Angleterre et celles de l’Espagne et du Portugal faisaient admirer d’autant plus le calme dont jouissait la France ; Strafford et Olivarès renversés ou ébranlés grandissaient l’immuable Richelieu.

Six armées formidables, reposées sur leurs armes triomphantes, servaient de rempart au royaume ; celles du Nord, liguées avec la Suède, avaient fait fuir les Impériaux, poursuivis encore par l’ombre de Gustave-Adolphe ; celles qui regardaient l’Italie recevaient dans le Piémont les clefs des villes qu’avait défendues le prince Thomas ; et celles qui redoublaient la chaîne des Pyrénées soutenaient la Catalogne révoltée, et frémissaient encore devant Perpignan, qu’il ne leur était pas permis de prendre. L’intérieur n’était pas heureux, mais tranquille. Un invisible génie semblait avoir maintenu ce calme ; car le Roi, mortellement malade, languissait à Saint-Germain près d’un jeune favori ; et le Cardinal, disait-on, se mourait à Narbonne. Quelques morts pourtant trahissaient sa vie, et de loin en loin des hommes tombaient comme frappés par un souffle empoisonné, et rappelaient la puissance invisible.

Saint-Preuil, l’un des ennemis de Richelieu, venait de